Corinne ou l'Italie

Extrait de Corinne ou l'Italie de Madame de Stael

Les quatre chevaux blancs qui traînaient le char de Corinne se firent place au milieu de la foule. Corinne était assise sur ce char construit à l'antique, et de jeunes filles, vêtues de blanc, marchaient à côté d'elle. Partout où elle passait l'on jetait en abondance des parfums dans les airs ; chacun se mettait aux fenêtres pour la voir, et ces fenêtres étaient parées en dehors par des pots de fleurs et des tapis d'écarlate ; tout le monde criait Vive Corinne, vive le génie ! vive la beauté ! L'émotion était générale ; mais lord Nelvil ne la partageait point encore ; et bien qu'il se fût déjà lui déjà dit qu'il fallait mettre à part, pour juger tout cela, la réserve de l'Angleterre, et les plaisanteries françaises, il ne se livrait point à cette fête, lorsqu'enfin il aperçut Corinne.

 

Elle était vêtue comme la Sibylle du Dominiquin, un schall des Indes tourné autour de sa tête, et ses cheveux du | plus beau noir entremêlés avec ce schall ; sa robe était blanche ; une draperie bleue se rattachait au-dessous de son sein, et son costume était très pittoresque, sans s’carter cependant assez des usages reçus, pour que l'on pût y trouver de l'affectation. Son attitude sur le char était noble et modeste : on apercevait bien qu'elle était contente d'être admirée ; mais un sentiment de timidité se mêlait à sa joie, et semblait demander grâce pour son triomphe ; l'expression de sa physionomie, de ses yeux, de son sourire, intéressait pour elle, et le premier regard fit de lord Nelvil son ami, avant même qu'une impression plus vive le subjuguât. Ses bras étaient d'une éclatante beauté ; sa taille grande, mais un peu forte, à la manière des statues grecques, caractérisait énergiquement la jeunesse et le bonheur ; son regard avait quelque chose d'inspiré. L'on voyait dans sa manière de saluer et de remercier, pour les applaudissements qu'elle recevait, une sorte de naturel qui relevait l'éclat de la situation extraordinaire dans laquelle elle se trouvait ; elle donnait à la fois l'idée d'une prêtresse d'Apollon, qui s'avançait vers le temple du Soleil, et d'une femme parfaitement simple dans les rapports habituels de la vie ; enfin tous ses mouvements avaient un charme qui excitait l'intérêt et la curiosité, l’étonnement et l'affection.

 

L'admiration du peuple pour elle allait toujours en croissant plus elle approchait du Capitole, de ce lieu si fécond en souvenirs. Ce beau ciel, ces Romains si enthousiastes, et put dessus tout Corinne, électrisaient l'imagination d'Oswald : il avait vu souvent dans son pays des hommes d'État portés en triomphe par le peuple ; mais c'était la première fois qu’ il était témoin des honneurs rendus à une femme, à une femme illustrée seulement par les dons du génie : son char de victoire ne coûtait de larmes à personne ; et nul regret comme nulle crainte, n'empêchait d'admirer les plus dons de la nature, l'imagination, le sentiment et la pensée.

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