« La douceur »

Étienne de Montety : « J’aime l’idée de la beauté comme une réponse à l’horreur »

Le destin de la résistante Lily de Gerlache a inspiré à Étienne de Montety, écrivain et directeur du Figaro Littéraire, La douceur (Stock), un roman hommage émouvant, nécessaire. Pour que la mémoire de ces héros de la Seconde guerre mondiale ne se perde pas avec la disparition des derniers témoins. Agnès Séverin a rencontré Étienne de Montety qui lui parle de la genèse de cette histoire de rédemption par l’amour et la beauté.  

Etienne de Montety © Patrice Normand

Légende photo : Etienne de Montety © Patrice Normand 

Le destin de la résistante Lily de Gerlache a inspiré à Étienne de Montety, La douceur (Stock), un roman hommage émouvant, nécessaire. Pour que la mémoire de ces héros ne se perde pas avec la disparition des derniers témoins. Par-delà les souvenirs terribles que May de Caux accepte de livrer à deux journalistes, La Douceur est l’histoire d’un retour à la vie. D’une rédemption par l’amour et la beauté, à laquelle la rose prête son image universelle. Étienne de Montety, directeur du Figaro Littéraire évoque la genèse de son cinquième roman.

Comment avez-vous choisi le titre de votre dernier roman ? Est-ce une référence à La Douleur de Marguerite Duras ?

Etienne de Montety : Non, mais cette idée de titre s’est très vite imposée comme un fil rouge positif du livre. Je réfléchissais beaucoup aux questions de retour à la vie, de résilience comme on dit maintenant. Le mot de douceur dit mieux que le terme de résilience, la symbolique de la rose, le retour à la vie, qui est le retour à l’amour, à la relation avec les autres. Le terme de délicatesse aurait été adapté, mais il était déjà pris, par David Foenkinos (rires) !

Le livre s’inspire d’une histoire vraie…

E. de M. : Lily, à qui je dédie le livre, est une femme qui avait été déportée. J’en fais une Française mais elle était Belge. Et elle s’est effectivement impliquée dans la promotion de la rose. La rose est un symbole de paix. Une rose a ainsi été dénommée Peace après-guerre. La guerre est une chose absurde quand vous êtes dans un jardin.

               « Le défi, par rapport à notre époque, de ne pas s’en tenir à l’horreur sans réponse. »

Que symbolise la rose pour vous dans ce livre ?

E. de M. : J’aimais bien cette idée d’un contrepoint à l’horreur par la beauté, par la douceur, par la nature, et donc par les roses. Il y avait aussi un peu le défi, par rapport à notre époque, de ne pas s’en tenir à l’horreur sans réponse. Que ce soit la déportation qui est quelque chose d’abyssal. La guerre. Les malheurs de notre temps, j’aimais cette idée qu’il fallait y répondre. Chacun y répond comme il peut, par l’espérance, par le bonheur.

Cette approche diffère de votre précédent roman inspiré de l’assassinat du père Hamel…

E. de M. : J’ai en effet pu m’en tenir dans certains de mes précédents livres à la guerre, à la mort. Le livre consacré au père Hamel porte sur un assassinat. C’est une réflexion sur ce point ultime. Dans La douceur, l’idée me plaisait de la page d’après.

                  « Il y a beaucoup de discussions sur l’appropriation culturelle, mais un romancier
                     peut se mettre dans la peau d’une femme. »

Vous évoquez le retour à la vie à travers un personnage féminin…

E. de M. : L’idée du roman m’est venue en sortant des obsèques d’une femme. Cela m’a intéressé de voir comment on se met dans la peau d’une femme. C’est un personnage à qui je prête beaucoup de choses personnelles. Il y a beaucoup de discussions aujourd'hui sur l’appropriation culturelle, mais un romancier peut être une femme, un personnage du Moyen-Âge, un Noir au temps de l’esclavage, un enfant pourquoi pas ? Je revendique cette liberté. Il y a plein de choses dans mes personnages qui sont moi !

Votre héroïne parvient à conserver une part de féminité à Ravensbrück, pouvez-vous nous raconter cela ?

