Tendances de la rentrée littéraire #2

Des vertiges du deuil à l'exaltation littéraire

Suite de notre panorama des tendances de rentrée : après la guerre et la violence, voici le tour des thèmes du deuil et de l’absence d'occuper le devant de la scène. L'exaltation littéraire, qu'elle soit refuge, exercice d'admiration ou jubilation poétique est également une forte source d'inspiration. Découvrez les livres que nous vous recommandons en cette saison riche de lectures passionnantes.
>Lire aussi la première partie des tendances de la rentrée : Guerre, violence et faits divers au cœur des romans de la rentrée, ainsi que la troisième et dernière partie : De la satire sociale à la difficulté des liens familiaux.

La vie après le deuil ou l’absence

Comment vivre ? Que ce soit après la mort ou après un séisme ou parce que la vie ne peut plus vous porter. Les écrivains de cette rentrée abordent l'absence et ses (im)possibles suites.
Philippe Forrest explore avec Crue (Gallimard) les confins de cette "aberration"de vivre après la disparition des autres et même du monde. En filigrane, un nouveau livre qui s’inscrit dans une œuvre qui est dédiée à la mort de sa fille, que l’auteur de cesse de convoquer par différents biais. Et toujours intacte, la douleur de l’absence. Comme toujours chez Philippe Forrest l’écriture est magnifique et le livre en devient presque liquide, tant il est fluide. Un grand et beau livre.
Une même absence, qui bouleverse le narrateur de Au commencement du septième jour, (Stock). Luc Lang, écrit sur la difficile réappropriation de la vie après la disparition de sa femme. Commencer quand une vie se termine. Impossible suite. Et pourtant, chaque jour va, non pas construire une renaissance, mais invoquer le sens de cette «vie-là ». Un livre qui marque la rentrée, car l’auteur écrit d’une autre manière sur le deuil. Il ne se concentre pas seulement sur le chagrin, mais sur le sens. Et c’est ce qui rend ce texte incontournable.
Toujours l’absence chez Lionel Duroy avec le bien-nommé L'absente (Julliard). Dans ce cas, il s’agit d’un après divorce qui va tout bousculer comme après un tsunami dans la vie de l'auteur. Divorce-destruction, du présent, de l’avenir, mais aussi du passé ? Que reste-t-il quand rien ne reste ? Des fantômes du passé ? La fuite ? L’humour ?  Des rencontres improbables ? Un peu de tout cela dans L’absente qui est un livre jubilatoire, car Lionel Duroy ne semble jamais plus à son aise que dans la fuite.
Yann Martel aime l’érudition et les jeux de constructions, plus que les émotions. Quand il écrit un livre qui part d’un deuil, Les hautes montagnes du Portugal (Grasset), il ne peut que se lancer dans un ensemble de quêtes autour d'un mystérieux manuscrit à Lisbonne, ou dans la recherche de ses racines. Plus fort que les personnes, plus fort que leurs destins, ce sont les lieux qui font le lien, en l’occurrence ces hautes montagnes portugaises. Le livre est un peu complexe. Il faut aimer les constructions imaginaires et les lignes de biais. Ceux qui ont aimé L’histoire de Pi retrouveront avec plaisir les sentiers de Yann Martel, les autres passeront leur chemin.
Céline Minard  ne parle pas de deuil, à proprement parler dans Le grand jeu (Rivages). Il s’agit plutôt d’un deuil d’elle-même, d'une mise à "vide", perchée à flan de montagne, recherchant dans cette confrontation avec les éléments la réponse à la question : comment vivre ? Ou plutôt qu’est-ce que vivre ? Entre ciel, roche et vertige, une ultime confrontation qui force la narratrice à se recentrer sur son essentiel. Son grand jeu à elle, c’est de disparaître du monde pour modifier son point de vue… A l’instar de Sylvain Tesson qui avait cherché près du lac Baïkal un refuge de confrontation, Céline Minard prend le risque du vide, pour savoir où est sa densité. A l’heure où le divertissement facile est roi, ce livre surprend et interroge.

