MACABRE DÉCOUVERTE DANS LE NÉGUEV ISRAÉLIEN

Début de MACABRE DÉCOUVERTE DANS LE NÉGUEV ISRAÉLIEN

PRÉAMBULE : UN COLLOQUE BIEN PARTICULIER

Un colloque bien particulier

Au début des années 2000, à Beer-Sheva en Israël, aux portes du désert du Néguev, se tient un colloque sur le jojoba, plante assez mal connue du grand public et pourtant fort intéressante à plusieurs points de vue. Au cours de cette réunion entre spécialistes de cette espèce et de la propagation des végétaux, la découverte d’un cadavre vient perturber considérablement la sérénité des travaux.

Un colloque organisé en Israël sur les plantes n’est pas chose fréquente. Par ailleurs, qu’il soit focalisé sur le jojoba, une plante peu courante, est encore moins usuel. Donc d’entrée il surprenait. Mais la présence inattendue et imprévisible d’un corps sans vie en a fait, en plus, un symposium très particulier, sinon étrange. Or dans une telle rencontre internationale les points forts se situent au niveau des nouveautés présentées. Tel n’a pas été le cas à Beer-Sheva où le décès d’un participant a constitué le fait le plus marquant.

Rien ne laissait imaginer que la victime à laquelle tout souriait dans la vie, puisse disparaître d’une façon aussi soudaine. Sa santé réputée excellente faisait bien des envieux. Sa réussite professionnelle apparaissait aux yeux de certains comme presque injuste. Elle était le résultat d’un travail acharné dont les retombées n’avaient rien d’immérité. Alors comment expliquer cette mort soudaine ? Une question vient immédiatement à l’esprit : y a-t-il un lien entre le jojoba et ce décès ? En existe-t-il un entre ce dernier et le pays organisateur – voire sa religion ?

On comprend assez bien le désarroi des congressistes qui, venus ici pour échanger sur le plan des connaissances mais également pour visiter une région peu connue du plus grand nombre, doivent faire face à la mort de l’un des leurs.

Pour tenter d’apporter une réponse à ce triste événement, il faut tout d’abord en définir les contours. À cet effet le choix du lieu de la réunion sera examiné afin de savoir si sa responsabilité peut être incriminée. L’organisation de ce congrès fera ensuite l’objet d’une attention toute particulière : peut-on considérer qu’elle puisse être impliquée dans cette fin tragique ? Puis des données relatives au jojoba, expliquant les raisons pour lesquelles ce thème a été retenu, seront rassemblées. Cette démarche n’a pour but que de déterminer si, là encore, une corrélation peut être décelée, et par conséquent mise en cause, entre la plante et la victime.

À la suite du regard porté au cadre de ce drame, la découverte du cadavre sera abordée. Les conditions dans lesquelles elle s’est déroulée seront décrites. Des informations relatives à la personnalité de la victime, à son milieu familial et à son passé seront apportées. Enfin, il sera fait état de renseignements éminemment surprenants la concernant.

Et puis, comme dans tous les cas de mort inopinée et brutale, une enquête est forcément ouverte. De nombreuses auditions sont ainsi menées, en particulier parmi les participants au colloque. Les dépositions des uns s’opposent parfois à celles des autres ; les causes du décès n’apparaissent pas clairement. Divers bruits circulent mais aucun élément incontestable ne se dégage jusqu’au jour où une révélation apporte la clarté nécessaire à la compréhension de ce douloureux épisode.

* *

*

Il fait beau temps en cette matinée automnale. Comme tous les jours, l’aéroport Paris-Charles-de Gaulle – communément appelé Roissy-Charles-de-Gaulle – accueille une foule considérable. Les différents halls sont noirs de monde. Les divers passagers, regroupés ici ou là, se dirigent vers les salles d’embarquement pour rejoindre ensuite les lieux de leur destination situés un peu partout à la surface de notre planète. Toutes les couleurs de peau sont représentées ; toutes les tenues vestimentaires se côtoient. Cette ruche humaine fait penser à la palette d’un peintre. Comme on peut s’y attendre, l’anglais et l’espagnol sont parlés en plus grand nombre dans les files d’attente et dans les regroupements mais des langues plus exotiques abondent également.

