Et si Hitler réapparaissait dans l’Allemagne d’aujourd’hui? Telle est l’hypothèse du journaliste allemand Timur Vermes dans « Il est de retour » (« Er ist wieder da »), un livre qui commence comme une farce à la Borat et se termine en une fresque dramatico-bouffonne digne de Volker Schlöndorff. Le déferlement médiatique ne s’est pas fait attendre: 1,5 millions de lecteurs, une traduction en trente-cinq langues et bientôt une adaptation cinématographique. Comment expliquer un tel engouement ? Hitler serait-il aujourd’hui une valeur marketing montante, en résonance avec la percée des partis d’Extrême-droite en Europe ? A qui profite cette victoire éditoriale écrasante ? Pour le comprendre, nous avons interrogé l'auteur de cette fable grinçante.
Timur Vermes est né à Nuremberg en
1967 d’une mère allemande et d’un père juif hongrois réfugié en Allemagne en
1956. Il incarne à lui seul toute la
complexité d’un destin façonné au croisement de l’Histoire, fruit d’une
alliance « dissonante » dans l’Allemagne d’après-guerre. Il a d’abord
été journaliste, puis « nègre » pour quelques personnalités en vue
Outre-Rhin. Deux métiers qui lui ont appris l’observation, la duplicité des discours et l’impact médiatique. Comment
l’idée de « Il est de retour »,
son premier livre, lui est-elle venue ? « J’étais en vacances en Turquie. Dans une
librairie qui vendait des livres d’occasion, j’ai trouvé une édition du 'Second book of Hitler'('Deuxième livre d’Hitler'). Je me suis
dit que j’allais écrire le troisième. » Pourquoi Hitler ? « Parce que c’est facile de le présenter comme
le mal absolu. C’est une manière de l’isoler dans la mémoire, de le faire
apparaître comme un phénomène singulier, un accident de l’Histoire. S’il a
émergé, c’est qu’il a été autre chose. Comment son
emprise a-t-elle été possible ? ». Par conséquent, un
contexte de même nature pourrait-il provoquer l’avènement d’un nouvel Hitler ?
Là est toute la question que soulève in
fine Timur Vermes.
Ne nous trompons pas, ce n’est pas parce que ce récit est écrit à la première personne au nom du Fürher, que l’auteur cherche à rendre Hitler émouvant. Nous
sommes loin des subjectivités « humanisantes » comme dans « Les Bienveillantes » de Jonathan Littell ou dans « HHH » de Laurent Binet, qui posaient la question du mystère intérieur de ces
êtres qui ont commis l’inqualifiable. Non, ici, il s’agit d’un jeu d’écriture sans aucune empathie. L’auteur s’empare d’une
marionnette et conduit son jeu, comme un enfant s’amuserait à diriger une
figurine en plastic. Pourtant, au fur et à mesure qu’il avance dans le texte, le lecteur voit son rire devenir de plus en
plus grinçant. C’est même un sentiment de « malaise » qu’il finit
par ressentir. Comme s’il s’était laissé piéger, sans comprendre comment. Le véritable ennemi ne vient pas de
l’intérieur d’Hitler lui-même, mais du
dysfonctionnement généré par l'addition entre son personnage et son entourage. L’enfer ce n’est pas juste lui, mais « lui et les
autres ». Les autres, qui presque malgré eux, se laissent entraîner par une logique sans faille.
Pourquoi Timur Vermes a-t-il préféré mettre en perspective la personnalité du Fürher plutôt que de s'attacher à déconstruire son personnage de l'intérieur ? « En commençant à
me documenter, je m’attendais à faire émerger un personnage fou, ridicule. Mais
ce que j’ai constaté, c’est qu’Hitler n’était pas ce fou grotesque qu’il serait
tellement arrangeant d’imaginer. Ce qui m’a frappé, c’est qu’il a toujours été
transparent. Tout avait été écrit dans ‘Mein Kampf ‘, y compris le projet
d’extermination des Juifs. Il n’a pas agi par surprise. Il a séduit, puis entraîné toute une population dans l'exaltation et le déni.»
