«Le Clan suspendu»

Rencontre avec Etienne Guéreau

Etienne Guéreau n’est pas seulement un musicien. Avec « Le Clan suspendu » (Denoël),il se révèle un écrivain dont le récit est qualifié d’addictif par ses déjà nombreux lecteurs. Le jury des libraires Cultura l’a sélectionné parmi lesTalents à découvrir, un choix bien légitime. Rencontre avec un auteur en apesanteur.

1.Un roman primé par Cultura et adoubé par la presse... Cela vous dit quoi : « Un coup de chance », « Une reconnaissance », « Une fierté » « Une promesse »... Un peu de tout ça, rien de tout ça??

Etienne Guéreau : J’ai eu l’occasion, dans ma vie, de défendre divers projets, diverses créations. Parfois, rien n’est simple : l’accueil est poli, voire mitigé ; les voies professionnelles semblent se fermer ; les critiques négatives fusent. Dans ces circonstances, faire aboutir quoi que ce soit revient à escalader l’Everest avec une paire de moufles. C’est un état de fait que j’ai compris et accepté. Les échecs font grandir un homme ; les succès font grandir son ego.

A contrario, il est arrivé que certains choix suscitent un engouement immédiat, une sorte d’évidence. Un peu comme si tous les signaux passaient spontanément au vert. Ça a toujours été le cas de l’écriture. Je n’ai contacté que deux éditeurs dans ma courte carrière littéraire, et mes deux textes ont été retenus. J’y ai vu un signe, un encouragement à poursuivre.

En outre, d’avoir été sélectionné par Cultura est une chance énorme, car mon livre et mes idées vont pouvoir patiemment essaimer. C’est un témoignage de reconnaissance qui me touche beaucoup, et qui me colle une (bonne) pression supplémentaire. Mais ça, ce sont les vieux réflexes du C onservatoire, la voix du maître qui vous susurre, alors que vous venez de recevoir une mention pour telle ou telle interprétation, « Ne t’endors pas sur tes lauriers, mon petit ! Du travail ! Encore du travail ! »

2. Ce « Clan suspendu »  est inclassable. Un peu science-fiction, un peu littérature antique avec la référence à Antigone... Pouvez-vous présenter votre livre aux lecteurs de Viabooks et leur expliquer votre propos?

Etienne Guéreau : Le Clan est parti d’une idée folle, faire vivre des gens dans les arbres, et leur donner une bonne raison d’y rester. Pour la construction, je me suis appuyé sur deux principes intangibles : éviter le plus possible les clichés, ce qui a priori avait déjà été traité (c’est le cas du « post-apo ») ; et ne rien s’interdire, ne pas s’enfermer dans un genre particulier. En tant que lecteur, j’ai une culture très large. J’aime la littérature classique, mais aussi les polars, la SF, Achille Talon, les romans du terroir, les intrigues alambiquées, les nouvelles, les livres « psychologisants ». La seule chose que j’abhorre, c’est une certaine littérature pompeuse, nombriliste, qui se demande ce qu’on va penser d’elle entre la rue de Seine et la rue du Bac, qui planche sur un non-style découpé au hachoir et faussement anticonformiste. En gros, j’ai du mal avec les auteurs qui s’écoutent parler. J’aime qu’on me raconte une histoire, qu’on m’embarque, qu’on m’asticote l’imaginaire. (Ce qui n’est pas incompatible, Dieu merci, avec une écriture soignée.)Ainsi, le Clan suspendu est l’aboutissement de ce mélange : un peu d’action, un peu d’intrigue, un peu de philo, un peu de poésie, un peu de théâtre, de l’humour, des rebondissements. Pourquoi s’enfermer dans une ornière ?

3. S'opposer à un ordre établi, est-ce selon vous partir dans un défi, nécessairement ? Vous plongez le lecteur dans une tension. Le lecteur ressent de la peur, mais aussi l'excitation provoquée par l'exploration du héros. Vous aimez tenir en haleine le lecteur? Le tenir vous aussi dans la « cabane » de votre récit ?

Etienne Guéreau : Une opposition est toujours une prise de risque. En particulier dans nos sociétés régies par la bien-pensance et le politiquement correct. D’ailleurs, c’est ce qu’il y a de génial avec la dystopie (et la littérature de l’imaginaire, plus généralement), on peut réfléchir, faire passer des idées sans se faire allumer de but en blanc.

Pour ce qui concerne la tension, la peur, c’est vrai que j’aime les intrigues qui happent le lecteur. Pour obtenir ce sentiment, cet état, il faut se plier à une construction minutieuse et toujours fragile, savoir doser les informations, distiller les révélations, proposer des pistes de réflexion au bon moment, donner envie de poursuivre sans jamais lasser. C’est une sorte de marathon narratif où l’auteur cavale devant le lecteur avec une récompense. S’il va trop vite, le lecteur s’essouffle ; s’il va trop lentement, la course prend fin.