E. de M. : Cela m’a intéressé de voir ce que pouvait représenter à Ravensbrück la négation non seulement de l’humanité, mais aussi de la féminité. Le comportement des femmes dans l’horreur et la cruauté. Les femmes entre elles. Les problèmes d’hygiène. Les problèmes relatifs à la fécondité d’une femme. Á l’inverse, le retour à la vie signifiait le retour à l’amour, à la fécondité, à la tendresse. Pour un écrivain masculin, il était intéressant de prêter à ce personnage sa sensibilité féminine. C’est très enrichissant.

Vous vous êtes appuyé sur les travaux de l’ethnologue Germaine Tillion…

E. de M. : Germaine Tillion évoque en effet ces questions d’hygiène dans ses travaux sur la déportation qu’elle a commencés in situ dans le camp de Ravensbrück. C’est une femme inouïe ! Elle a sollicité des témoignages de nombreuses femmes. J’ai eu la chance également de rencontrer l’une des dernières survivantes de Ravensbrück, Jacqueline Fleury. Une femme de quatre-vingt-dix-huit ans, encore très énergique. Je lui ai demandé non pas de témoigner de l’horreur nazie, mais sur ce qu’était la vie pour les femmes dans le camp à l’âge de dix-huit ans. Elle m’a parlé très librement de toutes les ambiguïtés de la déportation, avec les Aufsherin, les Blockova. C’est un monde sidérant.

Le symbole du maquillage à Ravensbrück est très frappant…

E. de M. : Oui, ce bâton de rouge à lèvres prélevé par une Effekt parmi les effets des nouvelles arrivantes permet à May de résister à tout. Par un simple petit signe. Prendre soin de soi, c’est aller mieux. C’est bien au-delà de la simple coquetterie, de la simple hygiène. C’est mon coiffeur qui m’a soufflé cette intuition en disant « Nous faisons du bien aux gens »À l'inverse, les déportées étaient désespérées de leurs pauvres nippes, qui étaient vraiment un signe de déshumanisation. Et si l’une d’elles arrivait à attraper un truc moins moche et moins sale, c’était une victoire. Il y avait un marché de troc à partir des affaires confisquées qui avaient été délaissées par les autorités. C’était pour elles des trésors.                                           

La littérature des camps vous a-t-elle servi de matière ?

E.de M. : J’ai été marqué par la lecture de La Nuit, d’Elie Wiesel, préfacé par Mauriac. Au nom de tous les miens a été beaucoup discuté, mais c’est un livre qui m’avait scotché. Si c’est un homme de Primo Levi. L’écriture ou la vie, de Jorge Semprun, qui est plus récent. Et les mémoires d’Hélie de Saint-Marc, Les chants de braises où il parle de Buchenwald. Et après, j’ai découvert un livre fantastique, dingue, c’est le livret de l’opérette que Germain Tillion a écrite à Ravensbrück. Elle y met sur les airs de chansons que tout le monde connaît leur quotidien à Ravensbrück.

Vous vouliez mettre en scène la parole des derniers survivants. Avec une volonté de témoignage ?

E. de M. : La génération de May comme de Lily est une génération qui ne parle pas, qui ne se vante pas. Mais qui est aussi empêchée par le malheur et la souffrance. May a ce côté grande dame. Elle vient d’un monde où on ne parle pas, où l’on ne se plaint pas. C’est une génération et une éducation. D’où l’écriture comme exutoire. De l’autre côté, il y a notre époque qui supplie ses aînés de témoigner. Mais il ne faut pas être présomptueux, pour nos enfants et leurs propres enfants, cette période de l’Histoire, pour tragique qu’elle ait été, s’éloigne très vite. Je mets en scène le choc entre deux générations.

                                « J’ai vu cette absolution incroyable quand j’ai travaillé à un livre avec 
                                   Hélie de Saint-Marc et August von Kageneck. »                             

