"Mousseline la Sérieuse"

Sylvie Yvert : « Raconter l’Histoire comme un roman »

 Sylvie Yvert se fait à la fois écrivaine et historienne pour son premier roman Mousseline la Sérieuse (Héloïse d'Ormessson). Un livre passionnant et émouvant, qui retrace la vie de Marie-Thérèse Charlotte de France, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, surnommée aussi « Mousseline la Sérieuse ». Sylvie Yvert lève ainsi le voile sur un pan méconnu de la Révolution, en nous faisant découvrir l'extraordinaire destin d'une femme fière et digne, qui a survécu aux pires tourments de l'Histoire.

Portrait de Sylvie Yvert. Photo de l'éditeur.

Derrière le personnage de Mousseline la sérieuse, c’est toute une page de l’histoire de France que nous revivons, une page qu’on a voulu éteindre. Aujourd’hui dans les manuels d’histoire, on a presque gommé l’assassinat de Louis XVI, et on a vite voulu oublier que la Révolution s'est accompagnée des pires violences. On s’aperçoit qu’il reste finalement une zone d’ombre sur la fin tragique de la royauté française, comme si celle-ci avait été elle aussi cachée d’un voile noir, un oubli qui arrange ceux qui en ont été les exacteurs, et peut-être aussi ceux qui en ont été les victimes, comme si l'oubli était la meilleure antidote à la honte. Explorer les heures sombres de la Révolution participe si ce n'est au devoir d'une mémoire, tout au moins à la vérité de l'Histoire. Sylvie Yvert s'y emplout avce talent. Elle explore de façon passsionnante le destin de la famille royale au moment de la Révolution, en redonnant vie à la fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, Marie-Thérèse Charlotte. Elle révèle ainsi un beau portrait de femme et lève aussi le voile sur un pan d'histoire méconnue.

Qui est Mousseline la Sérieuse, la duchesse d’Angoulême ?

Sylvie Yvert : Il s’agit de la très méconnue pour ne pas dire oubliée fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, aînée de leurs quatre enfants et seule survivante de la famille royale, devenue duchesse d’Angoulême par son mariage avec son cousin germain, lui-même fils aîné du futur Charles X, frère de Louis XVI (ils étaient trois frères qui ont tous les trois régné mais les deux derniers sont moins connus des Français).

Pouvez-vous nous la décrire ?

S.Y : Si l’on en croit la quasi-totalité des mémorialistes de l’époque (excepté Chateaubriand, et Sainte-Beuve, entre autres), il s’agit d’une femme austère, sèche, revêche, bigote. J’ai commencé le livre en le croyant et en pensant qu’elle serait difficile à défendre. Ayant décidé de me faire l’avocate de cette princesse dont je connaissais au moins les qualités de cœur, quelle n’a pas été ma surprise de découvrir une femme terriblement blessée, traumatisée dirait-on aujourd’hui, et qui se protège du mieux qu’elle peut, au risque de paraître froide. Physiquement, elle était très grande, comme ses parents (Louis XVI mesurait 1,92-1,95m selon les sources et Marie-Antoinette 1,78m). Gracieuse jeune, plus massive à l’âge mûr, avec des yeux « à fleur de tête » comme on disait joliment mais qui signifie exorbités.

Pourquoi avons-nous si peu entendu parler d’elle ?

S.Y  : Pour plusieurs raisons : toute l’attention s’est concentrée sur son frère, devenu Louis XVII après la décapitation de son père et qui est mort dans de terribles conditions au Temple, d’où des cascades de livres à son sujet. Ensuite, étant une fille, elle n’était pas appelée à régner. Enfin, la République, sans doute un peu gênée aux entournures, a préféré glisser son effroyable destin sous le tapis.

Vous avez choisi de prendre une posture d’écrivaine plutôt que d’historienne en écrivant ce livre, qui est pour autant très documenté. Comment avez-vous travaillé ?

S.Y  : Non, non, je n’ai pas choisi, justement entre l’histoire et la littérature, ce qui a compliqué le fait de trouver très vite un éditeur car les premiers rencontrés voulaient précisément que je choisisse : biographie ou roman historique, quitte à trahir un peu « ma duchesse », comme je l’appelle affectueusement. Or je voulais innover en racontant l’Histoire comme un roman, un roman vrai ; si j’osais, « d’après une histoire vraie ». Il n’y a pas vraiment de nom pour désigner ce genre. Heureusement les Editions Héloïse d’Ormesson ont compris l’intérêt de cette approche nouvelle. 