À hauteur du comptoir d’enregistrement du vol pour Tel-Aviv, les futurs voyageurs, nombreux, avancent très lentement. Ils ne semblent pas irrités par cette longue attente. Ils discutent, sourient, rient parfois. Ils ne se connaissent sans doute pas forcément mais leur rapprochement dans la queue les porte à échanger quelques mots en hébreu, en yiddish, en anglais ou en russe. De façon un peu surprenante le français semble totalement absent de ces conversations, banales le plus souvent. Pourtant par le passé l’usage de notre langue était très répandu chez les Israéliens ; les temps changent ! Cependant, l’écoute attentive paraît donner tort à l’observateur. En effet, vers le milieu de la longue file, deux hommes expriment leur impatience en français.

« Qu’est-ce que c’est long ! dit l’un d’eux,

–  Heureusement qu’on est arrivé de bonne heure, ré­torque l’autre ». Derrière eux, un troisième s’immisce dans leur bref échange.

« Ah ! vous parlez français !

–  Et pour cause, nous sommes français, répond l’un des deux précédents ». À partir de cet instant, une discussion s’amorce entre le plus âgé des deux et l’homme qui se trouve derrière eux et qui demande :

« Vous allez faire un peu de tourisme en Israël ?

– Non, nous y allons pour des raisons profession­nelles.

– Très bien ! Et si ce n’est pas indiscret, dans quel domaine travaillez-vous ?

– Mon frère Dominique, que j’accompagne, dirige un laboratoire de multiplication de plantes par culture in vitro, c’est ce que l’on appelle de la micropropagation. Quant à moi, je suis universitaire, spécialisé dans la culture in vitro des végétaux et, pour cette raison, conseiller scientifique de son entreprise. Nous nous rendons à un colloque sur une plante un peu particulière, le jojoba.

– Mais dites-moi, n’iriez-vous pas à Beer-Sheva par hasard ?

– Si ! Tout à fait, pourquoi ?

– Tout simplement parce que c’est aussi là que je me rends !

– Comme c’est amusant ! On est noyé dans une foule dense qui ne parle pas français et on rencontre une personne non seulement française mais qui va au même endroit que nous. À ce sujet, savez-vous si d’autres Français nous accompagnent ?

– Oh ! J’ai consulté la liste des participants et j’ai noté que nous ne serons que cinq Français. Nous représentons à nous trois plus de la moitié de l’effectif.

– À mon tour puis-je vous demander à quel titre vous allez participer à ce colloque ?

– Oui, bien sûr ! C’est tout bonnement parce que je suis un spécialiste des oléagineux et que le jojoba appartient à ce groupe de plantes. »

Pendant leur conversation, la file s’est avancée, d’autant plus qu’un second comptoir d’enregistrement s’est ouvert juste à côté du premier. Les trois Français arrivent alors là où il faut montrer les papiers d’identité, confier les bagages au tapis roulant qui les dirigera vers la soute de l’avion et récupérer les cartes d’embarquement, sésames pour être admis dans l’avion. Dominique qui, jusqu’à présent n’était pas intervenu, déclare alors : « Après avoir rempli toutes les formalités, on se retrouve au boarding, à l’embarquement pour parler français, afin de poursuivre la découverte de nos points communs ? ».

Dominique et son frère aîné Claude arrivent les premiers sur l’aire réservée au départ pour Tel-Aviv. Ils s’assoient sur les fauteuils métalliques reliés les uns aux autres et destinés à une phase d’attente de près de deux heures. Ils se disent qu’au cours de cette pause ils auront largement le temps de se faire une idée sur ce Français qui, pour le moment, leur demeure totalement inconnu. Il leur paraît sympathique a priori mais ils ignorent tout de lui. Ils se doutent qu’ils passeront une bonne partie de la semaine du colloque avec lui parce que, traditionnellement dans ce genre de manifestation, les affinités nationales favorisent les regroupements. Aussi cherchent-ils, dès à présent, à mieux le connaître. Il y a maintenant une bonne quinzaine de minutes qu’ils ont pris place sur leur siège peu confortable à vrai dire. Ils dégustent un café pour commencer à “tuer le temps”. À ce moment ils voient approcher leur collègue congressiste ; ils lui font signe. Lorsqu’il parvient à leur hauteur, Dominique lui propose le siège voisin du sien sur lequel, dès son installation il avait déposé quelques-uns de ses vêtements pour le retenir. Avant même de s’asseoir, il remercie la fratrie :

