Tous les extraits

... mais la vie continue

« ...Mais la vie continue » de Bernard Pivot, Albin Michel, 2021

« Bonjour Vieillesse…… J'aurais pu dire : Vieillir, c'est désolant, c'est insupportable, C'est douloureux, c'est horrible, C'est déprimant, c'est mortel. Mais j'ai préféré «chiant» Parce que c'est un adjectif vigoureux Qui ne fait pas triste. Vieillir, c'est chiant parce qu'on ne sait pas quand ça a commencé et l'on sait encore moins quand ça finira. Non, ce n'est pas vrai qu'on vieillit dès notre naissance. On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant. On était bien dans sa peau. On se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante...
L'Invention de la solitude

« L'invention de la solitude » de Paul Auster, Actes Sud, Traduction Christine LeBoeuf et Françoise Kestsmann, 1988

A. irait jusqu'à soutenir que les événements d'un vie peuvent aussi rimer entre eux. Un jeune homme loue une chambre à Paris et puis découvre que son père s'est caché dans la même chambre pendant la guerre. Si l'on considère séparément ces deux faits, il n'y a pas grand chose à en dire. Mais la rime qu'ils produisent quand on les voit ensemble modifie la réalité de chacun d'eux. De même que deux objets matériels, si on les rapproche l'un de l'autre, dégagent des forces électromagnétiques qui affectent non seulement la structure moléculaire de chacun mais aussi l'espace...
Chronique d'hiver

« Chronique d'hiver » de Paul Auster, Actes Sud, Traduction Pierre Furlan, 2013

Extrait 2.  Non, tu ne veux pas mourir, et alors même que tu t'approches de l'âge qu'avait ton père quand sa vie a pris fin, tu n'as pas pris contact avec tel ou tel cimetière pour t'occuper de ta concession funéraire, tu n'as donné aucun des livres que tu es certain de ne jamais relire et tu n'as pas commencé à t'éclaircir la gorge pour faire tes adieux.  Néanmoins, il y a treize ans de cela, juste un mois après ton cinquantième anniversaire, alors qu'assis dans ton bureau du rez-de-chaussée tu déjeunais d'un sandwich au thon, tu as connu ce que tu appelles...
Chronique d'hiver

« Chronique d'hiver » de Paul Auster, Actes Sud, Traduction Pierre Furlan, 2013

 Extrait 1. Encore de la neige aujourd'hui, et quand tu sors du lit et t'approches de la fenêtre, les branches de l'arbre, dans le jardin de derrière, sont en train de devenir blanches. Tu as soixante-trois ans. Il te vient à l'esprit que, dans le long voyage qui t'a mené de l'enfance à aujourd'hui, rares ont été les moments où tu n'as pas été amoureux. Trente ans de mariage, oui, mais dans les trente années qui ont précédé, combien de coups de foudre et de passions, combien de flammes et de tentatives de conquête, combien de délires et de folles embardées du...
À l'ombre des jeunes filles en fleurs

« A l'ombre des jeunes filles en fleurs » de Marcel Proust, 1919

Les levers de soleil sont un accompagnement des longs voyages en chemin de fer, comme les œufs durs, les journaux illustrés, les jeux de cartes, les rivières où des barques s’évertuent sans avancer.  A un moment où je dénombrais les pensées qui avaient rempli mon esprit pendant les minutes précédentes, pour me rendre compte si je venais ou non de dormir (et où l’incertitude même qui me faisait me poser la question, était en train de me fournir une réponse affirmative), dans le carreau de la fenêtre, au-dessus d’un petit bois noir, je vis des nuages échancrés dont...
Dictionnaire amoureux d'Albert Camus

« Dictionnaire amoureux d'Albert Camus » de Mohammed Aïssaoui, Plon, 2023

 J'ai longtemps pensé que j'étais le seul au monde à connaître Albert Camus, à le comprendre, et qu'il n'écrivait que pour moi. Camus, c'est mon père, mon frère, mon professeur, mon ami. Il me console des chagrins de l'existence. Avec lui, je ne me sens jamais seul. Je le comprends mieux que quiconque. Nul n'avait vécu ce que lui et moi avions vécu : la pauvreté, le vertigineux écart social entre notre milieu d'origine et celui auquel nous avons accédé, la mère analphabète qui ne lira jamais les livres que nous avons écrits, la honte, la condescendance. Mais également...
Souvenirs d'enfance, Tome 3 : Le Temps des secrets