Puisque je voulais travailler en historienne, j’ai commencé par constituer une bibliographie, notamment avec l’aide de mon mari historien et ancien universitaire. J’ai d’abord préécrit à la troisième personne du singulier puis suis vite passée à la première, qui était l’idée de départ. Petit à petit, par capillarité, le livre a pris forme.

En lisant votre livre, on se rend compte que vous avez complètement épousé le personnage. Qu’est-ce qui vous a poussée à endosser pleinement ce destin ?

S.Y  : Mon mari a même parlé d’un cas de « possession littéraire », me concernant ! J’ai constamment écrit en l’imaginant lisant par-dessus mon épaule. Aurait-elle validé cette formulation ? Il ne s’agissait pas d’écrire comme une lingère… Et pouvait-elle tout dire ? Par exemple que sa mère avait demandé à descendre de la charrette la menant à l’échafaud pour soulager un besoin naturel, sans doute sous le coup de l’émotion ? Non, bien sûr, et pourtant je ne connaissais pas ce détail et aurais aimé le livrer au lecteur.

Par ailleurs, c’est l’empathie pour une femme hypersensible et digne qui m’a poussée à me faire son avocate – le mot n’est pas trop fort.

Votre ouvrage est très intimiste, il parle au cœur, ce qui n’est pas toujours le cas dans les livres historiques. Allez-vous continuer dans le roman historique ou plutôt exploiter cette veine de l’intime ?

S.Y  : Je voulais un angle original pour traiter de cette période de l’histoire. Qui de mieux pour nous la raconter que la fille du roi, qui était à Versailles au moment de l’envahissement du château, dans la berline arrêtée à Varennes, enfermée au Temple ? N’est-elle pas la seule survivante ? En outre, elle a toujours refusé d’en parler et a fait brûler tous ses papiers.

Mon prochain livre sera ou bien un ouvrage dans la même veine, sur ce chemin de crête, ou bien un livre plus historique encore, mais toujours traité d’une manière littéraire. Sans doute pas un roman au sens habituel.

Vous étiez chargée de mission et c’est votre premier roman. Cela vous intronise-t-il comme écrivaine ? Si oui, avez-vous d’autres projets en cours ?

S.Y : Ecrivaine ? Certainement pas. Ecrivain non plus. Pour moi il n’y en a que quelques-uns par siècle et ils réinventent le genre, la langue. Je me définis simplement comme auteur. D’ailleurs la langue que j’ai utilisée a plus à voir avec le pastiche (ce qui est très contraignant) puisque j’ai épousé la langue de l’aristocratie du milieu du XIXe siècle. Et non, pour l’heure, je n’ai pas de projets signés en cours, mais j’ai quelques idées.

Le Salon du livre approche, quels sont les écrivains qui comptent selon vous aujourd’hui ?

S.Y : Ceux qui comptent ? Je vous réponds spontanément Houellebecq, Carrère, Modiano. Les grands que j’aime : Jean-Paul Kauffmann, Lydie Salvayre et Marcel Cohen. Je suis tentée de dire, pour son travail sur la langue, Chloé Delaume. Mais je connais peu de contemporains, n’ayant lu que des classiques jusqu’à quarante ans. En outre je lis peu de livres traduits – je suis bien trop puriste pour cela !

Que pensez-vous du monde de l’édition aujourd’hui en France ?

S.Y : Vaste programme. D’abord les aspects financiers prennent plus de place qu’il y a vingt ou trente ans. Ensuite, trop de livres inutiles paraissent, ce qui pose un problème à toute la chaîne du livre (les libraires en particulier qui manquent de place et renvoient plus vite les ouvrages pour accueillir les nouveaux). Et comment, dans ces conditions, reprocher aux critiques de ne pas toujours lire les livres qu’ils reçoivent ? Enfin, je suis bien placée pour juger que trop d’éditeurs, les grosses maisons surtout, sont frileux : ils ne se lancent que s’ils estiment qu’il n’y a pas de risque. Heureusement il reste des éditeurs qui font encore leur métier : dénicher des auteurs, voire des écrivains, puis défendre leurs livres (et non des produits).

>Sylvie Yvert, « Mousseline la sérieuse » (Editions Heloïse d’Ormesson)

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>Découvrez un extrait du livre : 

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