Critique Libre

"L'Entreprise des Indes" d'Erik Orsenna

Philippine Cruse, membre de Viabooks a lu "L'Entreprise des Indes" d'Erik Orsenna. Elle nous fait découvrir le texte en soulignant que la littérature console de ne pas naviguer sur l'eau. Des flots aux livres, partons en voyage.

Christophe Colomb précise Erik Orsenna dans l'introduction à la bibliographie de son dernier  texte "L'Entreprise des Indes" a inspiré autant de livres que la Seconde Guerre Mondiale. C'est dire si ce nouveau roman a de l'ambition. Le récit commence à Noël 1511, de l'île d' Hispanola et se déploie en grande partie dans la ville passionnante de Lisbonne. L'Entreprise des Indes est ce grand voyage organisée par Christophe Colomb et Bartoloméo, son frère cartographe. De ce dernier, nul n'a beaucoup parlé alors que comme cartographe, c'est lui qui a tracé de sa main habile les chemins vers les énigmes de l'ailleurs. Parmi tous les plus grands périples, nous partons en partance vers l'inconnu.

Le Voyage
"Ecoute, Jérôme, écoute. Les quatre voyages de Christophe appartiennent désormais à la chronique de la curiosité des hommes. Il a su tracer un chemin sur la mer, qui les efface tous. Il a doublé la surface du monde, il a peuplé l'horizon. D'ordinaire, on ne retient des voyages que leur destination, alors qu'ils ont d'abord, des sources (...) Les bateaux ne partent pas que des ports, Jérôme, ils s'en vont poussés par un rêve". C'est de ce rêve dont parle le livre qui a donné à Orsenna ce fabuleux chantier de recherches.
Le texte se place ainsi à travers la perspective de Bartolomeo Colomb, ce frère qui a vu naître la grande idée de Christophe et se développer son rêve. Bartoloméo arrive à Lisbonne à 16 ans. Il devient cartographe car il sait écrire petit. Mille petites histoires ponctuent le récit autour d'une immense entreprise et nous content avec enthousiasme des recettes exotiques.Dans une langue très cultivée, Orsenna nous emporte avec lui dans cette folle aventure. Nous naviguons à travers les flots d'une civilisation partie à la conquête de l'inouï.

Ode à Lisbonne
Cette ville passionnante, aux différente îles est un personnage du texte. Son fleuve le Tage emporte vers la mer. La tristesse aussi y bat comme un coeur dans ce dédale de diversité et se change en musique. "Certains jours, pluie et tristesse semblent de lèche: elles tombent ensemble sur Lisbonne. Qui entraîne qui? La pluie engendre-t-elle la tristesse? Ou la tristesse, se sentant trop seule, appelle-t-elle la pluie pour l'avoir comme compagne?" Le texte pose alors cette question: Et si la musique était la forme supérieure de le mer? Toutes deux sont fluides, toutes deux relient des mondes.
Le marché aux esclaves avec Dona Leona qui "collectionnait les Africains comme d'autres les vases ou les peintures, et accablait ses amies de récits de merveilles, le jardin aux aveugles où ces derniers "viennent apaiser leur regret de ne pas voir les fleurs. Ils se promènent en humant. Leurs doigts glissent sur les fleurs. Et le sourire qui détend soudain leur visage chiffonné est l'image même du bonheur. Ils nomment le parfum avec gourmandise".
Lisbonne est enfin le lieu de la liberté pour Bartoloméo puis celui où avec son frère ils vont préparer le voyage.

Bartolomé, l'homme de l'ombre.


Bartolomeo le frère de l'ombre qui souligne que ses seules années de liberté furent lorsqu'il était seul à Lisbonne. Il les voit "comme une île, (...) au milieu d'une vie enchaînée. Avant Lisbonne c'était Gênes et l'enfance. Et l'enfance est une prison. Puis mon frère prendrait possession de moi (...) et pas même lorsque l'océan tout entier nous séparerait, je n'échapperais à la lumière de Christophe." Le frère apprend la cartographie, cette science qui mêle la précision à la rêverie, pour permettre à Christophe de briller. "Comme un oiseau de proie il tournoyait, il attendait le moment de fondre sur moi" souligne Bartoloméo à propos de son frère. Mais comme il le rappelle encore "Christophe me dépasse en tout: âge, taille, force, intelligence, rêves et amour des femmes. Dieu a voulu que je naisse dans l'ombre de mon frère. Dieu a voulu que je n'en sorte jamais. Même aujourd'hui qu'il est mort depuis sept ans"

