Souvenirs, souvenirs

Les nostalgies sans retour d’Haruki Murakami

La sortie d’un nouveau roman de Haruki Murakami est toujours un évènement. « L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage » (Belfond) ne déroge pas à la règle. Un million d’exemplaires déjà écoulés en deux semaines au Japon et un démarrage en fanfare pour les éditions internationales. Dans ce récit qui pourrait presque se lire comme un long monologue intérieur, on retrouve un Murakami grave et intimiste, qui évoque le temps, la mort, les blessures de jeunesse et la lancinante opacité du réel.

Guérit-on jamais de ses blessures de jeunesse? Haruki Murakami pose cette question en filigranne dans son nouveau roman: « L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage » (Belfond). De ces années, où le jeune Tazaki rêva sa vie autant que le monde.

Le Club des cinq au lycée de Nagoya

Lorsque le roman commence,Tsukuru Tazaki est un trentenaire encore célibataire qui vit à Tokyo où il est architecte de gares, lieux de passage pour des voyages qu'il ne pratique presque jamais. Il se sent insignifiant, comme "incolore" dans la capitale nippone. Son histoire personnelle s'est construite autour d'un drame qui lui est arrivé dans sa jeunesse à Nogoya, alors qu'il formait pendant ses dernières années de lycée un groupe inséparable avec quatre autres amis, deux garçons et deux filles. Ce "club des cinq" partageait tout et vivait en quasi-symbiose. "Tout était parfait" O temps suspends ton vol... Alors que ses études entraînent le jeune Tsukuru à partir à Tokyo, celui-ci pense conserver les mêmes liens d'amitié, à la vie, à la mort avec ses camarades. Il pense : "Un objectif bien défini clarifie la vie ." On est très confiant quand on a dix-sept ans.

Le deuil impossible de l'abandon ?

Mais un jour, de retour dans sa ville natale pour quelques vacances,Tsukuru se trouve confronté au rejet de ses amis qui refusent de le voir. Pire, lorsqu'il demande les raisons de son éviction, l'un de ses camarades semble outré qu'il ne le sache pas lui-même "après ce qu'il a fait". Anéanti par ce rejet si brutal, sans en comprendre le sens, car il n'a "rien fait' à sa connaissance,Tsukuru tombe en dépression. Il sortira transformé de cette sidération, mais plus que jamais désolidarisé de lui-même, désorienté. Le récit de Murakami va nous entraîner dans le périple avant tout intérieur de Tsukuru qui quelques années plus tard va partir à la rencontre de ses anciens amis pour comprendre et peut-être se libérer de cette blessure. 

Un voyage intimiste au coeur de la mémoire

Le mot de "pèlerinage" utilisé dans le titre est à comprendre de différentes manières : pèlerinage pour remonter le temps, pèlerinage pour se trouver soi-même, pèlerinage pour aller vers les autres. Pèlerinage pour enfin comprendre que "ces épreuves sont la base d'une harmonie véritable". Dans ce livre qui laisse de côté les fantaisies imaginaires de la trilogie "1Q24", Murakami renoue avec la veine de son ouvrage  "La ballade de l’impossible". Même si le récit explore parfois les frontières du réel et du songe, il reste campé dans une veine intimiste et réaliste. Et dans une gravité qui résonne avec l'idée de l'incommunicabilité "ontologique". La vie ne serait-elle finalement qu'une série de malentendus? 

Rédemption intérieure 

Sur un morceau de Franz Liszt "Le mal du pays" qui est évoqué à maintes reprises, L'incolore Tsukuru Tazaki entraîne le lecteur dans son pèlerinage personnel qui prend petit à petit un tour universel. Poésie des interrogations, simplicité des actions, pudeur des émotions... la vie glisse sur le héros qui n'arrive pas à sortir de l'enfermement dans lequel quelque chose de lui-même s'est abandonné. Et le récit entraîne le lecteur dans sa douce mélancolie qui semble dire à chaque page, que la rédemption viendra de l'acceptation éclairée. 

Une inspiration très personnelle à la gravité existentielle 

On sent que l'écrivain a mis beaucoup de lui dans ce livre. Dans l'unique interview qu'il a accordée à une journaliste française, Karyn Poupée, Haruki Murakami a d'ailleurs confié avoir éprouvé lui-même la tristesse d'un abandon dans sa jeunesse. Voilà pourquoi ce récit enchantera ceux qui souhaitent pénétrer davantage la personnalité de la star des lettres japonaises. Et laissera peut-être sur leur faim, ceux qui plébiscitent d'habitude ses romans jubilatoires à l'imagination débordante. 

>>Haruki Murakami, L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, Belfond
Ecouter un extrait audio en cliquant sur ce lien, ainsi que 
le morceau de musique évoqué de manière presque lancinante dans le livre de Murakami  en cliquant ici :  "Le mal du pays" de Franz Liszt

4
 

En ce moment

Au revoir Monsieur Pivot...

Le journaliste et écrivain Bernard Pivot, qui a fait lire des

Disparition de Paul Auster : la mort d'un géant des lettres

Paul Auster s'en est allé le 30 avril 2024.

Prix de de La Closerie des Lilas 2024: Arièle Butaux, lauréate pour « Le cratère »

Ce jeudi 25 avril, les fondatrices, Emmanuelle de Boysson, Carole Chrétiennot, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Stéphanie Janicot, Jessica Nelson

Festival de Cannes 2024 : la liste des films en compétition

La cuvée 2024 de la  77e édition du  Festival de Cannes ,qui se tiendra cette année du 14 au 25 mai, a été dévoilée par Thierry

Le TOP des articles

& aussi