« C’est sympa de m’avoir gardé un siège. Ce colloque débute pour moi sous de bons auspices. Vous savez, dans ces réunions où cohabitent scientifiques et professionnels, les Américains du nord ou du sud, les Chinois, les représentants des pays de l’Est, que sais-je encore, ne sont pas très agréables à côtoyer. Ils se considèrent comme les meilleurs et ont la fâcheuse tendance de vouloir écraser tous les autres. Je suis donc très satisfait de vous avoir rencontrés. Alors si j’ai bien compris vous Dominique et vous …

– Moi c’est Claude…

– Et moi c’est Georges, Georges Dupuis… Tous les deux vous travaillez donc dans le domaine végétal.

– On peut le dire ainsi. Universitaire, je suis à la fois enseignant et chercheur et mon thème de recherche concerne le développement des plantes en utilisant principalement comme outil la culture in vitro. Quant à Dominique, il utilise les résultats fondamentaux obtenus dans ce cadre pour multiplier rapidement et à grande échelle des plantes d’intérêt économique.

– Pour ma part, je suis un des responsables de l’Institut français des plantes oléagineuses. J’ai en charge la sélection, l’amélioration, la propagation et l’utilisation pratique de plusieurs de ces végétaux. J’ai beaucoup travaillé sur le palmier, le cocotier et sur diverses autres espèces plus anecdotiques et je commence à m’intéresser au jojoba, c’est pour cela que je suis inscrit au colloque ».

À ce moment Dominique prend la parole et s’adresse à Georges :

« Tout à l’heure vous nous avez dit que seulement cinq Français allaient participer à ce congrès. Nous sommes trois rassemblés ici ; connaissez-vous les deux autres ?

– Oui ! Il s’agit d’une part de Clément Sélat, un important pépiniériste de la région angevine et d’autre part du docteur Michel Roux, un chirurgien orthopédiste parisien de grande réputation.

– Mais que vient faire un toubib dans une telle réunion ?

– Chercher à investir dans un produit nouveau ! Il est riche à millions et cherche à en gagner encore davantage !

– Et vous avez des relations avec eux ?

– Non pas vraiment mais j’ai eu l’occasion de les rencontrer une fois ou l’autre pour aborder des sujets agronomiques ou commerciaux. Je n’ai pas gardé de ces rencontres de souvenirs impérissables. Le pépiniériste m’a semblé manquer pour le moins d’ouverture d’esprit. Quant au toubib il m’est apparu assez désagréable, pontifiant. Il doit être un sacré mandarin ! C’est pourquoi je suis heureux de vous rencontrer : j’espère passer avec vous une semaine plus plaisante qu’avec ces deux ennuyeux personnages.

– Les avez-vous vus dans la queue à l’enregistre­ment ?

– Non ! Mais ils prennent peut-être un autre vol. En attendant le départ du nôtre, j’ai largement le temps de faire comme vous : je vais aller chercher un café. Puis-je laisser mes affaires là et vous les confier deux minutes ?

– Pas de problème : nous restons ici jusqu’à votre retour.

– Merci, à tout de suite. »

Georges se lève, sort de l’espace d’embarquement et se dirige vers la cafétéria située à quelque distance de là. Plutôt de petite taille, un peu enrobé, le visage rond égayé d’un sourire quasi permanent, il inspire confiance. Le crâne dégarni, habillé d’un costume bleu marine bien coupé, il affiche une indéniable élégance naturelle. Il fait penser au chanteur-compositeur-acteur Michel Jonasz. Les frères Marie, Claude et Dominique, ont quant à eux choisi des tenues de ville classiques : pantalons de toile claire et chemise à rayures pour l’un et unie pour l’autre. Claude, homme d’une quarantaine d’années à l’allure sportive, à la chevelure brune dans laquelle les mèches blanches n’ont pas encore fait leur apparition, à la barbe soignée, donne surtout l’impression d’une impatience perpétuelle. Ses pieds, ses jambes, ses mains sont sans cesse agités de petits mouvements qui témoignent probablement d’un désir continu d’action. Son frère, un peu plus jeune, paraît lui beaucoup plus placide, voire imperturbable. Légèrement plus replet que son aîné, il respire la bonhomie. De tempérament très différent, tous deux s’entendent parfaitement et se complètent tout à fait. L’un apporte à l’autre son savoir fondamental et sa connaissance des avancées technologiques les plus en pointe dans le domaine de la culture in vitro ; l’autre met en application toutes ces données, ce qui justifie l’intérêt de ces travaux. Il est souvent reproché aux universitaires de vivre dans une tour d’ivoire et d’ignorer la réalité du monde de l’entreprise. Avec les frères Marie cette critique n’est plus guère crédible.