Naviguer pour penser la poésie du monde.
"Qu'est-ce qu'une oreille? Je m'étais déjà passionnément intéressé à ces gros coquillages plats collés de chaque côté du crâne humain. Aux côtés de quantité d'instants du livre où est travaillé le détail, l'idée du mouvement traverse le texte. Ainsi, "la navigation-peut être à cause des mouvements perpétuels du bateau, peut être à cause du vide tout autour,-aide à penser ou plutôt à songer". "Nous sommes faits d'eau. Et comme elle, nous suivons notre plus grande pente". S'offre tout au long du récit la recherche du poétique et un soin particulier est porté aux moindres détails. A ceci s'ajoute qu'Orsenna nous apprend une somme considérable de choses sur l'époque et sur les aspects du quotidien de Lisbonne.

Le commerce des livres
Dans cette ville, Bartoloméo crée des cartes et fait aussi le commerce des livres. Aussi "L'Entreprise des Indes" est aussi l'écrin de multiples ouvrages. Car le voyage s'effectue aussi bien sur les pages d'un livre que sur un navire. Le texte rend aussi à travers les visages et les lieux un formidable hommage aux livres. et parmi ceux-ci, le fameux Ymago Mundi de Pierre d'Ailly, longtemps évêque de Cambrai que Bartoloméo trouve au près de Jean de Westphalie.Livre parmi les livres, il se déploie comme un mystérieux attribut mythologique. Plus loin, le texte souligne; "les livres valaient bien les bateaux". En témoigne la relation qui s'est établi entre le frère de Christophe Colomb et le livre "L'Image du Monde". Le livre devient le compagnon de voyage d'un propriétaire qui en a l'entière responsabilité. Après la mort du maître Andrea, Bartoloméo se lance dans le commerce des livres. "Il nous apparaissait que les mots racontaient des histoires plus riches et plus diverses que les tracés des côtes." Devenant libraire, il s'associe à son frère qui "venait choisir sa dose de mots le matin et me la rapportait avec ses commentaires".  Si les cartes rassuraient, les livres, eux inquiétaient. Car "les cartes se contentent de dresser le portrait le plus exact possible de la Création" tandis que "les livres semblaient aux marins les oeuvres du Diable, la preuve de sa volonté d'égarer les humains et de les entraîner en Enfer".

Des flots aux livres
A travers les livres et les mots, Erik Orsenna développe le thème de la lecture et de l'écriture. Les livres consoleraient de ne pas naviguer sur l'eau car "Lire ressemble à regarder l'horizon. D'abord on ne voit qu'une ligne noire. Puis on imagine des mondes." Puis, plus loin, "Pour bien lire, j'ai besoin d'écrire. L'écriture est le guide, le garde-fou des pensées déclenchées par la lecture. Sans guide, sans garde fou, les pensées, je les connais, elles s'en vont n'importe où et ne reviennent jamais". Par le bien de maintes images, Orsenna séduit. Le grand frère se laisse emporter par les livres car dit il: "chaque livre invente sa route. Il va aussi libre parmi toutes les histoires possibles que chaque bateau sur la mer, entre toutes les destinations.
De la même manière, note le texte, "raconter n'est rien d'autre que naviguer". Orsenna donne la parole à celui qui raconte puis à celui qui interroge en demandant à son frère: "Chrsitophe, Chrsitophe, ne crois-tu pas qu'il faut s'évader de la prison du Vrai pour agrandir la Vérité"

L'ensemble du livre nous conte les préparatifs d'une Découverte qui va changer le cours du temps. Le 3 Août 1492, arrive à la page 345. Les Colomb ont donc inventé de l'inconnu. La seule fièvre de Christophe Colomb selon son frère était non l'or mais La Découverte. "Et, l'or, trouver de l'or, t'apportait la seule certitude que les rêves de voyage continueraient d'ensorceler les rois et les reines". L'or devient ainsi le Signe que "Dieu t'indiquait qu'Il favorisait ton Entreprise". Orsenna nous convie dans ce texte extrêmement bien documenté, à faire ce long et périlleux voyage vers les terres du grand Ouest. On notera enfin l'existence d'une intéressante bibliographie qui comporte notamment "une mention spéciale pour "Voyages aux pays de nulle part", paru chez Robert Laffont. Orsenna ajoute ceci à son propos: "ce recueil d'une richesse extraordinaire est la preuve qu'on voyage tout autant dans sa tête que sur terre et sur mer." La littérature est bel et bien le plus beau des voyages.
 

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10 Citations de "L'Entreprise des Indes" d'Erik Orsenna

Nous avons choisi dix citations extraites de l'entreprise des Indes d'Erik Orsenna afin de vous faire goûter ce texte passionnant.

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