Le phénomène Camilla Läckberg

Camilla Läckberg a tout juste 35 ans et déjà trois livres publiés en français, dont les succès ont fait le tour de la planète. Cette délicieuse jeune-femme semble pouvoir donner le bon dieu en confession et pourtant, de livre en livre, elle nous raconte des histoires de meurtres toutes plus sordides les unes que les autres. Nous, lecteurs avalons les pages. La veille s'impose car il est bien difficile de reposer le livre sans en être venu à bout!

Camilla Läckberg a toujours rêvé de faire danser les mots sur la page blanche. Le rêve est devenu réalité le jour de Noël 1998 où une amie avec le mari et la mère de Camilla se cotisent pour lui offrir un stage d'écriture. Au terme de l'expérince, Camilla va se tourner complètement vers le langage des mots et suivre cette route.

Les clés du succès

Aurait-elle une recette magique? Tout d'abord, la mise en lumière d'une atmosphère très particulière. Il est indéniable qu'on se trouve ailleurs, dans les coins reculés de la Suède. Il fait froid. Notre curiosité est attisée car de ligne en ligne, on entre au coeur d'une autre culture. Läckberg a choisi de planter le décor de ses livres dans la petite ville côtière de Fjällbacka et pour son dernier roman à Tanumshede. Deuxième point: Läckberg donne à ses lecteurs les moyens de s'identifier avec les héros de ses textes. Elle souligne à ce propos dans un interview: "C’est le plus bel éloge que je pouvais recevoir. Les lecteurs m’écrivent pour me dire qu’Erica et Patrik sont devenus leurs amis, car ils sont si normaux qu’ils ressemblent aux copains qu’ils invitent à dîner le soir. C’est exactement ce que je souhaitais ; je voulais qu’ils forment un couple comme tout le monde, aux prises avec les tracas et les drames du quotidien. C’est peut-être cette proximité qui fait le succès de mes livres."

Les auteurs qui l'enthousiasment

Läckberg confiait en Mars dernier: '"Habituellement, je préfère les auteurs de polars anglais comme Peter Robinson, Reginald Hill et Val McDermid. J'aime beaucoup aussi les policiers suédois plus classiques comme Asa Larson et Hakan Nesser. Mais Stieg Larsson a apporté quelque chose de nouveau, plus orienté vers l'action. J'adore. J'aime beaucoup les livres de Harlan Coben, ils sont très différents de ce qui existe. Mais, mon livre préféré, depuis très longtemps, c'est "Le Maître des Illusions"de Donna Tartt.

L'Oiseau de Mauvais Augure: l'histoire

Läckberg, dans ce nouveau texte a souhaité mélanger les reality show des années 70 avec la télé réalité de notre époque. L'histoire commence au moment où la ville de Tanumshede accueille une émission de téléréalité et des participants qui cherchent par dessus tout à devenir riches et célèbres. Läckberg confie qu'elle a "essayé de montrer que les candidats sont bien plus intéressants que la caricature qu'ils montrent". Mais, elle fait aussi le constat de notre monde avide d'artifice et de signes de reconnaissance.On retrouve le personnage principal d'Erica Falk, prototype de la femme curieuse, ayant de bonnes raisons de poser des questions et son futur mari Patrick Hedström, commissaire de police. Le mariage est en effet prévu dès le début de ce dernier roman, mais les choses ne sont pas aisées. Plusieurs meurtres s'enchaînent dont le premier est celui d'une femme retrouvée morte dans une voiture, le second une des candidates de l'émission jetée nue dans une benne à ordures. Le commissaire après réflexion se rend à l'évidence que la petite ville au demeurant si paisible est la cible d'un tueur en série.

La télé réalité

Dans ce nouvel ouvrage, Camilla Lackberg revient sur des éléments très forts de notre époque contemporaine. En faisant mourir Barbie alias Millemor, elle montre que cette mort est utilisée comme une publicité pour faire monter l'audience du show. Elle touche du doigt le côté voyeur de l'homme, poussé à ses extrêmes dans nos sociétés. La mort devient alors divertissement. Et, si la police s'en offusque dans le texte, les participants et les organisateurs ne craignent qu'une seule chose: l'arrêt de l'émission. Parlant de Patrick, le commissaire chargée de l'enquête, le texte note: "Il avait toujours l'image du corps nu de Barbie sur la rétine. Savoir que sa mort allait être transformée en divertissement lui souleva le coeur. Qui étaient donc ces gens?".

Le sexe

De la même manière, Lackberg, en intensifiant le personnage féminin de Barbie, fait le portrait de cette société du spectacle où l'artifice doit prôner avant tout. La femme doit exhiber ses atouts sexuels.Dans le cas de Barbie, le texte montre très bien l'évolution de cette jeune femme abandonnée à la vie brisée qui pense donner du sens à son existence en transformant son apparence: "Elle commença par ce qui était à sa portée. Ses cheveux devinrent blonds dans la salle de bains d'un petit ami de passage. Tous ses vieux vêtements furent remplacés par d'autres, plus courts, plus sexy. C'était cela, son ticket de sortie de la médiocrité. Le sexe. Le sexe pouvait lui procurer l'attention des autres et le bien être matériel (...) Un de ses petits amis était pété de thune. Il finança les seins. Elle aurait préféré qu'ils soient un peu moins gros, mais c'était lui qui payait, et il eut le dernier mot". Or, là Lackberg touche du doigt un phénomène de société très présent à notre époque.

Le style

Outre l'atmosphère inquiétante qui se déploie dans ses livres et la description minutieuse des pîèces à convictions, Lackberg démontre de texte en texte qu'elle manie les styles avec une grande agilité. Pour son dernier ouvrage, elle a choisi de poser des petis textes en début de chapitre où l'oiseau de mauvais augure est nommé. Hors champ du récit, ces "incipit" brillent par leur éclat. Les phrases sonnent. Le style est vif et les images ne manquent pas de raffinement. Ainsi, le roman débute par la description d'une odeur,"Il se souvenait surtout de son parfum. Celui qu'elle rangeait sur l'étagère de la salle de bains. Le flacon mauve scintillant à l'odeur lourde et sucrée. Adulte, il était un jour entré dans une parfumerie pour le retrouver et avait souri en découvrant le nom: Poison." Puis, plus loin dans le texte, Läckberg change de ton avec une rapidité formidable. Ainsi, après la mort de Lillemor, alias Barbie, les candidats se retrouvent. Les uns et les autres discutent de l'événement. On donne soudain la parole à Tina qui entonne: "Je trouve que c'est super tragique. Elle avait les larmes aux yeux et elle secoua la tête. Je veux dire, elle avait la vie devant elle". On est immédiatement propulsé dans le show télévisé. Le ton est juste.

La nouvelle vague des auteurs suédois de polars

Camilla Läckberg confiait à notre confrère, François Lestavel que :"ce phénomène du polar a commencé avec le couple Sjöwall et Wahlöö qui a écrit de très bons polars dans les années 90 [traduits chez Rivages.] Ils ont imposé un niveau très élevé pour ce genre que d’autres auteurs ont suivi. C’est un peu comme le miracle tennistique suédois qu’avait initié Björn Borg ! Pourtant, on ne s’attendait pas à trouver autant de cadavres dans le placard d’un pays en apparence si calme... C’est vrai que nous ne montrons pas nos émotions et qu’en Suède nous sommes très corsetés par des lois que nous respectons scrupuleusement. Mais quand la marmite explose, ce n’est pas à moitié". En effet, accrochez-vous pour ce nouveau roman marqué une nouvelle fois par la fascination de son auteur pour les ténèbres et  la part de malin qui est en chacun de nous.