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Pascal Quignard, une rentrée en mode Majeur

Un essai, L’Homme aux trois lettres (Grasset) et une exposition à la Bibliothèque Nationale de France (BNF) donnent un écho inédit à la petite musique du silence qui singularise l’auteur de Tous les matins du monde. Avec le tome XI du Dernier Royaume, Pascal Quignard livre un hommage à la littérature en forme de quête éperdue. Un grand millésime.

Portrait de Pascal Quignard

Ceci n’est pas un tombeau mais plutôt un « berceau » littéraire, si l’on ose le néologisme. Pour Pascal Quignard, la littérature est un retour aux sources. Une renaissance. Un retour in utero. L’essayiste et musicien à qui la BNF rend hommage cet automne dans la galerie des Donateurs ne craint pas d’user d’une image provocatrice.

Oui, c’est bien là, in utero, que réside le Dernier Royaume où l’écrivain en proie à la mélancolie rêve de se perdre. Si l’image ne vous rebute pas et que vous envisagez malgré tout de découvrir L’Homme aux trois lettres, c’est que vous êtes un véritable adepte de l’écrivain ! Vous pouvez donc continuer à lire cet article.

« Une douleur toute simple »

Dans ce cas, vous avez sans doute aimé Villa Amalia. L’héroïne, une grande compositrice, y découvre la musique avec une passion qui a tous les symptômes de la perdition. « C’était comme de l’angoisse. On a soudain l’impression d’être engloutie par un tourbillon d’émotions dont on ne resurgira pas. On ne remontera pas. On coule. Il n’ y a plus de bord. On ne retrouvera plus l’équilibre. Cela arrive quand on est très amoureuse. Pour moi c’est la définition. Sentez-vous ce vertige ? C’est le signe. ». Le signe que vous venez de pénétrer dans l’univers incertain et envoûtant de Pascal Quignard. « L’abîme est là et il s’ouvre vraiment et il aspire vraiment ».

Quelques pages plus tôt, le roman évoque la musique contemporaine que compose d’Ann Hidden. Des mélopées « simplement marquée[s] par la douleur. C’était une douleur toute simple. C’était la douleur inconsolable qui fait le fond du jour qu’on découvre. Pudique elle tournait en rond – rond qui tournait court dans un brusque abîme se souvenant de l’ombre ».

Bonjour Tristesse

Pascal Quignard aime la tristesse. Il la caresse, la cajole et la transcende. Il salue les écrivains qui ne font que lire. Il a une pensée pour ces moines copistes tombé dans l’oubli. Il les regarde écrire et s’émerveille : « Augustin se fait baptiser le 25 avril 387 pour avoir vu un homme lire ».

Amateur du mode mineur, sa préférence va aux styles des écrivains qui « sont comme autant de nudités, bouleversantes, particulières, intimes, touchantes, incomparables ». L’essayiste le raconte dans ce dernier opus qui mêle fiction et réflexion, il a jadis sombré dans la dépression. Il s’en est sorti en faisant de la tapisserie. Depuis, il ne cesse de tourner comme une âme en peine autour des prestiges de la littérature, de ses manifestations étranges, de ses réminiscences parfois éclatantes de vérité.

Lacan, que cite encore Pascal Quignard, voyait dans la littérature les « noces taciturnes de la vie vide avec l’objet indescriptible ». Mais pour L’homme aux trois lettres », à l’instar d’un Emmanuel Carrère, l’effet rédempteur de l’écriture est bien réel. Pascal Quignard croit à la transfiguration de la souffrance par l’écriture. Ses illustres prédécesseurs viennent en témoigner. « Le lettré siècle après siècle tourne son visage vers l’autre visage devenu invisible ». Son cas n’est pas isolé. Donc pas désespéré.

Un essai virtuose, entre rêverie et fiction

Dans cet essai virtuose en forme de rêverie l’écrivain est en effet portraituré, non pas en voleur de feu comme Rimbaud, mais en voleur de mots. Au Moyen-Âge l’emprunt littéraire n’était jamais considéré comme un plagiat mais comme une technique littéraire courante, un procédé fertile. Pascal Quignard évoque pareillement les Anciens s’inspirant les uns des autres. Sans vergogne mais toujours au profit du plus grand style. « Homère, parce qu’il est le prince de l’imitation, est le roi du passé », cite Pascal Quignard. 1.