* *

*

De retour dans le hall d’embarquement, un plateau à la main avec trois cafés, Georges arrive à hauteur de la place qu’il a quittée quelques instants plus tôt et déclare aux frères Marie : « Comme il y a pas mal de temps à passer avant de monter dans l’avion, je vous ai repris du café et j’ai même trouvé quelques petits gâteaux secs pour grignoter avec ». Un peu gênés par cette délicate attention, Claude et Dominique le remercient vivement et s’engagent à charge de revanche dès qu’une occasion se présentera. Ce à quoi Georges rétorque : « Il n’y a rien qui presse et ne vous sentez pas obligés. J’ai simplement voulu manifester combien j’ai été sensible au geste de deux personnes aussi sympathiques». Les deux frères répondent ensemble qu’ils partagent un sentiment comparable à son égard, ce qui incite Georges à dire :

« Bon, ça va bien ! On va peut-être en rester là avec les remerciements et les déclarations amicales. Je souhaiterais en revanche essayer de comprendre en quoi la culture in vitro des végétaux constitue un outil de leur production. Parce que des plantes en tubes, comme j’appelle la culture in vitro, ce ne sont pas, pour moi, de “vraies plantes”. Dites-moi Dominique… vous permettez que je vous appelle Dominique, quelles sont les plantes que vous traitez, je n’ose pas dire que vous maltraitez, ainsi ?

– D’abord, aucun problème Georges pour que nous nous appelions par nos prénoms. Ensuite, la culture in vitro n’est rien d’autre qu’une méthode de bouturage menée dans des conditions d’asepsie sur un support de culture contenant des hormones. Celles-ci induisent à volonté, ou presque, soit la formation de bourgeons, soit celle de racines. Une fois que la bouture en question a initié ces deux types d’organes en deux étapes successives, elle devient une plante entière. Sortie de son environnement stérile et aussitôt repiquée en conditions de serre, elle se comporte comme un végétal issu de la multiplication traditionnelle. Bien sûr, cette suite d’opérations présente de nombreux points délicats à maîtriser. Ils sont toutefois assez faciles à vaincre désormais. Maintenant en ce qui concerne les espèces travaillées dans mon laboratoire, elles sont nombreuses. Sans être exhaustif sur ce point, je peux citer les rosiers bien entendu, les lilas, les noyers, les châtaigniers, les Cercis c’est-à-dire les arbres de Judée, les porte-greffes d’arbres fruitiers etc, etc…

– Si je comprends bien, ce que tu me dis là… pardon, ce que vous me dites là…

– Oh ! mais on peut se tutoyer, ça ne nous gêne pas !

– Très bien, mais alors il faut que ce soit réci­proque…

– Aucun souci Georges d’autant que dans nos professions, comme dans la TIENNE je suppose, le tutoiement est habituel.

– Parfait ! Je TE disais donc ce sont les arbres et les arbustes qui sont multipliés in vitro si je m’en tiens à la liste que tu viens d’énoncer ?

– Non ! Je t’ai indiqué effectivement des végétaux ligneux parce que dans mon laboratoire ce sont les plantes les plus travaillées. Mais on produit aussi ce que l’on appelle des “plantes molles” c’est-à-dire des herbacées et surtout des plantes horticoles telles que des saintpaulias, des orchidées, des aromatiques, des hellébores appelés aussi roses de Noël …

– Et alors du jojoba, tu en cultives in vitro ?

– Pas encore et c’est justement pour cette raison que je vais au colloque ».