« Le temps des secrets » de Marcel Pagnol, 1960

Après la terrible affaire du Château, si glorieusement terminée par la victoire de Bouzigue, la joie s’installa dans la petite Bastide-Neuve, et les grandes vacances commencèrent. Cependant, la première journée ne fut pas celle que j’avais vécue par avance avec tant de frémissante joie : Lili ne vint pas m’appeler à l’aube, comme il me l’avait promis, et je dormis profondément jusqu’à huit heures. Ce fut le tendre crissement d’un rabot qui me réveilla. Je descendis en hâte aux informations. Je trouvai mon père sur la terrasse : il redressait l’équerre d’une...
Le château de ma mère

« Le château de ma mère » de Marcel Pagnol, 1958

Lili savait tout; le temps qu'il ferait, les sources cachées, les ravins où l'on trouve des champignons, des salades sauvages, des pins-amandiers, des prunelles, des arbousiers; il connaissait, au fond d'un hallier, quelques pieds de vigne qui avaient échappé au phylloxéra, et qui mûrissaient dans la solitude des grappes aigrelettes, mais délicieuses. Avec un roseau il faisait une flûte à trois trous. Il prenait une branche bien sèche de clématite, il en coupait un morceau entre les nœuds, et grâce aux mille canaux invisibles qui suivaient le fil du bois, on pouvait la fumer...
La gloire de mon père

« La gloire de mon père » de Marcel Pagnol, 1957

Les bartavelles Oui, c’était bien un vallon, qui se creusait à mesure que je m’approchais. Peut-être était-ce celui du matin ?  Les deux mains en avant, j’écartais les térébinthes, et les genêts, qui étaient aussi grands que moi… J’étais encore à cinquante pas du bord de la barre, lorsqu’une détonation retentit, puis, deux secondes plus tard, une autre ! Le son venait d’en bas : je m’élançai, bouleversé de joie, lorsqu’un vol de très gros oiseaux, jaillissant du vallon, piqua droit sur moi… Mais le chef de la troupe chavira soudain, ferma ses ailes et,...
Terrasses: ou Notre long baiser si longtemps retardé

«Terrasses » de Laurent Gaudé, Actes Sud, 2024

J’ouvre les yeux. Je me dis que cette journée est belle puisque nous allons nous voir ce soir. Je souris à l’idée de ce rendez-vous et sens, dès le matin, cette boule dans le ventre qui dit que je t’aime peut-être plus que je ne le pensais. Une longue attente s’étale devant moi jusqu’à te voir. Aurons-nous le temps de nous aimer ? Je me pré‑ pare. Je veux que tu tombes à la renverse en me voyant et tu tomberas. Je m’habille. Je ne mets pas de soutien-gorge. Puis je change d’avis. J’en mets un en me promettant de l’enlever, plus tard, dans la journée, lorsqu’il...
L'invention de la famille

« L'invention de la famille » de Sonia David, Grasset, 2024

Le nombre de gens que je crois reconnaître, le nombre de portes dans lesquelles je me cogne, mon attention si défaillante. La maladresse, ça fait marrer les uns, ça énerve beaucoup les autres, mais ma spontanéité a gagné cette partie-là : il est entré dans le bistrot, je lui ai fait signe, il s’est approché, « Bonjour madame », ses premiers mots plutôt perplexes, genre « C’est qui cette folle ? ». J’ai enchaîné : « Ah, pardon ! je vous ai pris pour mon cousin Ivan », à quoi, toujours indécis, il a rétorqué « C’est bien moi, Ivan ». Le malentendu levé, «...
Nous nous verrons en août: Roman

« Nous nous verrons en août » de Gabriel Garcia Marquez, Grasset, 2024

Elle revint dans l’île le vendredi 16 août par le bac de trois heures de l’après-midi. Elle portait un jean, une chemise écossaise à carreaux, des chaussures simples à talon plat, sans bas, une ombrelle en satin, son sac à main et, pour tout bagage, une mallette de plage. Sur le quai, dans la file des taxis, elle alla tout droit vers un vieux modèle rongé par le salpêtre de mer. Le chauffeur l’accueillit avec un salut amical et la conduisit en avançant cahin-caha à travers le village indigent avec ses bicoques de torchis, ses toits de palmes de sabal et ses rues de...
Le nom sur le mur

« Le nom sur le mur » d'Hervé Le Tellier, Gallimard, 2024

LA MAISON NATALE Je cherchais une « maison natale ». J’avais expliqué à l’agent immobilier : pas une villa de vacances, pas une ruine « à rénover », pas une « maison d’architecte », pas un « bien atypique », ces bergeries ou magnaneries transformées en habitations où l’on se cogne dans les chambranles de portes à hauteur de brebis. Non, je voulais une maison où j’aurais pu m’inventer des racines, et aussi une maison dans un village vivant, où l’on fait ses courses à l’épicerie et boit l’apéro au café, dans...
Entre guerres

