Tribune d'Olivia Phélip

Cinq bonnes raisons d’aller à Livre Paris

Du 15 au 18 mars 2019, le monde des livres tient salon porte de Versailles. Cette année, plus de 200 000 visiteurs sont attendus, l'Europe est à l'honneur, les animations sont florissantes et plus de cinquante pays représentés. Cependant, quelques éditeurs majeurs ont décidé de bouder la fête (parmi lesquels Grasset, Fayard et Odile Jacob). Pourtant, voici cinq bonnes raisons de se rendre à Livre Paris cette année.

Le Salon du livre de Paris, éternellement décrié mais toujours imperturbable, propose cette année un marathon de signatures, d’événements et de rencontres. Avec l'Europe en première ligne, le cru 2019 met clairement l’accent sur l'ouverture au monde et la fraternité littéraire, ce qui n'est pas neutre en ces temps de montée des nationalismes (>lire notre article sur le programme général du Salon). Pour mieux cacher la défection de maisons d’édition majeures venant de chez Hachette-Livre comme Grasset, Fayard, Calman-Lévy ou comme Odile Jacob? Pour éviter de reconnaître une vraie place au numérique, éternel parent pauvre de la manifestation ? Plus que jamais, même si le Salon espère dépasser le cap des 200 000 visiteurs atteint en 2014, la question de son adéquation à l’évolution du marché de l’édition se pose avec une nouvelle acuité, d’autant que, pour la troisième année consécutive, la vente de livres a régressé en France. Pourquoi y aller, « quand même » ? Voici cinq raisons.

1-Le monde littéraire est à portée de stands

De nombreux pays ont répondu présents cette année.
Les villes  polonaises de Cracovie et de Wroclaw, font également partie des invités d’honneur : la Pologne aujourd’hui en pleine croissance est au carrefour de la mémoire européenne (>lire notre article sur la littérature polonaise). Pourquoi ces villes précisément ? Cracovie, ancienne capitale de la Pologne est un centre intellectuel européen parmi les plus anciens. Elle est aussi classée ville de littérature par l’UNESCO depuis 2013. Quant à Wroclaw, elle est dotée de fortes traditions universitaires, de multiples bibliothèques et de librairies. La ville est le berceau de grandes maisons d’édition et de nombreux écrivains et a été désignée capitale du Livre par l’UNESCO, ainsi que capitale européenne de la Culture pour 2016. La tradition littéraire est bien ancrée dans ces villes hautement « culturelles », mais le renouveau aussi. Une nouvelle génération d’écrivains est née en Pologne : Marek Bienczyk, Hubert Klimko, Tomaz Rozycki, Marzena Sowa par exemple interrogent et racontent la reconquête d’un monde qui s’est construit sur un passé lourd de non-dits. On annonce la présence de Roman Polanski qui viendra animer un débat et qui a souhaité se placer en ambassadeur de la littérature de son pays d’origine.  Pour les Français, il y a beaucoup à découvrir dans cette littérature-sœur, si proche géographiquement et si singulière.

A côté de ces deux grands carrefours littéraires internationaux, le Salon accueille aussi  une cinquantaine d’autres pays parmi lesquels certains ne sont encore jamais venus comme le Japon, l’Inde, l’Italie, la Côte d’Ivoire ou Abu-Dhabi. Les pays de la Francophonie seront là pour témoigner de la force de notre langue et de sa vivacité notamment en Afrique. Des rendez-vous thématiques comme la poésie du Golfe persique ou la Bd numérique en Extrême-Orient seront une belle opportunité d’initiation à d’autres émotions et à des textes méconnus.
Et pour ceux qui aiment partir à la conquête du monde, accompagnés par les récits d’écrivains ou par les guides bien inspirés, le Salon a créé un nouveau rendez-vous, consacré à la littérature de voyage. Vous l’aurez compris, s’il n’y a qu’une raison pour venir au salon, ce sera bien celle de partir à la découverte de nouveaux territoires, par le biais d’auteurs étrangers ou de littérature voyageuse.

