Tribune de Marie-Josée Desvignes

«Dehors» : quand la poésie vient au secours des sans-abris

Lorsque les poètes se rassemblent pour parler de l'exclusion, de la vie hors les murs, cela donne un magnifique recueil intitulé Dehors (éditions Janus), qui traque les constellations derrière les trous de la bure, selon la formule de Victor Hugo. Un livre dont les bénéfices vont à l'association Action Froid et qui ose parler de ce qui est souvent caché, surtout en été, lorsque ceux qui  «dorment à la belle étoile» disparaissent des regards. Marie-Josée Desvignes qui est une des 107 auteurs de ce livre nous évoque le sens de cette belle aventure éditoriale.

Femme sans abri.Photo Wikipedia. Femme sans abri.Photo Wikipedia.

« Je suis la faille, je suis la cassure, je suis le rejet, je suis l'abandon, le pas nu » Anne Bernard .
Des écritures, des mots, des formes, de la poésie, beaucoup, de la prose, poétique aussi pour dire ce que notre humanité côtoie, chaque jour ; certains sans un regard, d'autres avec tristesse, impuissance et révolte.

Dire ce que l'on cache

Des textes pour raconter ce que souvent nous cachons, ce que nous n'osons pas regarder, ce que nous fuyons de peur que ça nous rattrape, parce que nous aussi, un jour peut-être nous pourrions si..., la vie étant fragile si fragile.  Non qu'il soit contagieux, l'homme de la rue, (ou alors d'une contagion qui serait, si on osait le regarder, l'approcher, un surplus d'humanité à partager) mais parce qu'elle grandit cette misère et que grandit avec, la peur de tous d’être déclassés.

Dehors, c'est ce que nous portons dedans

Dehors, c'est ce que chacun porte en dedans, cette part inconfortable avec laquelle on s'accommode, déclinée avec sensibilité et empathie, pour ces êtres sans refuge, les « sans-abri » comme on les appelle,  mis au banc de la société.

La poésie au secours de la précarité

De la poésie donc, pour parler cette précarité, là sous nos yeux, que nous croisons tous les jours, au coin de nos rues, et de plus en plus, dans nos sociétés dites « évoluées », pour dire cette misère, cette souffrance, cette part de nous dont nous ne savons que faire, ni comment l'intégrer à nos vies, sauf à se mobiliser de temps en temps comme le font tous ces anonymes, bénévoles des associations comme Action Froid, Samu Social, Croix-rouge, et d'autres moins populaires.

Donner et partager, l'ultime recours

Parce que, que pourrions-nous faire d'autre ? Sommes-nous capables de faire quelque chose individuellement ? Accueillir ces pauvres chez nous ? Certains le font, ils ne sont pas légions. La plupart du temps, nous donnons de l'argent en passant ou mieux à des associations, mais ça reste toujours insuffisant. Donner, partager, trouver des moyens d'offrir aussi un peu de notre temps, participer  à une œuvre collective pour sortir de l'indifférence, oui aussi.

La triste banalité de l'exclusion

Que l'on soit sensible à leur condition ne fait pas de doutes. En témoignent les nombreux soutiens de fin du siècle dernier. Mais parfois, on détourne les yeux, on ose à peine leur parler, on ne s'attarde pas, on n'est ni solidaire ni hostile, parce que la réalité  trop cruelle est devenue affreusement banale.
Le SDF est ce caillou dans notre chaussure qui nous empêche de marcher, la mauvaise conscience de notre époque, il dérange nos petites habitudes, nos petits conforts, quand « aujourd'hui, comme le disait un des premiers à s'être mobilisé pour la rue, on n'a plus le droit ni d'avoir faim ni d'avoir froid ».

Vivre dehors tue

Hélas, comme le rappelle une  des vidéos du collectif « Morts de la rue », le 20 juin 2016, pour rendre hommage aux 497 morts en 2015, on estime qu'ils sont au moins six fois plus nombreux (autour des 2800) d'une moyenne d'âge de 49 ans, qui meurent tout au long de l'année et pas seulement l'hiver, et ils ont tous vécus en moyenne dix ans à la rue ; ce sont des enfants, des adolescents ou des adultes...