La conversation qui se poursuit apporte à chacun des réponses aux questions qu’il se posait. Sans qu’aucun des trois ne s’en aperçoive, l’heure avance à tel point qu’une annonce au micro invite les passagers pour Tel-Aviv à se présenter à la borne d’entrée du tunnel qui conduit à l’avion. Après les vérifications d’usage, les voyageurs s’installent en respectant les numéros de places indiquées sur leur carte d’embarquement. Les frères Marie occupent des sièges voisins près d’un hublot situé pratiquement au niveau d’une aile tandis que Georges est isolé bien plus loin. Tous trois s’accordent pour se retrouver après l’atterrissage : à vrai dire ils n’ont guère le choix !

Lorsque tout le monde est assis, le personnel de navigation passe et repasse. Dans le même temps les moteurs ronronnent, signalant ainsi un décollage futur assez proche. Pendant que le commandant de bord effectue vraisemblablement tous les contrôles de la check-list pour obtenir l’autorisation de départ, les hôtesses et les stewards rappellent les consignes de sécurité élémentaires. Ils miment les gestes à effectuer en cas d’accident : récupération d’un masque et d’un gilet de sauvetage, évacuation de l’appareil… Les habitués des vols n’écoutent pas et ne regardent pas cette petite mise en scène répétée à l’identique à chaque fois. Les moins initiés la suivent sans pour autant l’enregistrer vraiment. Quelques informations relatives aux conditions météorologiques à venir, au trajet et à la constitution de l’équipage sont fournies via la radio de bord. Au cours d’un nouveau passage le personnel vérifie le bouclage des ceintures et donne l’ordre d’y procéder le cas échéant. Le bruit des moteurs devient alors beaucoup plus intense et à travers les hublots on peut observer les premiers signes d’une lente avancée de l’avion. La vitesse augmente légèrement jusqu’à une immobilisation totale qui dure quelques longues secondes. Enfin, le pilote reçoit sans doute le feu vert pour quitter le sol. Les moteurs vrombissent, l’avion avance. Il gagne rapidement de la vitesse. Les passagers, le dos collé au dossier du siège, ont conscience de quitter la terre ferme. Virage d’un côté, accélération, l’avion s’élève. Le paysage au sol prend vite l’allure d’un espace animé de miniatures. Le départ vers Israël a eu lieu, il n’y a plus qu’à s’y laisser conduire paisiblement pendant quelques heures avant l’ouverture d’un bien singulier colloque botanique.

LE COLLOQUE TEL QU’IL DEVAIT SE DÉROULER

Quelques rudiments de l’histoire d’Israël

Au terme d’un vol de cinq heures environ, l’avion se pose sur la piste de l’aéroport David-Ben-Gourion de Tel-Aviv. Il n’est pas encore 17 heures (heure locale) que déjà la nuit est tombée. Les Français vont devoir s’habituer à ce contexte environnemental nouveau pour eux : un soleil qui se lève et qui, par voie de conséquence, se couche plus tôt. L’atterrissage parfait, sans le moindre cahot fait suite à un trajet qui s’est déroulé dans les meilleures conditions possibles : absence de trous d’air, de turbulences, de tout ce qui rend pénibles les voyages aériens. Pour montrer leur satisfaction les passagers applaudissent au moment où l’avion s’immobilise. Il semble que ce soit une tradition sur cet aéroport. Lorsque le signal est donné chacun se lève, récupère éventuellement son bagage à main enfermé depuis le départ dans les coffres situés au-dessus des sièges, puis se dirige vers une des portes où un escalier mobile a été mis en place. Deux autocars accueillent les voyageurs et les conduisent jusqu’à l’aérogare. Les trois Français qui se sont retrouvés dans l’un d’eux manifestent le plaisir de mettre un terme à cette longue séparation. Georges déclare alors : « Isolé dans le fond, j’ai voulu lire un peu mais bien vite mes paupières se sont fermées et j’ai pris une bonne avance sur la nuit prochaine. Et pour vous, comment s’est passé le voyage ? ». Claude lui répond aussitôt : « Nous avons pu regarder très souvent par le hublot. Parfois des paysages magnifiques sont apparus, des montagnes notamment et parfois les nuages ont totalement empêché l’observation. Essayons de nous convaincre qu’en ces moments, il n’y avait rien de spectaculaire à voir. Ainsi on n’est pas déçus ».