Souffle de l’écriture, puissance des émotions et des paysages

Mise en abyme, recherche du souffle littéraire, sujet-objet tiré de l’envers des livres… l’inspiration poétique et littéraire est un courant fort de la rentrée. Voici ceux qui nous ont charmés, voire éblouis.
Premier de la liste des auteurs à l’écriture inspirée : Andrei Makine qui revient avec  L’archipel de notre vie (Seuil). Notre nouvel Académicien retrouve ses sujets de prédilection : une communion avec un paysage russe (confins de l’Extrême-Orient), une confrontation de personnes que tout oppose, d’un côté les tenants du droit, de l’autre un fugitif. Chasse à l’homme, paysages, questionnement profond… un livre beau dans tous les sens du terme, que nous avons trouvé un peu trop sage (trop académique ?). Mais Makine reste Makine. Et la Russie procure toujours le même effet "extrême".
De Russie, il est aussi question chez Vénus Khoury-Ghata. Dans Les derniers jours de Mandelstam (Mercure de France), elle évoque la vie du poète russe Ossip Mandelstam mort à quarante sept ans dans un camp de transit, victime des purges staliniennes. Le poète revoit sa vie défiler, alors qu’il sent sa fin prochaine. On retrouve les figures des grands poètes comme Boris Pasternak, Marina Tsvetaïeva … Un très beau livre sur la force de la poésie envers et contre tout/tous.
Sophie Van Der Linden est aussi une poétesse des mots. Ce n’est pas en Russie qu’elle nous entraîne, mais près d’une mer universelle. Son De terre et de mer (Buchet-Chastel) est un texte envoûtant qui accompagne la visite de 24 heures d’un homme sur une île, alors qu'il vient revoir la femme qui l’a quitté. Ce voyage au bout de la relation est aussi l’occasion de rencontrer la beauté du lieu. Sophie Van Der Linden est décidément une auteure rare, qui a la poésie dans la peau et la magie des récits dans les doigts. Un livre à lire pour décoller.
Gourmandise des mots et poésie toujours, avec Audur Ava Olafsdottir qui revient avec Le rouge vif de la rhubarbe (Zulma), en réalité son premier livre écrit, dans la même veine que Rosa Candida. Une belle histoire simple, avec une héroïne qui aime aller chercher aux beaux jours de la rhubarbe dans la montagne islandaise. On savoure. On hésite entre jubilation et émerveillement. Quelle fraîcheur… Ceux qui ont aimé le ton presque enfantin de Rosa Candida adoreront Le rouge vif de la rhubarbe. Nous,  on a craqué pour cette rhubarbe si savoureuse.
Autre grand coup de cœur poétique, pour ne pas dire révélation : Anguille sous roche (Le Tripode), premier livre du comorien Ali Zamir. Un livre unique, un ton nouveau, un torrent écrit comme une longue phrase. On suit la noyade d’Anguille qui coule dans l’Océan Indien et qui crache tous les mots qui lui restent, dans un bouillonnement vrombissant. C’est un livre magnifique et surtout un nouveau talent qui s’impose. Remarquable.
On s’éloigne un peu de la poésie pour aller vers le conte. Salman Rushdie qu'on ne présente plus, part dans un voyage imaginaire avec Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits (Actes Sud), un texte nourri de mythologie indienne, tissé à l’aune de la société d’aujourd’hui. C’est touffu et un brin trop riche, mais écrit avec une telle liberté qu’il est agréable de se laisser porter au-delà de sa zone de confort culturelle. Les adeptes du minimalisme passeront leur chemin !
Du conte au théâtre, il n’y a qu’un pas que franchit aisément Tonino Benacquista. Son Romanesque (Gallimard) est drôle, enlevé. On suit les tribulations d’un couple en cavale aux Etats-Unis qui va dans un théâtre voir une pièce. Le théâtre est le contrepoint de cette scénographie de la vie qui n’en finit pas de sécréter ses rebondissements. Du divertissement qui ne manque de jouer avec le sens du roman. On sent que l’auteur s’est amusé à nous perdre dans les coulisses. Nous aussi.
Du clin d’œil et de l’exercice de style, il y en a aussi dans le surprenant premier roman d’Elodie LLorca : La correction (Rivages). Mais autant Tonino Benacquista adopte le ton de la comédie, autant Elodie LLorca nous entraîne vers un suspense angoissant. Un correcteur professionnel se retrouve confronté à la perversité de sa directrice alors que des coquilles et des fautes sont rajoutées systématiquement à ses corrections par une personne mal intentionnée. Le texte et les fautes. Quand la guerre d’une lettre devient la guerre de l’être. Une belle prouesse et une promesse. On a envie de poursuivre la traque. Ah quand le prochain roman ?
Dans la veine de la mise en abyme de la littérature comme sujet-objet de roman, Caroline Hoctan est aussi une belle découverte de cette rentrée. Son deuxième roman, Dans l'existence de cette vie-là (Fayard) est une sorte de « Matrix à la lettre ». Il cherche à résoudre l’énigme des livres : et si la fiction était un des ressorts de la réalité ? Le personnage central dont on ne saura pas s’il est masculin ou féminin enquête sur cette face cachée du réel. C’est malin même si un peu compliqué parfois. Péché de jeunesse. Caroline Hoctan a manifestement encore beaucoup de choses « à vivre » en littérature.