2- Les selfies-dédicaces avec les auteurs deviennent la nouvelle attraction

Alors que le musée du Louvre vient d’interdire les perches à selfies, les organisateurs du Salon du livre s’attendent à une invasion de visiteurs armés de téléphones, qui tenteront de se prendre en photo à côté de leurs auteurs favoris. Les éditeurs savent que cette mode correspond à une nouvelle manière de communiquer et qu’elle participe de la publicité faite à un écrivain (ces selfies seront tout de suite partagés sur les réseaux sociaux). De leur côté, les écrivains détestent le plus souvent cette nouvelle forme d’instrumentalisation. Seraient-ils devenus des stars comme les autres ? Et devront-ils de plus en plus assumer les règles de l’ultra-médiatisation ? Vaste question. Certains acceptent de bonne grâce, d’autres qui souffrent déjà des dédicaces à la chaîne trouvent pénible de devoir faire le beau/la belle avec un inconnu qui leur agrippe le bras comme s’il était leur meilleur ami. 4700 séances de dédicaces sont annoncées. Pas sûr que les écrivains se prêtent tous au jeu de la photo en plus. Et pas sûr qu’ils soient tous susceptibles d’intéresser les chercheurs de selfies qui ne ciblent que les auteurs célèbres et reconnaissables par tous en un clin d’œil. Parmi les auteurs attendus, on annonce la venue des habitués comme  Amélie Nothomb, Marc Lévy, David Foenkinos, Eric-Emmanuel Schmitt, Jean d’Ormesson, Tatiana de Rosnay, Maxime Chattam, mais aussi de Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014, Yanick Lahens,  prix Fémina 2014, Sylvain Tesson, Amin Maalouf,  Douglas Kennedy, Ken Follet… Auront-ils tous droit à la séance de photo souvenir ? A découvrir sur place en direct. A défaut, les amateurs de souvenirs pourront repartir avec une dédicace écrite de la main-même de l'écrivain. Cela ne vaut-il pas tous les selfies

3- Les rencontres et débats prennent de la hauteur... rien de mieux pour se cultiver 

Il aura fallu les attentats parisiens de janvier pour redécouvrir Voltaire. Réaliser que le savoir et la lecture sont les meilleurs remparts contre l’ignorance. Pour son édition 2015, le Salon du livre annonce un programme ambitieux de débats et de rencontres, chargés de nourrir l'esprit et la curiosité. Après les cafouillages de l’année passée (rencontres mal préparées, horaires non respectés...), il y a juste à espérer que les organisateurs auront tiré les leçons de ces expériences malheureuses  et mettront tout en œuvre pour mieux coordonner leurs actions. D’autant que les thèmes sont aussi divers, qu’instructifs : Quel Brésil pour quel roman ?, Amazonie : mythes et voix indiennes ; Deux générations de poètes polonais ; Les tourments de la mémoire juive,  Carnets et bandes dessinés : le voyage en images ; Sur les pas des écrivains-voyageurs…. Certaines rencontres seront prises d’assaut, d’autres seront réservées aux spécialistes. Il y en aura pour tous les goûts et tous les âges. Notre conseil : bien repérer les rencontres dignes d’intérêt et se présenter en avance pour s'assurer d’avoir une place.

4- Hachette-Livre continue sa guerre de tranchées... et le Salon reste multiple

Viendra, viendra pas. Hachette joue au yoyo et chaque année on a droit au suspense. Parfois le leader de l’édition française répond présent, parfois il boycotte comme il l’avait fait en 2010 par exemple. Cette année, plusieurs maisons ont déclaré forfait : Grasset, Fayard, Calman-Lévy ne seront pas au rendez-vous. Odile Jacob leur a emboîté le pas. Arnaud Nourry, le  PDG d’Hachette-Livre avance un argument budgétaire : « Il faut prioriser les actions. ».  L’argument chuchoté : Hachette milite pour une version resserrée et sélective du Salon du livre dans un autre lieu, au Grand Palais par exemple. La grand-messe du livre de la porte de Versailles se serait  transformée, aux dires de ses détracteurs, en vaste kermesse qui attirerait davantage les jeunes en mal de prospectus et les badauds en promenade, que les lecteurs motivés. Dans un contexte économique qui a vu le chiffre d’affaire du livre régresser chaque année depuis 3 ans (selon GFK, la baisse est de 2,7 % en 2014), l’heure n’est plus à la solidarité avec les petites maisons d’édition qui ont intérêt à conserver la formule actuelle pour bénéficier de l’effet d’entrainement des grandes. L’heure est à la défense de ses droits et à la guerre souterraine. Grasset, Fayard, Calmann-Lévy, Stock, Mazarine, Lattès, Hatier, Kéro, Dunod, Rageot, Chêne, Hazan, les Arènes, Liana Lévi... ils sont de plus en plus nombreux à déclarer forfait. On se souvient que la Fiac avait connu les mêmes débats. La célèbre foire d’art contemporain est finalement retournée au Grand Palais après avoir fait un court passage porte de Versailles : elle est devenue aujourd’hui une institution élitiste, inaccessible aux petites galeries. Cette culture d’un marketing  de luxe consacré à quelques auteurs majeurs représentés par un petit nombre d’éditeurs, deviendra-t-elle le prochain modèle ? Allons-nous voir émerger des « Jeff Koons » de la littérature ? L’avenir le dira. En attendant, se rendre porte de Versailles procure un plaisir de foire à la farfouille, mêlé à celui de véritables rencontres de qualité. Il faut encore en profiter avant qu’il ne soit trop tard, si le livre devient un jour un objet rare  préservé dans un musée.