À son tour Dominique prend la parole pour rappeler qu’une tâche les attend maintenant : la récupération des bagages. Un écran leur indique le lieu de cette opération. Ils s’y rendent ensemble. Le tapis qui va leur rendre leurs biens est déjà en action mais il tourne à vide. Ce n’est qu’au bout d’une durée jugée, comme toujours dans ces cas-là, interminable que les premières valises apparaissent. Ce spectacle apporte son lot habituel de surprises. Des bagages identiques font le désespoir de leurs propriétaires respectifs : aussitôt après avoir récupéré celui qu’il croyait être le sien, l’un d’eux constate qu’il n’en est rien. Avec difficulté il le replace sur le tapis qui, très chargé, ne laisse guère de place à un nouvel arrivant. Des valises vieillissantes, entourées – par sécurité sans doute – de ceintures ou même de ficelles donnent l’impression d’être sur le point de répandre leur contenu. Des sacs de sport dont l’ouverture n’a pas été complètement fermée révèlent une partie de leur chargement. Des bagages a priori en parfait état témoignent d’un traitement quelque peu brutal : chocs probablement endurés lors de leur entrée sans ménagement dans la soute. Bien que les deux frères Marie aient été enregistrés à la suite l’un de l’autre, lorsque Claude récupère sa valise, Dominique est contraint d’attendre un long moment avant que la sienne apparaisse. Quant à Georges qui a pourtant déposé son bagage juste après les deux précédents, il le récupère parmi les tout derniers en manifestant son mécontentement. À la suite de cet épisode qui engendre partout et toujours des éclats de voix et de la mauvaise humeur, le trio se dirige vers la sortie de l’aéroport où, selon les instructions des organisateurs du colloque, un autocar doit les attendre pour les conduire à Beer-Sheva, lieu de la réunion.

Effectivement dès les portes automatiques franchies, ils découvrent devant eux une file de taxis prêts à emmener des voyageurs là où ils souhaitent se rendre. Au bout de cet alignement, deux cars sont immobilisés. Ils arborent au bas de leur pare-brise un panneau indiquant “Beer-Sheva, International Congress on jojoba”. Georges suggère de monter dans le premier d’entre eux. Il s’adresse au chauffeur :

« Do you speak french please ?

– Un … petit… peu

– Bien ! Nous allons à Beer-Sheva au colloque sur le jojoba. Pouvons-nous nous installer ?

– Oui of course ! … Pardon… bien sûr… mais nous allons partir pas … tout de suite. Nous attendons l’arrivée des avions de Berline… pardon de Berlin et de London. Il faut attendre… une heure. »

Georges se tourne vers les deux frères et leur propose de prendre place dans le car pour y attendre patiemment les autres congressistes. Tous trois s’asseyent dans le milieu du véhicule. Après avoir échangé quelques mots ils décident de consulter la plaquette jointe à leur dossier d’inscription au colloque et relative à ce pays où ils viennent de poser le pied et qu’ils vont découvrir.

* *

*Israël est un pays très particulier à de nombreux points de vue. Son histoire, sa géographie, sa population… n’ont pratiquement rien de comparable avec celles des autres nations.

À la mémoire de Georges Martin

PRÉAMBULE : UN COLLOQUE BIEN PARTICULIER

Un colloque bien particulier

Au début des années 2000, à Beer-Sheva en Israël, aux portes du désert du Néguev, se tient un colloque sur le jojoba, plante assez mal connue du grand public et pourtant fort intéressante à plusieurs points de vue. Au cours de cette réunion entre spécialistes de cette espèce et de la propagation des végétaux, la découverte d’un cadavre vient perturber considérablement la sérénité des travaux.

Un colloque organisé en Israël sur les plantes n’est pas chose fréquente. Par ailleurs, qu’il soit focalisé sur le jojoba, une plante peu courante, est encore moins usuel. Donc d’entrée il surprenait. Mais la présence inattendue et imprévisible d’un corps sans vie en a fait, en plus, un symposium très particulier, sinon étrange. Or dans une telle rencontre internationale les points forts se situent au niveau des nouveautés présentées. Tel n’a pas été le cas à Beer-Sheva où le décès d’un participant a constitué le fait le plus marquant.

