Entretien

Rencontre avec Tatiana de Rosnay

Viabooks a rencontré Tatiana de Rosnay. L'auteur de" Elle s'appelait Sarah" , prochainement sur les écrans de cinéma revient avec un livre qui fait frémir sans rien désigner directement. Un roman hautement psychologique qui parle de maison, de voisin ... et de personnalités doubles. Tatiana de Rosnay nous confie les gestations de son livre et sa vision du succès. Une jolie rencontre avec une auteure qui "déménage".

 

 Vous avez été et êtes toujours journaliste. Depuis quand écrivez-vous?

Je suis journaliste, mais aujourd'hui de moins en moins car je n'ai plus le temps. J'ai commencé à écrire à l'âge de dix ans. J'ai eu la chance de faire des études de "creative writing" en Angleterre qui m'ont permis de travailler différents principes de l'écriture. Je fais encore de temps à autre des portraits d'auteurs dans le Journal du Dimanche mais mon métier d'écrivain remplit tant ma vie.

Comment avez-vous rencontré Héloïse d'Ormesson?

Cette rencontre a été un cadeau de la vie. Entre 1992 et 2006, j'avais déjà publié huit romans chez Fayard et Plon. Je suis venue interviewer Héloïse lorsqu'elle a monté sa maison d'éditions en 2005.L'histoire a commencé avec "Elle s'appelait Sarah". Avec Héloïse, je pense vraiment illustrer une réelle communion entre un auteur et une maison d'éditions.

Vous venez récemment de publier à nouveau "Le Voisin", texte que vous avez écrit il y a dix ans. Le personnage principal du roman est Colombe, une femme qui écrit pour les autres. Avez-vous fait cette expérience?[image: 2,m,d]

Non, je n'ai jamais écrit pour les autres et c'est un métier que je n'aurais pas pu faire. Celui qui écrit pour l'autre, le nègre, est un personnage lisse, neutre. Il est sans cesse dans l'ombre. Colombe est ce personnage qui a toujours écrit en cachette. Sa soeur, Claire, a lu ses textes à son insu et Colombe a été profondément marquée par ce viol de son intimité. Colombe est une personne qui n'ose pas tendre vers la lumière. Contrairement à sa soeur, il a toujours fallu qu'elle reste au second plan. Son métier de nègre la frustre. Elle rêve d'écrire pour elle mais ne s'en sent pas capable. Colombe concentre en elle un cumul de frustrations qui la mène dans une vie répétitive où elle se met volontairement des oeillères. Elle fait les choses machinalement, aspirée par la musique du quotidien.

Comment décrire Colombe? Ce qui nous semble frappant chez elle est ce mélange entre une terrible solitude et une certaine force.

Oui, Colombe est d'abord extrêmement isolée. Je souhaitais montrer à quel point elle est seule et désemparée aussi bien au niveau de sa vie privée que de sa vie professionnelle. Mais, à partir du moment où elle se fixe des objectifs. Elle les réalise. Au fond d d'elle-même réside une force qu'elle va peu à peu déployer en se libérant du carquois qui la maintient enfermée.

[image: 3,s,g]Le début du roman commence par un déménagement, l'élément déterminant de l'histoire. Dans chacun de vos livres, l'espace est un sujet en soi. Les lieux vous passionnent?

Oui, les lieux fonctionnent comme un point de départ pour moi. Ce sont de véritables révélateurs. Chaque lieu a son histoire et je trouve fascinant d'essayer de retrouver cette mémoire des murs. Dans "Le Voisin", le livre se passe essentiellement dans le même immeuble. Les lieux dans lesquels on vit sont marqués. Je ne donne jamais mes interviews chez moi car j'estime que lorsqu'on franchit ma porte, on entre dans mon intimité. Je cherche à préserver cette part de moi-même. Elle est précieuse et source de création.
Colombe change d'appartement avec ses enfants et son mari absent au début du texte. Elle investit un nouveau lieu qui a d'immenses qualités et ce lieu va lui ouvrir les yeux sur cette vie où au fond elle s'oublie. Le personnage de Colombe était aussi intéressant à créer car j'ai aimé le faire dialoguer doublement. Il y a Colombe, cette femme transparente qui lisse le monde pour éviter toutes les imperfections. Il y a Colombe qui écrit pour les autres et il y a Colombe qui vit intérieurement un paradoxe, qui ne se satisfait pas de sa vie mais qui en même temps culpabilise et par principe, se jette dans le sacrfice.

