« au ciel bleu croire »

Catherine Enjolet, une histoire de résilience et de ténèbres

au ciel bleu croire est un texte magnifique et terrible sur les abus que Catherine Enjolet a subis dans l’enfance et son parcours de résilience. Pour la fondatrice des Liens du Sens – Meaninful Links, à qui l’on doit le concept de l’« Adoption Affective »les rencontres de sa vie sont autant de rendez-vous du destin. Un récit autobiographique bouleversant où les orphelins côtoient les célébrités et médecins.

Boris Cyrulnik et Catherine Enjolet, complices lors de la remise de Légion d'Honneur de l'auteure. DR. Boris Cyrulnik et Catherine Enjolet, complices lors de la remise de Légion d'Honneur de l'auteure. DR.

 au ciel bleu croire est un texte magnifique et terrible sur les abus que Catherine Enjolet a subis dans l’enfance et son parcours de résilience. Pour la fondatrice des Liens du Sens – Meaninful Links, à qui l’on doit le concept de l’« Adoption Affective », les rencontres de sa vie sont autant de rendez-vous du destin. Un récit autobiographique bouleversant où les orphelins côtoient les célébrités et médecins.

« J’ai l’habitude de mourir, c’est la vie, je garde toujours le sourire » Catherine Enjolet

Il est des épreuves, des tragédies, qu’il est impossible de comprendre si l’on ne les a pas vécues. C’est sans doute la raison pour laquelle la lecture de ce texte autobiographique a pu paraître âpre à certains.

Et pourtant, la littérature de la Shoah, notamment, le montre, les grands textes font si bien toucher du doigt la réalité, ils reflètent si bien les sentiments qu’on a l’impression de les avoir vécus. L’impression, je dis bien, nous sommes très, très, loin de la réalité en tant que lecteur, même si elle est fidèlement dépeinte. Mais la force du témoignage, la capacité à transmettre, à traduire son expérience par les mots justes, évitent d’être seuls. Le témoignage crée des liens.

Les liens du témoignage

De liens, il est beaucoup question dans cet essai très autobiographique. L’ancienne professeur « de l’Être » autodidacte, et lauréate du et organisatrice des Rencontres Littéraires Monde – Literary Escapes.

On dit que l’exemple des uns ne sert jamais aux autres. Le témoignage aide pourtant bien à libérer la parole. On l’a suffisamment vu avec le mouvement #MeToo et dans son sillage avec la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et sur les violences sexuelles). Des générations se sont tues faute d’être entendues et surtout réellement défendues devant les tribunaux. « Tes agresseurs, à toi, étaient justement ceux chargés de te protéger… Comment alors te défendre ? », analyse l’ami Boris Cyrulnik. Qui ajoute : « toi on t’a fait croire que… oui, tout est affaire de croyances. Rien n’est pire que l’abus de confiance ».

Les images insoutenables d’une enfant en danger de mort

Les rencontres fondatrices, sources de résilience, et au premier chef la figure du psychiatre et ami Boris Cyrulnik ne suffisent pas faire oublier la souffrance crasse infligée à l’auteure dans l’enfance. Les étapes franchies « pas à page » pour dépasser le trauma et transformer l’horreur en épreuve par la générosité et l’engagement bénévole ne suffisent pas à faire oublier l’arrière-plan de ces ténèbres. Force est de reconnaître qu’il est difficile, pour qui ne les a pas traversées, d’en soutenir les images.

Avec l’adulte « en danger de silence », c’est une enfant en danger de mort dont il s’agit. La mort d’un père résistant à l’âge de cinq ans. L’abandon au « Palais de San Salvadour », dans la Baie de Toulon, à l’âge de deux ans sous une tente à oxygène. L’enfant n’avait pas été vaccinée contre la diphtérie. Les abus de son beau-père. La perte d’un parrain quasi providentiel qui a inspiré le concept de « parrainage affectif ». C’est là que le mécanisme de la résilience se met en place.

Les quelques mots qui sauvent

Quelques mots suffisent à faire qu’un enfant se sent enfin compter pour quelqu’un. « Tu seras pour moi unique au monde » est un refrain universel. Encore fallait-il penser à faire adopter des enfants « du bout de la rue » qu’on laisse souvent se faire maltraiter en silence. Ils sont ainsi des milliers d’enfants en France et en Europe à avoir été sauvés de la déréliction affective grâce l’impulsion de Catherine Enjolet et à l’action de ses bénévoles, de ses parrains et mécènes qui offrent « de la nourriture affective ».

C’est de ces grandes figures qui se sont penchées sur le berceau des Liens du Sens qu’il est question ici. Boris Cyrulnik, Mireille Darc, Sœur Emmanuelle, Xavier Emmanuelli, Edouard Boubat, Simone Veil, Robert Laffont, Frédéric Vitoux et son épouse Nicole. Et au commencement le scénariste et conseiller politique Paul Guimard qui lui remet le Prix de Jeune Cinéma Français de Films Courts. Et, rapidement, son épouse Benoîte Groult, véritable figure de mère adoptive, et leur fille Blandine de Caunes, à l’amitié indéfectible – et je parle aussi en connaissance de cause.

La Presqu’île aussi. Refuge magique. Unique. « Paul m’a-t-il dirigée, sans savoir sur ces rives, face à l’immensité, pour que les vagues effacent le passé, pour que l’écume chuchote, caressante comme on console… « c’est fini… c’est fini »… Pour que je respire, désormais, à pleins poumons et laisse les peurs s’échouer, pour que j’écrive face à San Salvadour et que le Palais se métamorphose, comme dans les contes ».