Rien ne laissait imaginer que la victime à laquelle tout souriait dans la vie, puisse disparaître d’une façon aussi soudaine. Sa santé réputée excellente faisait bien des envieux. Sa réussite professionnelle apparaissait aux yeux de certains comme presque injuste. Elle était le résultat d’un travail acharné dont les retombées n’avaient rien d’immérité. Alors comment expliquer cette mort soudaine ? Une question vient immédiatement à l’esprit : y a-t-il un lien entre le jojoba et ce décès ? En existe-t-il un entre ce dernier et le pays organisateur – voire sa religion ?

On comprend assez bien le désarroi des congressistes qui, venus ici pour échanger sur le plan des connaissances mais également pour visiter une région peu connue du plus grand nombre, doivent faire face à la mort de l’un des leurs.

Pour tenter d’apporter une réponse à ce triste événement, il faut tout d’abord en définir les contours. À cet effet le choix du lieu de la réunion sera examiné afin de savoir si sa responsabilité peut être incriminée. L’organisation de ce congrès fera ensuite l’objet d’une attention toute particulière : peut-on considérer qu’elle puisse être impliquée dans cette fin tragique ? Puis des données relatives au jojoba, expliquant les raisons pour lesquelles ce thème a été retenu, seront rassemblées. Cette démarche n’a pour but que de déterminer si, là encore, une corrélation peut être décelée, et par conséquent mise en cause, entre la plante et la victime.

À la suite du regard porté au cadre de ce drame, la découverte du cadavre sera abordée. Les conditions dans lesquelles elle s’est déroulée seront décrites. Des informations relatives à la personnalité de la victime, à son milieu familial et à son passé seront apportées. Enfin, il sera fait état de renseignements éminemment surprenants la concernant.

Et puis, comme dans tous les cas de mort inopinée et brutale, une enquête est forcément ouverte. De nombreuses auditions sont ainsi menées, en particulier parmi les participants au colloque. Les dépositions des uns s’opposent parfois à celles des autres ; les causes du décès n’apparaissent pas clairement. Divers bruits circulent mais aucun élément incontestable ne se dégage jusqu’au jour où une révélation apporte la clarté nécessaire à la compréhension de ce douloureux épisode.

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Il fait beau temps en cette matinée automnale. Comme tous les jours, l’aéroport Paris-Charles-de Gaulle – communément appelé Roissy-Charles-de-Gaulle – accueille une foule considérable. Les différents halls sont noirs de monde. Les divers passagers, regroupés ici ou là, se dirigent vers les salles d’embarquement pour rejoindre ensuite les lieux de leur destination situés un peu partout à la surface de notre planète. Toutes les couleurs de peau sont représentées ; toutes les tenues vestimentaires se côtoient. Cette ruche humaine fait penser à la palette d’un peintre. Comme on peut s’y attendre, l’anglais et l’espagnol sont parlés en plus grand nombre dans les files d’attente et dans les regroupements mais des langues plus exotiques abondent également.

À hauteur du comptoir d’enregistrement du vol pour Tel-Aviv, les futurs voyageurs, nombreux, avancent très lentement. Ils ne semblent pas irrités par cette longue attente. Ils discutent, sourient, rient parfois. Ils ne se connaissent sans doute pas forcément mais leur rapprochement dans la queue les porte à échanger quelques mots en hébreu, en yiddish, en anglais ou en russe. De façon un peu surprenante le français semble totalement absent de ces conversations, banales le plus souvent. Pourtant par le passé l’usage de notre langue était très répandu chez les Israéliens ; les temps changent ! Cependant, l’écoute attentive paraît donner tort à l’observateur. En effet, vers le milieu de la longue file, deux hommes expriment leur impatience en français.

« Qu’est-ce que c’est long ! dit l’un d’eux,

–  Heureusement qu’on est arrivé de bonne heure, ré­torque l’autre ». Derrière eux, un troisième s’immisce dans leur bref échange.

« Ah ! vous parlez français !

–  Et pour cause, nous sommes français, répond l’un des deux précédents ». À partir de cet instant, une discussion s’amorce entre le plus âgé des deux et l’homme qui se trouve derrière eux et qui demande :

« Vous allez faire un peu de tourisme en Israël ?

– Non, nous y allons pour des raisons profession­nelles.

– Très bien ! Et si ce n’est pas indiscret, dans quel domaine travaillez-vous ?