Un des autres grands personnages du roman est le docteur Fautcleroy, pouvez-vous revenir sur lui?

J'ai beaucoup aimé écrire et décrire ce personnage. Il est à lui seul la somme de paradoxes assez troublants. A la fois, il est séduisant car in-atteignable. Il nous échappe. Il plane sur le récit comme un spectre. Il est là comme une musique lancinante.  Reconnu comme étant charmant et bon médecin par tout le voisinage, on ne peut l'imaginer grossier, si souvent absent et peu enclin au demeurant à l'exubérance. Il n'apparaît presque pas dans le texte excepté pourtant en plein milieu de la nuit à travers les hurlements de Mick Jagger et à la fin. Le docteur Faucleroy est à la fois attirant et profondément angoissant. Ce personnage a été très intéressant à construire. Il est double.

Vos livres et "Le Voisin" en particulier ont la grande qualité de tenir le lecteur en haleine. Quelle est votre recette?[image: 4,s,d]

Je pense que la première chose relève du travail. Je dois nourrir le fil du suspense. Vous constaterez que je soigne chaque fin de chapitre d'une manière particulière pour que le lecteur ait le désir de tourner la page. Prenez par exemple la fin du chapitre quatre, le texte se termine par une question d'Oscar le fils de Colombe, "Mais où étais-tu passée, maman? Qu'est-ce qui t'arrive?" Puis, chapitre cinq: "il se passe quelque chose dans la vie de Colombe. Mais quoi? ou encore fin du chapitre 7, l'interrogation: "Sans un mot, Colombe pivote sur ses talons et sort de la cuisine. Stephane reste seul. Il réfléchit. Le docteur Faucleroy". J'ai appris ce principe de la chute à la fin des chapitres de Mary Higgins Clark. Elle fait souvent des prologues très forts. Dans mon cas, je cherche à attraper mon lecteur et ne plus le lâcher

Comment vivez-vous le succès formidable de vos livres?

Comme une chance de la vie. Parfois, je me dis qu'il faut garder les pieds sur terre C'est assez incroyable et notamment dans les pays étrangers. Je suis numéro un français en Hollande grâce à une très jeune maison d'éditions à qui Héloïse a donné sa chance et qui a su merveilleusement la prendre. En Amérique c'est un très grand succès. Boomerang marche très bien en librairie. Et puis en  Octobre le film de "Elle s'appelait Sarah" sort sur les écrans.

Parlez-nous de cette adaptation, comment trouvez-vous le film?

Il s'agit encore d'une nouvelle aventure assez extraordinaire. Je suis très heureuse de ce film. Serge Joncour, auteur du scénario, a fait un travail vraiment remarquable. Le scénario est quelque chose de sec au demeurant. Or, là, j'ai retrouvé mon livre en un instant. Et puis, la jeune fille de 10 ans qui joue Sarah, Mélusine Maillant est absolument inouïe. Mes propres enfants jouent dans le film et c'est aussi un élément tout à fait spécial. Kristin Scott Thomas est aussi une des clés de la réussite. Son jeu est très subtil et c'est une grande dame du cinéma contemporain. Le film est absolument magnifique et très émouvant. Je suis invitée aux premières dans les trente cinq pays. Je sais que je ne pourrais pas me rendre partout mais je trouve cela très stimulant.

En savoir plus

Tatiana de Rosnay, Le Voisin, Heloïse d'Ormesson.

Tatiana de Rosnay, Elle s'appelait Sarah, Héloïse d'Ormesson.

Tatiana de Rosnay, Boomerang, Héloïse d'Ormesson.

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