L'odeur de l'herbe après la pluie

Extrait de de

Au commencement du chemin, ils ne dirent rien. George éclairait les pas d’Annabelle et leurs yeux discernaient plus qu’ils ne voyaient le sombre horizon vers lequel ils avançaient.  

Alors comme ça, vous n’avez pas de tracteur ? demanda Annabelle.

Non !

C’est incroyable ! Vous cultivez ou vous faites de l’élevage ?

Je cultive de l’orge et du blé, répondit le paysan. 

Avec des bœufs uniquement ?

Oui, avec des bœufs.

Mais ils sont plus lents qu’un tracteur, n’est-ce pas ?

C’est vrai qu’ils sont plus lents. Ce qui est important, c’est de bien choisir la race. Certains sont plus forts que d’autres. Plus travailleurs aussi.

Ah d’accord ! s’étonna Annabelle. Et avec ces bœufs les plus forts, quel est le ratio de productivité par rapport au tracteur ? demanda-t-elle avec une once d’ironie.

Plaît-il ? 

Ah oui ! Excusez-moi. C’est un langage un peu technique de chez moi. Je veux dire combien de fois est-ce plus lent qu’un tracteur ? corrigea-t-elle.

Oh alors ça ! Je ne sais pas. Peut-être trois fois plus lent.

Annabelle s’arrêta sur le chemin, se tourna vers le paysan qui l’imita et lui demanda d’un air effaré :

Mais alors pourquoi utilisez-vous des bœufs si le tracteur est tellement plus rapide ? 

Ça ne m’intéresse pas d’aller plus vite. Je préfère les bœufs au tracteur… le souffle des bêtes au bruit du moteur, si vous préférez.

Ils reprirent leur marche sous l’impulsion d’Annabelle qui s’inquiéta alors :

Mais cela signifie que vous produisez moins avec vos bœufs qu’avec un tracteur… je veux dire que votre récolte est moins grande… et qu’en conséquence ça vous rapporte moins. Vous voyez ce que je veux dire ?

Oui, je vois tout à fait et vous avez raison.

Elle s’arrêta à nouveau sur le chemin, agrippa le bras du paysan qui stoppa à son tour, et lui posa cette question qui tout d’un coup irritait son esprit :

Et cela ne vous ennuie pas de savoir que vous pourriez gagner plus ?

Non. Je n’ai pas besoin de gagner plus.

Mais vous le pourriez si vous vouliez, n’est-ce pas ?

Peut-être bien.

Alors c’est que vous êtes déjà riche ! lança-t-elle triomphalement, pensant avoir trouvé la clé de l’énigme.

J’ai ce qu’il me faut pour bien vivre. 

Il laissa passer un instant, puis ajouta :

C’est bien ça la richesse, non ?

Ils reprirent leur mouvement vers l’avant. 

Elle se trouvait un peu décontenancée par cette question à laquelle elle répondit :

Eh bien, à Paris, ce n’est pas vraiment cela que d’être riche. Mais ici, peut-être est-ce le cas. »

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Olivia Phélip

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