« Entre guerres » de François Lecointre, Gallimard, 2024

VOCATION J’ai appris une morale du comportement et je souhaite que d’autres ne l’oublient pas. J’ai appris, transmis par des générations aux statuts et fortunes si divers, aux origines si multiples et contrastées, que chacun doit se prouver à lui-même qu’il existe, et par ses mérites se donner le droit d’exister, se le conférer comme un titre de chevalerie. Contrairement à ce que dit la commune renommée, il n’y a de noble que les anoblis. Jean-François Deniau Mémoires de sept vies C’est au bon matin d’un début de printemps, frais et clair. Mon frère...
Impossibles adieux

« Impossibles adieux » de Han Kang, Grasset, 2023

Cristal La neige tombe, éparse. Le champ où je me trouve s’étend sur une colline hérissée de milliers d’arbres noirs sans cimes ni branches, de troncs nus. Ils sont de taille légèrement variée, comme des personnes d’âges différents. Ils ne sont guère plus épais qu’une traverse de voie ferrée mais courbés, tordus, l’ensemble évoquant une frise composée de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants maigres qui se tiendraient sous la neige, épaules voûtées. Suis-je dans un cimetière ? me demandé-je. Tous ces arbres sont-ils des pierres...
Les eaux du Danube (2024)

« Les eaux du Danube » de Jean Mattern, Sabine Wespieser (2024)

1. J’ai passé ma vie à éviter les sensations fortes. Question d’éducation. Pas d’alcool, pas de sauts en parachute, pas de voitures de course. Pas d’aventures non plus. Même le sexe m’ennuie parfois. Tout m’ennuie d’ailleurs, je crois. J’attends que ça passe. Je ne sais pas pour autant ce que « ça » signifie. À la pharmacie, la plupart du temps, je fais semblant d’aimer mon travail. Les journées ne sont jamais les mêmes, c’est vrai. Les clients font preuve d’une étonnante capacité à poser des questions différentes, à vouloir de nouvelles solutions à...
Idiss

« Idiss » de Robert Badinter, Fayard, 2018

Le shtetel Tu dois savoir, me dit la voix secrète, qu’après le départ de son mari à l’armée du tsar, Idiss est restée seule avec ses deux fils. Elle a dû vivre chez ses beaux-parents. » Une jeune femme mariée ne pouvait pas demeurer seule dans un shtetel. Qu’auraient murmuré les voisins toujours médisants ? Mais la belle-famille était pauvre et trois bouches de plus à nourrir étaient une lourde charge. Ce n’est pas qu’ils fussent égoïstes ou avares. Mais pauvres, ils l’étaient, comme Job dans la Bible. Idiss aidait sa belle-mère et...
Le Banquet des Empouses

« Le Banquet des Empouses » d'Olga Tokarczuk, Noir sur Blanc, 2024

La Pension pour Messieurs a vue est obstruée par les volutes de vapeur échappées de la locomotive et qui serpentent à présent sur le quai. Il faut regarder à travers elles pour tout voir, se laisser aveugler par la brume grise, le temps que le regard se fasse acéré et omni‑ voyant du passé, du présent et du futur. Nous apercevons alors les dalles du quai, autant de carrés entre lesquels subsistent de petites plantes frêles, un espace qui veut à tout prix préserver l’ordre et la symétrie. Peu après, une chaussure gauche y apparaît. Marron, d’un cuir qui a connu des temps...
Du même bois

« Du même bois » de Marion Fayolle, Gallimard, 2024

La ferme La bâtisse est tout en longueur, une habitation d’un côté, une de l’autre, et au milieu une étable. Le côté gauche pour les jeunes, ceux qui reprennent la ferme, le droit pour les vieux. On travaille, on s’épuise, et un jour, on glisse vers l’autre bout. C’est plus pratique, il y a une chambre au rez-de-chaussée, les escaliers sont moins raides, les pièces semblent disposées pour vieillir. Et puis, quand l’un meurt, le mari souvent, les enfants sont à l’autre bout, ça rassure, ça évite la solitude, ils regardent en passant s’il y a de la lumière, si les...
Le murmure

« Le murmure » de Christian Bobin, Gallimard, 2024

La montagne s’incline une seconde. Aucune de ses pierres ne sourit. Si tu cherches une récompense pour ce que tu fais, laver la vaisselle ou jouer Chopin, alors, plutôt, ne fais rien : tu as par avance échoué dans l’absolu chef-d’œuvre de la vaisselle, ou du poumon des anges. Chopin est une inhalation pour les anges asthmatiques, ces hypersensibles saupoudrés sur terre dès leur naissance jusqu’à leur mort – car les anges naissent et meurent comme Bouddha, comme les tortues et comme nous. Mais je m’égare. Si tu cherches les félicitations, reste au lit : au moins...

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