Libres propos

Georges Vignaux et l'écriture

Georges Vignaux, auteur de nombreux essais sur le langage évoque pour Viabooks le rôle fondamental de l'écriture comme "acte fondateur de la société".
Réalisation Annick Geille

Qu’est-ce que dire ?

Dire c’est d’abord désigner comme le fait le tout jeune enfant lorsqu’il accompagne son élocation d’un doigt pointé vers un être ou un objet. C’est “s’exprimer” et c’est donc “être”. Nous sommes ce que nous sommes par le langage et par le corps avant d’être par nos intelligences. Le langage articulé est ce qui distingue notre espèce de toutes les autres. Grâce à lui nous pouvons ajuster nos actions sur le monde, “communiquer” et agir sur autrui. Surtout : le langage est un système de déroulement de la pensée. La pensée ne précède pas le langage, elle coexiste avec lui. C’est le langage qui nous permet d’identifier, d’attribuer des propriétés aux objets ou situations, de classer donc les choses et par là de créer des connaissances, des stocks de données (big data), des mémoires et par là, de contribuer à nos cultures, à nos identités collectives. C’est par ce fait de pouvoir opérer sans cesse sur le monde, de le penser, de nous penser que le langage articule et fonde nos cognitions.

 

Qu’est-ce qu’écrire ?

Ecrire c’est donc au mieux exploiter le langage pour transmettre des informations, des faits, des points de vue, des émotions. C’est faire acte de propriété sur ce monde qu’est le langage, s’y insérer, en faire partie, en prendre une partie. L’écriture est un acte cadastral. C’est aussi jouer des formes de l’expression, jouer sans toujours s’en rendre compte, des mémoires enfouies dans les mots, de les mettre au jour, de faire siennes des variations du style, c’est-à-dire bousculer les formats tout faits d’idées et de formes que nous avons reçu dans la société (patterns). Imposer son propre format : le style c’est la personne. “Ne me dites pas que j’ai dit la même chose, je l’ai dite autrement”, disait Pascal. La moindre des tournures, un auteur s’y retrouvera personnellement comme nous serons capables de reconnaître par son style un auteur, et donc une personne, une sensiblité. Et bien sûr, l’écriture, c’est ce qui fonde et authentifie une société au travers des codes écrits qu’elle se donne pour juger, au travers des commentaires incessants qu’elle produit sur des situations, et sur d’autres écrits. C’est trouver, retrouver l’expression, les pensées, les formes de vie d’un autre être, celui qui se dit écrivain. C’est travailler la mémoire, fonder des mémoires.

 
Qu’est-ce que lire ?

Lire c’est d’abord savoir maîtriser ce système qu’est la langue. Système d’autant redoutable qu’il se fonde sur une grammaire des opérations dont nous avons les traces en surface au travers des différentes marques de la personne, des temps des verbes, de l’ordre des propositions. C’est en ce sens que je parlais précédemment de “système de déroulement de la pensée”. C’est aussi se laisser entraîner par le langage, entrer en lui comme il entre en vous. C’est donc suivre une musique en même temps que pratiquer une compréhension de tous ces signes, ces indices que le texte nous livre, nous impose. C’est savoir appréhender les mises en relations, les raisonnements qui transitent par là. C’est comprendre ce qui à chaque fois, a été opéré là du langage et quels sens sont ainsi développés, quelles cohérences sémantiques, quelles cohésions de pensée sont alors échafaudées.

 

La traduction ?

La traduction littérale est impossible. Aucune langue ne se traduit strictement dans une autre. Car les mémoires culturelles enfouies que j’ai évoquées s’y opposent. On ne peut qu’approximer, approcher de ce que l’autre a voulu dire ou cru dire. Imager au mieux. Sachant qu’il existe des formes intraduisibles parce que trop liées à des contextes de l’histoire d’une langue et de ses  pratiques. Des figures ainsi s’opposent ou se font écho. Sans jamais tout à fait correspondre. “Ce qui se laisse copier au cours de la traduction est le contenu du texte, tel qu’il est perçu par le traducteur. […] Le traducteur ne s’en prend jamais à la totalité des significations possibles de chque unité du texte. Il travailler sur certains aspects de son sens global. […] Nous pouvons donc définir le résultat du processus de la traduction comme un texte présentant une copie (substitut) de certains aspects (sémantiques et formels) du texte-source”. (Alexis Léonas, L’aube des traducteurs. De l’hébreu au grec : traducteurs et lecteurs de la Bible des Septante. Editions du Cerf, 2007).

Georges Vignaux

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