L’inspiration littéraire, relève aussi de la fascination pour les autres écrivains, qui deviennent sujets du livre. Un petit bijou du genre est Les mots entre mes mains (Préludes) de la britannique Guinevere Glasfurd, qui revient avec une grâce qui pourrait rappeler celle de ses compatriotes Julian Barnes et de Tracy Chevalier (on lui souhaite le même succès que ses deux aînés). Guinevere Glasfurd  raconte l’histoire vraie d’Helena Jans van der Strom , qui fut la servante de Descartes, avec lequel elle aura une liaison. Entre ces deux êtres que tout oppose va naître une belle relation d’amour, même si interdite. Un livre complètement addictif, qui nous fait voir l’auteur du Discours de la méthode sous un autre jour et revivre une époque où la liberté des femmes et leur accès à la connaissance étaient un rêve inaccessible.
Autre siècle et autres mœurs, l’américain Stewart O'nan revient sur la vie de Francis Scott Fitzgerald, qui ne lasse pas de fasciner, dans Derniers feux sur Sunset (L’Olivier ). Il lève le voile sur les dernières années de l’écrivain mythique, ses combats avec la dépression et l’alcool. Un livre touchant, presque poignant, qui montre combien talent, succès et bonheur font rarement bon ménage. Et la fête revêtit les habits noirs de la mélancolie…

L’art et ses peintres inspirent les romanciers

De l'inspiration litétraire, il n'y a qu'un pas pour aller vers l'inspiration artistique. De nombreux auteurs ont recherché la trace de leur récit au travers des peintres en cette saison. Coïncidence ? L'oeuvre romanesque revendique de plus en plus sa liberté toutes frontières créatives confondues. 
Dans son second roman, Le bal mécanique (Anne Carrière), Yannick Grannec fait revivre l'école du Bauhaus, splendide fresque autour des milieux artistiques de l'avant-garde dans l'Allemagne de l'entre-deux-guerres. Un livre foisonnant qui ne se quitte pas et qui montre combien cette école a fécondé la deuxième moitié du XXe siècle. Un livre qui fait déjà beaucoup parler de lui, tant il mêle formidablement recherches documentaires et récit imaginaire.
Véronique Ovaldé part de la peinture de Roberto Diaz Uribe, découverte un matin de juin au musée de Bilbao dans  Soyez imprudents les enfants (Flammarion). Une surprenante « rencontre » avec un peintre, qui a disparu un beau jour et dont l’héroïne, Atanasia, va chercher la trace. Un récit qui prend l’Espagne en décor, l’art en détonateur, et qui a des accents universels. En cherchant le peintre, c’est elle-même que la jeune femme va trouver. La peinture apparaît ici comme une alchimie spirituelle qui parle aux yeux de ceux qui veulent bien regarder...
De son côté, Jean-Michel Guenassia succombe dans La valse des arbres et du ciel (Albin-Michel) à la passion Van Gogh, génie absolu, fulgurant, qui a produit une œuvre gigantesque en peu d’années. L’auteur revient sur la fin de sa vie et évoque la passion avec sa dernière amoureuse, Marguerite Gachet, fille du docteur Gachet. Jean-Michel Guenassia revisite la légende, évoque d’autres issues à ce destin dont l’histoire a figé les contours. Guenassia les floute, et y apporte des jeux de lignes à la Van Gogh… Un livre qui s'impose aux fans de l'artiste à l'oreille coupée.
 Les peintres inspirent décidément beaucoup les romanciers cette année, puisque Françoise Cloarec s’intéresse elle à un peintre souvent mal aimé parmi les impressionnistes, Bonnard, dans L’indolente. Le mystère Marthe Bonnard (Stock). Françoise Cloarec nous le fait découvrir au travers de celle qui partagea sa vie entre 1893 et 1942. Marthe sera à la fois son amoureuse, sa muse, son modèle et sa « partenaire ». Une histoire fascinante qui  montre la complexité de l'inspiration. Un document sur l’art et sur une époque vieille d’un siècle seulement, qui semble pourtant si lointaine. 

Trois textes posthumes

Nous ne saurions clôturer ce survol des tendances inspirées et inspirantes de la rentrée sans évoquer trois livres posthumes.
Le premier, au titre presque prédestiné est signé Michel Butor : Par le temps qui court (La Différence). Un merveilleux recueil de ses poésies qui porte toute la beauté des mots de cet immense esthète-artiste-écrivain qui vient de nous quitter. A lire, relire, déguster en entier ou par morceaux. A conserver surtout.
Le deuxième provient d’un autre géant des lettres: Jim Harrison. Dans son dernier livre, Le Vieux Saltimbanque (Flammarion), l’écrivain américain emblématique revient sur son parcours qui a pris sens le jour où il a accepté de suivre son propre souffle. Un livre à lire pour percer les secrets de l’homme, saisir la magie de son écriture et comprendre l’Amérique des marges.
Mention spéciale à un autre écrivain américain qui nous a quittés récemment, Kent Haruf. Son livre posthume, Nos âmes la nuit (Robert Laffont) est une merveille de poésie. Il frémit à chaque page. On en a les larmes aux yeux, car on se dit que Kent Haruf est parti en ayant accompli le rêve de tout écrivain : écrire au plus juste de son âme.
>A noter : certains livres cités ne sortiront qu'en Octobre, mais ils sont déjà en prévente chez les libraires.
>>Lire aussi la première partie des tendances de la rentrée : Guerre, violence et faits divers au cœur des romans de la rentrée, ainsi que la troisième et dernière partie : De la satire sociale à la difficulté des liens familiaux.

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