 4. Depuis quand écrivez-vous ? Quelle différence faites-vous entre un auteur et un écrivain ?

Etienne Guéreau : J’écris depuis toujours. Le Clan est mon premier roman publié, mais avant cela, il y a eu des nouvelles, des mémoires, puis ce que j’appelle mes « romans plâtre », des textes dans lesquels j’ai fait mes armes, je me suis forgé une certaine technique (technique qui, cela va sans dire, reste en chantier). C’était pas mal, mais au final, très inégal, parfois médiocre. Je savais que ces manuscrits ne devaient pas se retrouver sur la table d’un éditeur.

Auteur ? Écrivain ? Appelez-moi comme vous voulez. Ce qui m’importe c’est de raconter de bonnes histoires.

5. Que pensez-vous du numérique ? Une opportunité ? Une anecdote ? Un danger ?... Quand vous écrivez, vous êtes plutôt stylo feutré ou ordinateur connecté ?

Etienne Guéreau : Le numérique est un fait, une réalité que tous les acteurs du livre devront intégrer. Pour autant, il ne s’agit pas à mon sens d’un danger. Le cinéma n’a pas tué le livre ; la télé n’a pas tué le cinéma ; le MP3 n’a pas tué le CD… il n’a même pas tué le vinyle qui revient en force ! Le papier ne disparaîtra jamais, c’est culturellement impossible. En revanche, il côtoiera de nouveaux objets telles les liseuses et autres tablettes. C’est une transition difficile, et les éditeurs pourraient s’inspirer de ce qui s’est passé dans l’industrie du disque. Aujourd’hui, par exemple, pour l’achat d’un CD, certaines enseignes proposent de vous offrir gratuitement sa version MP3 (ce qui de facto règle le problème du piratage qui se posera de plus en plus dans les années à venir). C’est une piste. Il y en a d’autres. Reste la question du coût, aussi. Nous sommes dans les limbes. J’espère surtout que les libraires réussiront à tirer leur épingle du jeu.Je possède une liseuse. Son usage est adapté à certaines situations, pas à d’autres. C’est pratique, toutefois ça ne remplacera jamais un livre. Inutile d’ériger ces deux objets l’un contre l’autre et d’entretenir un antagonisme qui se réduirait à un principe de plaisir ou de déplaisir. C’est stérile et ça ne rend pas compte du fond du problème.

Pour ce qui est de l’écriture, je prépare mes chapitres, je rédige toutes mes notes et toutes mes idées à la main ; la saisie définitive se fait à l’ordi.

6. Pouvez-vous nous citer quelques auteurs/livres qui vous ont marqué ?

Etienne Guéreau : La philosophie m’a sauvé la vie (et m’a peut-être évité dix ans de psychanalyse). De ce point de vue, je dirais donc, Spinoza, Rousseau, puis les Grecs, bien sûr.

Pour la littérature, j’aime tout, absolument tout. Mais je garde une place particulière pour des auteurs comme Vincenot et son Pape des escargots, Clavel et Les Colonnes du ciel, Céline, Echenoz dont j’admire le style, et en haut de la pile je mets Serge Brussolo qui demeure ma référence absolue en matière de littérature « populaire », débridée, décomplexée. Un maître. J’aime aussi les romanciers anglo-saxons pour leur sens de la construction, leur efficacité.

7. Quel est votre prochain projet d’écriture ? Pouvez-vous nous en parler ?

Etienne Guéreau : Mon prochain roman raconte l’histoire d’une jeune fille atteinte d’une maladie qui lui interdit de pleurer, car ses larmes contiennent une substance qui à terme engendre la cécité. En attendant la greffe qui doit lui permettre de retrouver une vie normale, elle intègre un manoir transformé en clinique qui se révèle le théâtre d’une odieuse compétition : puisqu’on ne peut pas augmenter le nombre de greffons, les malades ont décidé de diminuer le nombre de demandeurs, d’éliminer la « concurrence » par le biais d’attaques sournoises destinées à provoquer des crises de larmes ravageuses. Mais à ce jeu-là, on risque de gratter de vieilles blessures, de générer des réactions incontrôlables, voire de réveiller des monstres endormis, telle la Chimère (!) qui paraît résolue à en découdre. Pour arranger le tout, on raconte que le manoir est hanté par le fantôme de Louis XVII et que le médecin qui doit les opérer en profite pour tester de nouveaux psychotropes. Dans ce contexte, l’héroïne va croiser la route d’un garçon dont le destin semble étroitement lié à celui d’Œdipe (le héros antique dont il s’est mystérieusement entiché) et qui va lui proposer le plus incroyable des marchés… Un roman sur les traumatismes et la résilience qui devrait s’appeler Retenez vos larmes.

Propos recueillis par Olivia Phélip
Etienne Guéreau fait partie des six  auteurs qui ont remporté le Concours Cultura, dont voici le palmarès intégral : Un jeune homme prometteur de Gautier Battistella - Grasset; Constellation d’Adrien Bosc - Stock; Le cercle des femmes de Sophie Brocas - Julliard, Le clan suspendu d’Etienne Guereau - Denoël, La fractale des raviolis Pierre Raufast - Alma; Le bonheur national brut de François Roux - Albin Michel.

>>Pour plus d'informations, aller sur le site Cultura, et lire l'interview  sur Viabooks de Jean-Luc Treutenaere, Directeur des relations extérieures de Cultura.

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