L'association Action Froid partenaire du projet

C'est vers l'Association Action Froid que s'est tournée l'éditrice des Editions Janus, Eleonore James l'éditrice pour ce projet initié avec Christophe Bregaint, poète, chargé de rassembler plus de cents autres écrivains et poètes. Chacun, à sa façon, a rendu hommage à ceux et celles de la rue, qui vivent dehors. Sous l'égide de Xavier Emmanuelli, Fondateur du Samu Social de la ville de Paris et parrain d'Action Froid, le recueil s'ouvre sur ces mots ; extraits  d'un poème de Rilke :
« Pauvres ils ne le sont pas ; ils ne sont privés que de biens essentiels »

Un recueil sur et pour la rue 

Selon la formule d'Eleonore James, ce recueil est "sur et pour la rue". Dans un même élan, les auteurs ont voulu apporter une aide matérielle à l’association ActionFroid et proposer une chambre d’écho, un panorama sensible de ce territoire oublié, offrir un espace, une maison de papier en somme, à l’homme déchu, au clochard – celui qui porte à la connaissance de tous que dans tout homme il y a quelque chose qui cloche.
Et quoi de mieux que l’écriture poétique, débarrassée des carcans du langage ordinaire, aux antipodes du commerce verbal et des discours aseptisés, quoi de mieux que cette façon d’habiter la langue comme ouverture, porte d’accès et voie d’exploration ? Rien de ce qui est humain n’est étranger au travail poétique et surtout pas la nature boiteuse de l’homme aussi omnipotent qu’impuissant, cet éternel mortel, ce roi-clochard. Le regard poétique permet de renouer avec l’espace de la relation. Le recueil a été pensé et voulu comme une fraternité réaffirmée dans le corps de la langue.

107 auteurs ont répondu présents

107 auteurs ont apporté leur contribution  à ce projet de rapprocher les « exclus »  et les autres. Contre le désespoir, des actions et une volonté d'apporter sa contribution. Le regard poétique porté par chacun dans cet ouvrage, appelle à la nécessité d'une fraternité, à l'élan généreux de chacun. 

Le prix A. Ribot en récompense

Le recueil et la maison d'édition Janus viennent de recevoir le prix spécial A.Ribot décerné lors du Marché de la poésie qui a eu lieu ce 11 juin 2016. Le prix A.Ribot récompense les auteurs de talent, de conviction pour leur engagement tant poétique qu'humain. 

Ce livre est aujourd'hui encore hélas pleinement d'actualité. M.-J. D.

>Dehors, recueil sans abri, Editions JanusAnthologie établie par Christophe Bregaint et Eléonore Jame. Préambule de Xavier Emmanuelli, parrain d'ActionFroid
Tous les bénéfices des ventes iront à l'Association Action Froid

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Marie-Josée Desvignes est professeure de lettres et auteure. Elle anime des ateliers d'écriture.

En savoir plus

Action Froid  est une association de loi 1901 qui a vu le jour en 2012 à l'initiative Laurent Eyzat. Partant du constat que les politiques publiques ne répondaient pas aux besoins de nos "voisins de trottoir", à l'urgence vitale de la rue, Laurent a voulu donner un sens au réseau social, et c'est sur  Facebook  qu'il lance l'association. Très vite les réponses arrivent, les messages se relaient de page en page... les idées fusent et les premières actions sur le terrain ont lieu dès le premier jour de la création. Plusieurs personnes de différentes régions répondent et montent des antennes locales. Ce qui a commencé comme une action immédiate face aux baisses de température s'est imposé comme une action nécessaire tout au long de l'année.
Une trentaine d'antennes sur tout le territoire, des centaines de bénévoles, tel est maintenant le visage d'ActionFroid. L'association, qui vit sans aide de l'Etat, est avant tout une véritable communauté citoyenne et c'est tout naturellement que nous sommes fiers de participer à cette chaîne de solidarité bien concrète. Ce livre est notre contribution.
Faire un don, devenir adhérent, être bénévole à son rythme et selon ses disponibilités – qu'il s'agisse de marauder, collecter des vêtements ou des produits de première nécessité, organiser des événements pour récolter des fonds –, voilà ce que permet ActionFroid, l'association à visage humain où toutes les initiatives et bonnes volontés sont les bienvenues. Du concret qui réchauffe. 

>aller sur le site de l'association 

 

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