Conversation

Rencontre avec Roberto Ferrucci

A la terrasse d’un café aux faux airs de vacances balnéaires, nous rencontrons l’écrivain et journaliste vénitien Roberto Ferrucci.
Son livre « Ça change quoi » rencontre un bel écho en France, alors qu’il vient de publier en Italie un livre consacré au footballeur Andrea Pirlo et se prépare à publier son prochain livre dans notre pays. 

Conversation de plume et d’azur sous un beau soleil d’été parisien.

->Lire aussi notre critique sur la fiche du livre « Ça change quoi » 

France-Italie, Italie-France, Roberto Ferrucci est familier des vagabondages transalpins. Celui qui est aussi le traducteur de Jean-Philippe Toussaint appartient à la famille des « écrivains minimalistes » comme il aime à se définir ; minimaliste et moderniste, avec son iPad rutilant et son ubiquité très technologique.

Roberto Ferrucci aime parler, même s’il n’écrit pas pour se raconter. Il sait qu’écrire est une aventure en deçà du verbe, dans cette incise entre le réel et le néant. Même s’il parle français, c’est l’Italie qui  sonne au détour de chaque voyelle qu’il prononce. Non pas l’Italie de la dolce vita, mais celle un peu confuse d’une souffrance, celle qu’il dénonce tout en  l’honorant à chaque phrase, chaque page...

 

Viabooks : Votre récent livre est un roman qui évoque les événements de Juin 2001 qui se sont passés en Italie pendant le G8. Pourquoi ce parti pris presque journalistique en  amont de votre travail romanesque ?

Roberto Ferrucci : Je me considère comme un écrivain avant tout. Mes collaborations journalistiques me permettent de poser un regard sur la réalité, mais un regard d’écrivain pas de journaliste. Et si mes livres se servent d’événements réels, ce n’est pas pour les relater mais pour montrer comment cette réalité pénètre l’imaginaire et le réel de l’intime. C’est dans l’interférence intériorisée que je me sers d’un événement X o Y comme d’un miroir. Mais mon récit ne vient pas relater. Il « conte ». Dans « Ça change quoi » j’ai voulu montrer comment les sentiments sont conditionnés par la réalité et comment cette réalité va changer le mode de vie. La fonction d’écrivain selon moi est d'éveiller les consciences du lecteur. Je ne cherche pas la vérité, mais je m’intéresse à la mémoire.


VB : La réalité, vous l’assimilez surtout à une brutalité ?

RF : Mais c’est cela dans l’Italie d’aujourd’hui ! C’est pourquoi, je me demande comment on peut vivre des sentiments dans un pays autoritaire qui nie notre statut d’être pensant. Dans le livre l’héroïne Angela est  la fiancée du narrateur : je veux montrer comment les violences policières des événements de Juillet 2001 pendant le sommet G8 de Gênes peut aussi gangréner leur vie amoureuse. Car comment croire en la noblesse des sentiments quand tout ce qui vous entoure vous pousse à fermer les yeux et vous réfugier dans une fausse quiétude ?

 

VB : Vous n’avez volontairement pas mis de point d’interrogation pour « Ça change quoi ». Par désespoir ?

RF : Le titre du livre s’est imposé à moi à la fin de l’écriture du livre. Dans cette absence de point d’interrogation, je vois, en effet une forme de désespoir, mais c’est aussi l’idée de ne pas poser "une question" pour directement rentrer dans le récit, sans transition. Car il n’y a plus de question possible quand il n’y a personne pour vous entendre. Parfois la seule issue est l’invention d’une œuvre « contre la langue ». Cela me fait penser à Paul Ceylan qui a construit sa propre langue pour dire que l’art et la poésie étaient encore possibles.

 

VB : Après un travail aussi « engagé » en quelque sorte, pourquoi avoir choisi d’écrire un livre sur un footballeur?

RF : J’ai accepté d’écrire ce livre sur Andrea Pirlo, joueur de l’AC de Milan, parce qu’il m’est apparu comme un  reflet de l’Italie raciste d’aujourd’hui. En effet, il est d’origine gitane et c’est comme par hasard il est le seul joueur à être invisible. Il est différent des autres, par ses origines, mais aussi par ce qu’il est en dehors des clichés du monde du football : il n’a pas dix- huit maîtresses, il a une vie « normale ». Pour lui, le foot ne correspond pas au show biz.  Mais alors, le foot sans show biz, c’est quoi ? A travers son histoire, je me  prête à une réflexion littéraire sur le football. J’ai pensé à Nick Hornby qui a fait du foot aussi un sujet romanesque. Et le foot devient alors aussi la métaphore d’autre chose.

 

 

VB : Et maintenant, vous avez décidé de publier votre prochain livre en France. Pourquoi ?

RF : Parce que je veux me sentir libre. En Italie, il y a beaucoup d'autocensure. Il faut savoir que la plupart des éditeurs italiens sont liés à Berlusconi. Einaudi par exemple a refusé d’éditer le prix Nobel portugais José Saramago parce qu’il parle de certaines condamnations de Berlusconi. Alors pour me permettre d’écrire sans contrainte j’ai choisi de publier mon prochain livre via la MEET (Maison des écrivains étrangers et traducteurs). Voyager un peu, « dépayser » sa conscience,  pour regarder les choses avec un autre point de vue.

 

 

VB : Votre écriture construit des univers qui se rapprochent du cinéma...

RF : Ai-je une écriture visuelle ? J’appartiens à une génération qui a plus « vu » que lu, même. Alors, oui certainement, je peux dire aussi que le cinéma construit des références, véhicule des univers qui m’imprègnent. Tous les ans, je suis le Festival de Venise. J’arrive à y voir 3 à 4 films par jour. On ne pourrait pas faire cela avec les livres.

 

VB : Quels sont les films qui vont ont marqué ?[image:4, s,d]

RF : Paris-Texas de Wim Wenders, certainement un des films « écrits », qui me parlent. Tous les films de Michelangelo Antonioni. Paradoxalement, j’aime les cinéastes qui savent filmer sans montrer. De la même façon que j’aime que l’écriture laisse  un fort espace de suggestion, entre les lignes.

 

VB : Imaginez-vous écrire un scénario ou adapter un de vos livres au cinéma?

RF : Pourquoi pas ? Mais si je l’acceptais, je voudrais travailler comme collaborateur, pas comme scénariste. Car je pense qu’une bonne adaptation doit « trahir » le livre d’une certaine façon .Alors que quand on a écrit le livre on est tenté de rester trop fidèle et on n’ose pas changer de forme d’écriture

 

VB : Vous n’échapperez pas à la traditionnelle question de Viabooks, vous qui êtes aussi journaliste et traducteur : quels sont vos auteurs favoris ?

RF: Tiziano Scarpa ( auteur du merveilleux « Venise est un poisson ») et Romolo Bugaro (auteur des « Désemparés »). Je citerai aussi  chez mes compatriotes : Italo Calvino, Antonio Tabucchi, Daniele del Giudice ou Sandro Veronese. Du côté des français contemporains, j’aime énormément évidemment Jean-Philippe Toussaint, mais aussi Jean Echenoz, Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier. Et puis je citerai aussi toute l’école du Regard, Samuel Beckett, Kafka, Müsil…


En savoir plus

 

Roberto Ferrucci, Ça change quoi, Seuil. Traduction Jérôme Nicolas. Préface de Antonio Tabucchi

 

MEEL : http://www.meet.asso.fr/

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