Critique libre

Savages: B.A-BA de la série B

La série B n'est pas réservée qu'au seul 7ème art. La littérature aussi a ses exemples, des milliers d'ouvrages commercialisés à bas prix, dont les couvertures vont de la sobriété élégante de la Série Noire de Gallimard aux dessins tapageurs mais délicieusement outranciers des pulp fictions américains. Avec Savages, Don Winslow respecte les conventions du genre, tout en les soumettant au fouillis technologique et politique de l'époque contemporaine. Et laisse le lecteur essoufflé.

>Accéder à la fiche de Don Winslow >Accéder à la fiche de Savages
>Lire aussi notre diaporama sur les paradis artificiels en littérature

Le respect du genre

Don Winslow est un écrivain hard-boiled. Comme les détectives ou les vieux shérifs éternellement affublés d'un Stetson, il est un spécialiste en sa matière: le polar, de préférence narcotique, situé entre Piccadilly, la Californie et le Mexique. Auteur du formidable La Griffe du chien, Winslow est né au début des années 50, et a été metteur en scène, comédien, guide de safari et... détective privé, évidemment. Autant de métier (on a failli écrire styles) qui se retrouvent dans Savages, son dernier roman, qui n'est pas un policier: à la place de l'agent du FBI, ou du médecin-légiste (qui commence à devenir, à son tour, un personnage-cliché), trois narcotrafiquants, à la cool certes, mais narcotrafiquants tout de même. Trois personnages de série B ultra-prévisibles, jugez plutôt: Ophélia, appelée O., bimbo blonde aux orgasmes tonitruants, "Plan de Relance à elle toute seule", accro au shopping et à la vie facile; Chon, vétéran de l'Afghanistan et de l'Irak, Rambo invétéré shooté aux amphétamines pendant les combats; et Ben, génial concepteur - pacifiste humaniste - d'une variété de cannabis imbattable, l'hydro, qui leur assure de confortables revenus. Ce qui ne plaît pas au Cartel de Baja, association à but lucratif et illicite de Mexicains peu partageurs. L'adverbe "évidemment" aurait pu introduire chacune des phrases précédentes, puisque le roman de Winslow suit à la lettre les clichés, les passages obligés de la série B: la grande qualité de Savages n'est sûrement pas l'originalité de son intrigue ou de son dénouement. "N'importe quel lecteur ou spectateur de western, roman ou film, le sait." écrit l'auteur.

 

Dans la jungle de la politique mondiale

La quatrième de couverture cite Jules et Jim de François Truffaut: en réalité, le trio amoureux évoque plutôt les ados libres de Kaboom (Gregg Araki), s'il fallait absolument une référence cinématographique. Contrairement au long-métrage de Truffaut, l'intrigue de Savages n'est de toute façon pas centrée sur le triangle amoureux qui, ici, est surtout sexuel, voire seulement charnel. Le seul film cité dans le roman, par Chon, est Butch Cassidy and the Sundance Kid (1969, George Roy Hill), un western, ce qui est particulièrement révélateur du genre auquel Winslow veut rattacher son roman. Pas d'enquête centrale, pas de meutrier à démasquer, la seule tension est celle de l'attente de la fusillade finale, le duel, ici démultiplié par le nombre de personnages, que l'on guette avec une impatience morbide. Et pourquoi le western? Parce que le monde contemporain en est affreusement proche, toujours, encore, malgré le "progrès": flics corrompus, femmes battues et méprisées, racisme ambiant, misère qui pousse au crime... Pourquoi se voiler la face? Les petits arrangements avec la loi sont la monnaie la plus courante, derrière les dollars sonnants, à l'image de ce récit - surréaliste et vrai! - de l'Opération Condor, vaste entreprise anti-drogues lancée par les Etats-Unis qui profita finalement aux trafiquants. Conclusion inévitable: "Chon a toujours su qu'il existait deux mondes distincts: Les sauvages. Et les moins sauvages." Et les moins sauvages ne sont pas ceux que l'on imagine: Ben Laden était une "création" des Etats-Unis.