Fort de ces références en forme de laisser-passer, L’Homme aux trois lettres part à la conquête, non pas d’un paradis perdu, mais d’un royaume qui n’existe pas. D’ailleurs, l’auteur des Petits Traités l’annonce tout de go : la littérature n’existe pas. Son étymologie en tous cas. Les Anciens ont brodé sur le sujet, sans succès.

Têtu et dévoué comme peuvent l’être les amants de la littérature courtoise, l’écrivain ne se décourage pas. Il poursuit sa quête des origines de la littérature. « La « chose des lettres » englobe d’un coup, toujours déjà, tout ce qui est venu s’écrire depuis l’origine de l’écriture ». À la manière de Pénélope, il goûte le plaisir infini du palimpseste. Il trompe l’attente. Il entretient la flamme. Et au passage « salue les ombres ». Le premier volume du cycle, couronné par le Goncourt en 2002, était ainsi intitulé : Les Ombres errantes.

On s’égare parfois dans les méandres de son cheminement linguistique. Mais dans ce jeu d’ombres, la renaissance rêvée se profile. « Lire découvre la nature, explore, fait surgir l’expérience dans la pâleur de l’air, comme si on naissait ».

Pas d’inquiétude, l’auteur est encore à l’affût de « tous les matins du monde ». En écrivant, en cousant citations et anecdotes comme le faisaient les auteurs de traités  – « ces coupes, ces coupures, ces découpures dans la masse immense et continue des livres » – il laisse glisser la gaze floue de la mélancolie et se laisse aller à l’épiphanie.

Une mystique de la littérature

Fidèle au format atypique de la série et à son esthétique du fragment, cet ouvrage est un cri du cœur - certes étouffé ténu et retenu, à la Quignard. C’est une profession de foi mezzo voce. Car Pascal Quignard a foi en la littérature. « Plus étendue que l’ontologie du monde, plus nombreuse que les êtres qu’elle désigne autant qu’on veut, plus vaste que tous les genres qu’elle configure, la littérature n’est même pas bornée par la vérité ».

Le mélomane cherche et puise dans les failles de la vie, comme « dans les plaies des dieux et dans les fentes des grottes (…) cette « force agissante, expansive, orageuse, fulgurante ». Il croît au prodige de sa petite « musique silencieuse ». Dans cette glose érudite, entêtante, l’essayiste flirte avec le mystère. Il brode le silence en brillant interprète , comme à son habitude.

Dans le sillage d’Aristote, le scribe résilient note finalement c’est : «  le passé de la joie référente [que toute imitation a pour objet] car chacun est le fils de la volupté passée de ceux qui se sont employés à le faire ».

Références

>>L’Homme aux trois lettres, de Pascal Quignard. Grasset, 180 pages, 18 euros
>>Pascal Quignard, fragments d’une écriture à la BNF, jusqu’au 29 novembre. L’exposition célèbre le don par l’auteur de manuscrits en 2018. 
1 Aristote, Poétique, 1460 

En savoir plus

Exposition à la Bibliothèque François Mitterrand, Pascal Quignard, Fragments d'une écriture. Du 30 sep. 2020 au 29 nov. 2020. La BnF célèbre le don que lui a consenti l’écrivain en 2018 en lui consacrant une exposition. Manuscrits, correspondances, photographies, peintures, éditions rares : une centaine de pièces, présentées au public pour la première fois, invitent à revenir sur les moments marquants d’une carrière littéraire exceptionnelle.

Grâce à un prêt exceptionnel de l’écrivain, le manuscrit autographe du texte est ici exposé pour la première fois. Pascal Quignard se consacre depuis 1994 entièrement à l’écriture. Le premier volume de son cycle Dernier RoyaumeLes Ombres errantes, obtient le prix Goncourt en 2002. Brouillant les frontières entre les genres littéraires, l’auteur accumule dans ses publications des fragments d’essais, de narration.

Pascal Quignard a pour habitude de brûler l’essentiel de ses manuscrits une fois l’œuvre publiée, ce qui confère une valeur particulière à ceux qu’il a choisi de donner à la BnF. Demeurent souvent des feuillets épars, enluminés par l’auteur lui-même qui laisse son pinceau s’engager dans de puissantes allégories. Le manuscrit de Boutès, enluminé par l’écrivain en 2008, est un témoignage unique de son procédé d’écriture. Il constitue le cœur de l’hommage rendu à cet explorateur infatigable de l’expérience humaine.

>plus d'informations sur le site de la BNF

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