Comme dans les contes de fée

Il y a quelque chose de merveilleux dans ces rencontres, qui semblent véritablement tombées du ciel. Nous en avons souvent parlé ensemble avec Catherine lorsqu’elle écrivait son manuscrit. Des fragments de vie qui se répondent comme des morceaux de verre brisé qui lancent des signes d’un âge de la vie à l’autre. D’une personne délaissée à l’autre. D’une personne rencontrée à l’autre.
Quelque chose de magique comme dans les contes de fée. Mais, comme dans les contes de fées, la belle histoire est là aussi pour alerter les enfants sur les dangers de l’existence. Et tout d’abord au sein de leur propre famille. L’histoire est connue. L’histoire de chaque malheur est unique. Puisque les gens heureux ont la chance de ne pas en avoir, eux, d’histoires.

Les abus cachés des marâtres et la perversité du silence

Et pourtant, il est frappant de voir que les traits de mères abusives – les marâtres des contes – se ressemblent si bien. Alors pour ceux qui ont eu la malchance de croiser ce genre de personnages, la ressemblance fait froid dans le dos. « C’est une poupée qu’elle voulait et je n’aurais jamais dû mettre à parler, c’était pas du jeu ! ». Les pervers aiment l’ombre. Les pervers aiment le silence. Ils cultivent la loi du silence. Qui porte un nom dans toutes les mafias du monde, l’omerta. Les pervers aiment « faire semblant » et jouer à des jeux. « On ferait comme si ». Leur problème est peut-être qu’ils n’ont pas grandi.

« Ta mère disait de toi que tu étais trop intelligente ! Trop raisonnable ! Que tu étais née vieille et… ». merveilleuses femme-enfants qui s’amusent toute leur vie sur le dos des leurs. La mienne regrettait récemment : « Tu étais toujours sérieuse, toujours sage. Je ne pouvais pas te corriger ». Toute ressemblance…

« Ma mère ne m'avait-elle pas expliqué que je ne vivais pas sans elle ? Celle qui tirait sa force de ma faiblesse se disait d’ailleurs bien obligée de me reprendre aux services sociaux pour l’aider à la naissance d’un petit frère. (…) Elle m’exige forte – pas trop…  s’agit pas que je la détrône ! Si elle me veut du genre « bon petit soldat », elle s’assure quand même que je n’existe pas sans elle et mesure sa force à ma faiblesse ; voilà, le même pacte qu’avec sa mère qu’elle ne quittera jamais, voilà ! ». Si cela ne s’appelle pas une prison !

« Ça éclate soudain comme des orages sous mon crâne. Il pleut des larmes qui coulent en zigzag sur les vitres. Des lumières s’éteignent ». Heureusement, « Notre vie est tellement plus vaste que ce que l’on croit », s’écrit Catherine en discutant avec l’un de ses cousins retrouvé... par miracle. Le fondateur des Villages d’Enfants SOS, Gilbert Cotteau.

Donner ce que l’on n’a pas reçu

Heureusement, face à l’indicible, à l’impensable, il y a la possibilité de donner… ce que l’on pas reçu. Selon le credo de mon amie Catherine Enjolet. La possibilité d’aider les autres à surmonter leur propre traumatisme. Et dans la mesure du possible, à éviter de le subir. Une cause qui nous dépasse. « Nous sommes une mémoire qui agit » - un mantra hérité du professeur Laborit-, l’un des autres bienfaiteurs de l’association, que Catherine répète souvent. Et reprend souvent aussi au fil de ces lignes.

La litanie de la répétition

Il y a parfois quelque chose de litanique dans cette écriture en forme de confession. C’est parce que le malheur a quelque chose de lancinant. Car, comme le répète encore l’auteure, tant qu’on n’a pas fait la lumière sur un trauma, il se répète. Or, il est bien vrai, et cette succession de rencontres et de coïncidences ahurissantes le montrent bien, que la souffrance muette est une autre manière de se rencontrer. D’abord inconsciente, puis lucide et plus évidente.

« Avec tes pages désormais, tu t’ouvres à toutes les métamorphoses, à tous les miracles ». Boris Cyrulnik

Ce sont ces hasards en forme de destin que Catherine Enjolet décrypte au fil de ces chapitres, entre fou rires complices et hésitations. Aussi nombre de ses phrases résonnent-elles comme des aphorismes. Avec des amis tels que les siens, cela n’est pas non plus très étonnant. « Avec tes pages désormais, tu t’ouvres à toutes les métamorphoses, à tous les miracles », observe le psychiatre Boris Cyrulnik, président d’honneur des Liens du Sens. Pour cet autre auteur prolifique, « mettre « en lumière » les traumas les transforme en épreuves. »

« Reste à dresser les mots remparts. Contre le passé plus-que-présent, écrire page à page, ce qui ne se dit pas ». L’élucidation, c’est sûr, passe par cette compréhension muette, par les mots. Restent enfin les actes pour aboutir à cette chose magnifique : vivre et non plus survivre. Les mots de Catherine Enjolet aident chacun à « faire la lumière en soi ».

> Catherine Enjolet, au ciel bleu croire, Préface de Boris Cyrulnik, Éditions Phébus, 247 pages, 21 euros. >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

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