 

Ecriture de notre temps

Le défi, pour Don Winslow, n'était pas de prouver sa maîtrise du genre: "Réveillez-vous les gars! Don Winslow, c'est le top!" proclame James Ellroy au dos du livre. Le véritable enjeu relève plutôt d'une nécessaire modernisation d'un genre, qui se doit d'être ancré dans la réalité, suivant une technologie en mouvement constant. Et c'est surtout de ce point de vue que Savages impressionne: les otages apparaîssent sur Skype, les attentats se préparent sur Google Maps, et le syndrome de Stockholm se traduit, de nos jours, par cette phrase cocasse: "Il rassemble tout son courage et lui demande d'être son ami sur Facebook". Winslow présente le roman en streaming (technique qui permet de regarder les vidéos sur Youtube ou d'autres sites de partage): 290 chapitres courts, nerveux, qui se lisent à la chaîne comme un feuilleton parfaitement ficelé, incroyablement efficace, addictif avant tout. Et Winslow n'hésite pas à se frotter au langage SMS, entraînant le lecteur dans un tourbillon d'abréviations (O., Chon, Ben, tous les personnages principaux sont désignés par des diminutifs).

 

Le roman: un programme hédoniste

Traditionnellement, les scéances de cinéma classées série B proposaient deux films à la suite. C'est un peu le même état d'esprit qui règne sur le roman de Don Winslow: Savages est un roman pour le plaisir, la jubilation, le trip littéraire de construire une fiction qui fait souvent rire à l'aide de dialogues savoureux, plus ou moins subtils en terme d'humour, mais qui font toujours mouche: Savages fait penser à un ouvrage de Bret Easton Ellis rigolo (l'influence du cannabis?), croisé avec des dialogues directs et démesurés qui pourraient sortir de la bouche de Mike Hammer, le détective acariâtre créé par Mickey Spillane. Winslow célèbre cet acte d'amour entre la littérature et le cinéma en introduisant des passages particuliers dans son roman, imprimés dans une typographie habituellement destinées aux scenarii. Autant de scènes cultes, de passages obligés, de dialogues qui pourraient être oubliables mais sont finalement inoubliables tant ils sont improbables ("Je vais lui faire une offre qu'il ne pourra pas refuser.", par exemple). C'est sans surprise, mais avec une certaine impatience, que l'on apprend qu'Oliver Stone est en train de préparer l'adaptation cinématographique de Savages, avec Uma Thurman et John Travolta (couple culte de Pulp Fiction de Quentin Tarantino, réalisateur habitué à la série B jouissive). Don Winslow offre un A+ à la série B.

En savoir plus

Don Winslow, Savages, traduit de l'anglais par Freddy Michalskiéditions du Masque

0
 

En ce moment

Prix de de La Closerie des Lilas 2024: Arièle Butaux, lauréate pour « Le cratère »

Ce jeudi 25 avril, les fondatrices, Emmanuelle de Boysson, Carole Chrétiennot, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Stéphanie Janicot, Jessica Nelson

Festival de Cannes 2024 : la liste des films en compétition

La cuvée 2024 de la  77e édition du  Festival de Cannes ,qui se tiendra cette année du 14 au 25 mai, a été dévoilée par Thierry

Festival du Livre de Paris 2024 : succès avec ses 103 000 visiteurs et des ventes en hausse

Le Festival du Livre de Paris 2024 se clôture sur une note de succès avec 103 000 visiteurs et des ventes en hausse de 6%. 

« Strasbourg, capitale mondiale du Livre » : du 23 au 28 avril 2024, un programme exceptionnel pour la semaine inaugurale

Première ville française désignée Capitale mondiale du livre par l’UNESCO, Strasbourg lancera le 23 avril 2024 une semaine de festivités pour ma

Le TOP des articles

& aussi