La mécanique de conviction de la machine hitlérienne est risible et grossière, si on la regarde hors contexte, mais ajustée à un système
en place, elle s’est emboîtée avec une rigueur parfaite. Timur Vermes prend le contrepied du concept de banalité du mal d’Hanna Arrendt. Ici, le « monstre »
n’est ni banal, ni fou. Pour devenir un leader charismatique hors norme, il va
séduire, précisément parce qu’il semble providentiel. Et c’est cette séduction « ontologique » qui finit par
masquer le message lui-même. Serait-ce la fascination pour un sauveur, le sens du mal suprême ? « C’est en tout cas dans cette rencontre
historique entre un rêve et un aveuglement, qu’un être comme Hitler a pu
exister. C’est difficile à dire, mais Hitler a été Hitler, car il a été ‘mainstream’, si on veut utiliser une terminologie actuelle. »
Dans l’Allemagne d’aujourd’hui, la réapparition d’Hitler figurée dans le roman
(ou de celui qui se fait passer pour lui, on se sait jamais vraiment) va être
portée par le rôle croissant et
omniprésent des médias, lancés dans une obsessionnelle course à l’audience.
Le danger en 2014 viendrait-il de la télévision et d’Internet, principaux vecteurs
médiatiques ? « Internet est
certainement le média le plus 'viral' et le plus incontrôlable. Mais
un dictateur sait toujours utiliser le ou les canaux qui s’offrent à lui, quels
qu’ils soient. Il sait les utiliser à son profit et chercher leur point faible. »
Faut-il s’inquiéter dans le futur de l’arrivée
hypothétique d’un nouvel Hitler ? « Le monde ne manque pas de dictateurs. Quand on voit qu’un acteur avec
une tête de clown sorti de nulle part (Beppe
Grillo) a fait 25,5% aux dernières élections en Italie et qu’il représente aujourd’hui
la deuxième force politique au Parlement.. il y a de quoi se poser sérieusement
la question de la fragilité de nos démocraties. » Que penser aussi de Dieudonné ? « Je n’ai pas suivi cette histoire, mais elle est significative de
la force 'd'attraction' d’un acteur qui a le talent de faire rire. Lorsqu’il
glisse vers la diffusion de messages terribles, son public continue de rire. Il
y a évidemment une alchimie qui ‘marche’, sinon il ne remplirait pas une salle.»
Pour la première fois, les sondages annoncent une forte montée des partis extrémistes aux prochaines élections européennes. Nos démocraties seraient-elles en danger ? Et « Il est de retour » tristement prophétique ? « La dictature est un système ‘compétitif’ : un discours clair, une rapidité d’exécution, l’émergence d’une personnalité forte. Alors que les démocraties génèrent des discussions, des incertitudes. Donc, surtout en période de crise, c’est moins ‘vendeur’. Il faut vraiment que ceux qui se tournent vers les leaders extrémistes sachent quel modèle de société ils veulent. Veulent-ils ouvrir la porte en toute légalité à celui ou celle qui demain leur confisquera leur liberté ? » Le « plus jamais ça » reste pourtant fortement ancré dans les mémoires : les votes extrémistes ne sont-ils pas davantage l'expression d'une protestation, que celle d'une adhésion ? « C’est toujours ce qui se dit. Et c’est ainsi qu’Hitler est apparu. Dans ce livre, j'ouvre une voie de réflexion. Je n’apporte pas de réponse. Je laisse chacun libre d’interpréter sa ‘suite’. » On l’aura compris : le livre de Timur Vermes, s’il divertit au commencement, interroge finalement. La morale de cette fable? Tout dictateur vit aux dépens de ceux qu’il séduit. Cette leçon sera-t-elle entendue ?
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