5- Visiter le Salon et se mettre en mode  « déconnexion »

Cachez ce numérique qu'on ne saurait (promou)voir. Cette année encore, une part mineure de la surface d’exposition du Salon est consacrée aux stands du « numérique ». De plus les éditeurs sous-traitant la gestion de leurs stands à des libraires, rien n’est prévu pour proposer des produits mixtes ou des animations numériques ad hoc. Sur les présentoirs, des livres, rien que des livres de papier. Le Salon du Livre conserve de ce fait une mise en avant très traditionnelle de la lecture. Comme si le monde des tablettes, des liseuses et des smartphones s’était arrêté à l’entrée. Comme si les bouleversements qui sont déjà largement en cours étaient occultés. Oubliée la diffusion des livres en streaming initiée par exemple par Youboox , la start up française qui monte (>lire l’interview d’Hélène Mérillon, fondatrice de Youboox). Ignorée la manière dont les auteurs utilisent les réseaux sociaux pour se regrouper en communautés comme sur MonBestseller. Laissées de côté les nombreuses possibilités d’auto-publication proposées par de jeunes sociétés, parmi lesquelles YouScribe ou Librinova, voire de nouveaux codes d’édition comme chez Edilivre.  Sans compter les éditions numériques de qualité qui commencent à s’imposer, telles les éditions La Bourdonnaye ou la petite dernière qui vient de se lancer, Premier Parallèle, ou encore celles qui favorisent les écritures enrichies comme chez Story Lab. Quand on sait qu’aux Etats-Unis plus de 50% des livres sont désormais numériques, que la nouvelle star des best-sellers, Anna Todd, ( >lire son interview), auteure de la série After, a écrit ses récit sur son téléphone portable en partageant ses chapitres sur le site communautaire Wattpad  -et elle n’est pas la seule- ,  il y a de quoi s’interroger. Pourquoi le Salon du livre, qui se veut promoteur de la lecture, tourne-t-il le dos à la révolution en marche ? Un chiffre est inquiétant : selon une étude Ipsos commandée par Le Centre national du livre (CNL), le désir de lecture est en baisse chez les Français, surtout chez les jeunes. Selon ce sondage, un Français sur trois (33 %) déclare « lire de moins en moins de livres » et ce pourcentage atteint 45 % dans la tranche 15-24 ans. Or  les 15-24 ans sont aussi les grands consommateurs « d’écrans » : c’est donc bien sur ce terrain que le monde des livres pourra les attirer à sa cause ou… les perdre. Mais, laissons de côté ces interrogations et ne boudons pas notre plaisir. Peu importe le support, pourvu qu’on ait l’ivresse de la lecture. Imaginons que rien n’a changé. Au Salon, chacun peut chercher « son » livre, trouver une pépite au détour des innombrables propositions éditoriales, faire le tour du monde en quelques stands, découvrir un nouvel auteur et se cultiver au gré des débats aux vertus souvent pédagogiques. Partons à l’abordage de la plus grande librairie éphémère de France, osons nous déconnecter de nos écrans pour quelques heures et demandons au temps de suspendre son vol. 

Informations pratiques

>>Livre Paris
Du 15 au 18 mars 2019
Parc des Expositions Porte de Versailles
Pavillon 1
Tout le programme sur le site du salon

4.5
 

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