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Rose de Tatiana de Rosnay

Après Elle s'appelait Sarah, succès d'édition mondial consacré par une adaptation cinématographique, Tatiana de Rosnay se tourne vers le roman historique avec Rose, son dernier ouvrage, publié par les éditions Héloïse d'Ormesson. Une plongée, dans le passé, le présent et le futur incertain de deux huis clos: l'intériorité de la jeune femme et sa maison promise à la destruction par la modernisation de Paris sous l'autorité du baron Haussmann au XIXème siècle.  L'occasion pour l'auteur, de décliner les thèmes qui lui sont chers: l'attachement à un lieu, la mémoire de son histoire, la trace du passé par les lettres et les fragments, le combat d'une femme seule contre tous. L'occasion aussi de faire revivre une tranche de l'histoire parisienne avec réalisme et émotion.

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Tatiana de Rosnay place son roman sous des auspices prestigieux: l'auteur cite en effet Zola et Baudelaire, auteurs ayant tous deux déplorés à leur façon les mutations incessantes et violentes de la ville, respectivement dans La Curée et Les Fleurs du Mal. Le XIXème a en effet vu la transformation totale de la ville de Paris, pour aboutir aux tracés des rues que nous connaissons aujourd'hui. Supervisés par celui que l'on surnommait le "baron Haussmann", la construction de rues plus modernes et plus vastes s'imposait alors pour une cité à la population et à l'importance en extension.

 

Déconstructions à la chaîne

Sous la forme du roman épistolaire adoptée par Tatiana de Rosnay, le lecteur suit Rose, la protagoniste de l'ouvrage, dans son attente anxieuse d'une échéance à venir. Son foyer, rue Childebert, se trouve en effet au croisement exact du boulevard Saint-Germain et de la rue de Rennes tel que le prévoit le plan d'urbanisme concocté par Haussman et le préfet de Paris. Le roman dresse ici un intelligent parallèle entre la déconstruction inexorable de la batisse et celle de Rose, veuve âgée qui s'obstine à rester dans son foyer. Depuis les pièces vidées de tous les meubles, elle rassemble des souvenirs agréables, comme celui de son mari Armand, ou de la vie paisible qu'elle a connue. Aucun bruit, sauf celui, à peine atténué, des machines de démolition. 

 

La lettre, fenêtre vers l'extérieur

Le choix formel, celui du roman épistolaire, ne s'imposait pas dans le cas d'un roman historique: il s'agit là d'un vrai choix d'écrivain, qui souligne l'enfermement progressif, à la fois physique, psychologique et social de Rose, privées de ses amies qui ont déjà quittées la ville en chantier. La communication épistolaire revêt alors un caractère éminemment nostalgique et mélancolique, très approprié au sujet de l'ouvrage: comment s'affranchir des souvenirs? Rose, bien plus passéiste que matérialiste, vide peu à peu sa maison, déménageant des meubles dont elle ne se soucie guère: son ennui, au sens tragique de tourment, c'est ce bâtiment (qu'elle a d'ailleurs rénové en compagnie de son mari), qui la prive de ses mouvements, tout en lui en autorisant d'autres, ceux de la projection dans le passé.

 

 

Enfermée avec le romantisme

Parquée entre quatre murs, incapable de se mouvoir par manque de courage comme dans un de ses rêves, Rose ressasse sans fin les quelques souvenirs que la vie lui a laissé: le huis clos devient alors extrêmement pesant pour le lecteur, qui doit supporter les évocations plus romantiques que romanesques des souvenirs de Rose, entre sa vie commune avec son mari défunt Armand et la boutique de fleurs de son amie Alexandrine. A cause de cette tentative, certes audacieuse, de huis clos, le roman est réduit à une trame dramatique très sèche, et les correspondances épistolaires peinent à constituer un récit plus vaste, plus vrai. Tournée vers elle-même, l'écriture de Rose ne transmet rien, sauf l'ennui.

 

L'Histoire comme un folklore

Le roman de Tatiana de Rosnay, pour pouvoir être défini comme "roman historique", a recours à la citation systématique de certaines références, comme si un cahier des charges de la réalité avait été constitué avant l'écriture: Balzac, l'Exposition Universelle, l'empereur Napoléon, la Révolution de 1830... Citées, et non analysées ou, mieux encore, jugées, ce qu'ont brillemment fait Flaubert (L'Education Sentimentale) ou Zola (La Curée). Ici, aucun parti pris, et Rose peine à émouvoir le lecteur dans l'évocation de ses souvenirs: la forme épistolaire, pourtant utilisée avec adresse, est neutralisée par un personnage aussi fin que le papier sur lequel il écrit. D'ailleurs, chaque chapitre débute par quelques mots à la calligraphie alambiquée, comme s'il fallait justifier l'existence de l'émettrice.

 

La lecture, travail sur soi et en soi

Rose découvre, en se rendant dans une librairie de son quartier, Madame Bovary de Gustave Flaubert. D'abord circonspecte, voire craintive, face à l'oeuvre, elle la dévore finalement en quelques jours. Elle fait bientôt de même avec Les Fleurs du Mal. Survient alors cette phrase: "Je le sais désormais, en tant que lecteur, il faut faire confiance à l'auteur, au poète.". Si la déclaration est juste, la réciproque ne l'est pas moins, et, en explicitant toutes les évolutions de Rose, du deuil de son mari jusqu'à l'acceptation d'un secret inavouable, l'écrivain réduit à une quantité négligeable le travail que le lecteur doit normalement remplir. Et, ce faisant, transforme son personnage en une triste figure: une rose sans épines.

 

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En savoir plus

Tatiana de Rosnay, Rose, Editions Héloïse d'Ormesson

->Aller sur le site officiel du livre "Rose" de Tatiana de Rosnay

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Saint-John Perse, Eloges, NRF Poésie/Gallimard

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