Ce sont deux journalistes qui amènent votre héroïne à se confier…    

E. de M. :  A un moment s’est fait une circulation entre mes personnages, qui m’échappait en partie. Cette femme, au fond, le témoignage lui fait du bien. Et son témoignage fait du bien aussi aux deux journalistes qui le reçoivent. Ils sont eux-mêmes corsetés dans leur histoire, leurs secrets, leurs malheurs. Elle les leste un peu. Elle leur donne une raison d’exister. Le sentiment que la vie est grave, qu’il y a des choses à dire, des choses à faire. Et pour ce qui est de pour la petite Allemande, c’est une espèce de culpabilité collective d’un peuple qu’elle incarne. May lui transmet par son témoignage une sorte d’absolution symbolique.
J’ai vu cette absolution incroyable quand j’ai travaillé à un livre avec Hélie de Saint-Marc, ancien déporté, et August von Kageneck, ancien officier de la Wehrmacht. Hélie allait mieux à mesure qu’il parlait. C’était un homme qui allait mieux à quatre-vingts ans qu’à soixante. Parce qu’entre-deux il y avait eu ces témoignages. Von Kageneck, lui, était un peu hanté par l’histoire de l’Allemagne. Se disant qu’il avait été le petit rouage d’une énorme machine dans laquelle, de rouage en rouage, on arrive quand même à la déportation et à l’extermination. Un an après la sortie du livre, il tombe malade et il meurt en trois mois. En fait, le livre avait réglé beaucoup de questions dans sa vie et il était prêt à partir. C’était une espèce d’absolution par une amitié qui était née.                

                                    « Aristocrate et résistante, il fallait que la grande dame le soit un peu jusqu’au bout. »          

Était-il important pour vous de mettre en lumière le passé de résistante d’une aristocrate ?

E. de M. : On ne parle bien que de ce qu’on connaît... Comme mon personnage avait un côté grande dame [May de Caux préside la Convention de la Rose] qui intimide les journalistes, il fallait que la grande dame le soit un peu jusqu’au bout. Et il fallait aussi qu’elle l’ait été depuis les origines. J’ai décrit un endroit, une maison que je connais bien.
Il est vrai que c’est une histoire moins connue. Mais je ne fais pas œuvre d’historien ou de sociologue. Dans tous les milieux, on a résisté. Dans tous les milieux, on s’est engagé. Il y a eu de très belles initiatives venant de gens qui possédaient des grandes maisons, des propriétés agricoles, des bois, qui avaient vraiment organisé des réseaux. Kessel en parle dans L’Armée des ombres.

                                  « Avant Kessel, Kersten est typique de la figure du héros méconnu, oublié et occulté. »           

Votre héroïne est sauvée par la Croix-Rouge suédoise grâce à Felix Kersten, le masseur d’Himmler. Vous êtes-vous inspiré du roman que Joseph Kessel lui a consacré, Les mains du miracle ?

E. de M. : Kersten a été un incroyable bienfaiteur des déportés de Ravensbrück. Il a obtenu d’Himmler que la Croix-Rouge suédoise rentre à Ravensbrück. Kessel raconte là quelque chose d’inouï. Quand il entend parler de Kersten, il découvre qu’il est mal considéré. On dit alors qu’il est « le médecin des nazis ». Il avait soulagé Himmler, mais en échange de services. Kersten est typique de la figure du héros méconnu, oublié et occulté. Car il y a eu Après-guerre une espèce de guerre des mérites en Suède. Et il a été effacé par d’autres figures, notamment pour le prix Nobel de la Paix. Et quand Kessel le rencontre au milieu des années soixante, c’est un quidam très oublié. C’est Kessel qui va le remettre en lumière avec Les mains du miracle. Lily le disait : « Je dois la vie à Kersten. J’étais en train de mourir du typhus et la Croix-Rouge est entrée dans le camp et m’a embarquée avec huit cents femmes. Pour vous c’est un thème de livre, pour moi c’est mon histoire ».

Références

  • La douceur, Etienne de Montety, Stock, 265 pages, 20,50 euros.>>lien vers le livre
  • Notre histoire 1922-1945 Hélie de Saint-Marc, August von Kageneck. Les Arènes, Conversations avec Etienne de Montety >>lien vers le livre
  • La grande épreuve, Etienne de Montety, Stock, 292 pages, 20 euros. Grand prix du roman de l'Académie française 2020 >>lien vers le livre
  • Une opérette de Ravensbrück - Le Verfügbar aux enfers de Germaine Tillion. Éditions de La Martinière, 2005. Points, 2007 >>lien vers le livre
  • Les mains du miracle, Joseph Kessel, Folio, Première parution en 1960,  416 pages, 9,20 euros >>lien vers le livre

 

En savoir plus

Visionner une vidéo dans laquelle Etienne de Montety parle de son livre La douceur ( Réalisation Mollat).

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