– Mon frère Dominique, que j’accompagne, dirige un laboratoire de multiplication de plantes par culture in vitro, c’est ce que l’on appelle de la micropropagation. Quant à moi, je suis universitaire, spécialisé dans la culture in vitro des végétaux et, pour cette raison, conseiller scientifique de son entreprise. Nous nous rendons à un colloque sur une plante un peu particulière, le jojoba.

– Mais dites-moi, n’iriez-vous pas à Beer-Sheva par hasard ?

– Si ! Tout à fait, pourquoi ?

– Tout simplement parce que c’est aussi là que je me rends !

– Comme c’est amusant ! On est noyé dans une foule dense qui ne parle pas français et on rencontre une personne non seulement française mais qui va au même endroit que nous. À ce sujet, savez-vous si d’autres Français nous accompagnent ?

– Oh ! J’ai consulté la liste des participants et j’ai noté que nous ne serons que cinq Français. Nous représentons à nous trois plus de la moitié de l’effectif.

– À mon tour puis-je vous demander à quel titre vous allez participer à ce colloque ?

– Oui, bien sûr ! C’est tout bonnement parce que je suis un spécialiste des oléagineux et que le jojoba appartient à ce groupe de plantes. »

Pendant leur conversation, la file s’est avancée, d’autant plus qu’un second comptoir d’enregistrement s’est ouvert juste à côté du premier. Les trois Français arrivent alors là où il faut montrer les papiers d’identité, confier les bagages au tapis roulant qui les dirigera vers la soute de l’avion et récupérer les cartes d’embarquement, sésames pour être admis dans l’avion. Dominique qui, jusqu’à présent n’était pas intervenu, déclare alors : « Après avoir rempli toutes les formalités, on se retrouve au boarding, à l’embarquement pour parler français, afin de poursuivre la découverte de nos points communs ? ».

Dominique et son frère aîné Claude arrivent les premiers sur l’aire réservée au départ pour Tel-Aviv. Ils s’assoient sur les fauteuils métalliques reliés les uns aux autres et destinés à une phase d’attente de près de deux heures. Ils se disent qu’au cours de cette pause ils auront largement le temps de se faire une idée sur ce Français qui, pour le moment, leur demeure totalement inconnu. Il leur paraît sympathique a priori mais ils ignorent tout de lui. Ils se doutent qu’ils passeront une bonne partie de la semaine du colloque avec lui parce que, traditionnellement dans ce genre de manifestation, les affinités nationales favorisent les regroupements. Aussi cherchent-ils, dès à présent, à mieux le connaître. Il y a maintenant une bonne quinzaine de minutes qu’ils ont pris place sur leur siège peu confortable à vrai dire. Ils dégustent un café pour commencer à “tuer le temps”. À ce moment ils voient approcher leur collègue congressiste ; ils lui font signe. Lorsqu’il parvient à leur hauteur, Dominique lui propose le siège voisin du sien sur lequel, dès son installation il avait déposé quelques-uns de ses vêtements pour le retenir. Avant même de s’asseoir, il remercie la fratrie :

« C’est sympa de m’avoir gardé un siège. Ce colloque débute pour moi sous de bons auspices. Vous savez, dans ces réunions où cohabitent scientifiques et professionnels, les Américains du nord ou du sud, les Chinois, les représentants des pays de l’Est, que sais-je encore, ne sont pas très agréables à côtoyer. Ils se considèrent comme les meilleurs et ont la fâcheuse tendance de vouloir écraser tous les autres. Je suis donc très satisfait de vous avoir rencontrés. Alors si j’ai bien compris vous Dominique et vous …

– Moi c’est Claude…

– Et moi c’est Georges, Georges Dupuis… Tous les deux vous travaillez donc dans le domaine végétal.

– On peut le dire ainsi. Universitaire, je suis à la fois enseignant et chercheur et mon thème de recherche concerne le développement des plantes en utilisant principalement comme outil la culture in vitro. Quant à Dominique, il utilise les résultats fondamentaux obtenus dans ce cadre pour multiplier rapidement et à grande échelle des plantes d’intérêt économique.

– Pour ma part, je suis un des responsables de l’Institut français des plantes oléagineuses. J’ai en charge la sélection, l’amélioration, la propagation et l’utilisation pratique de plusieurs de ces végétaux. J’ai beaucoup travaillé sur le palmier, le cocotier et sur diverses autres espèces plus anecdotiques et je commence à m’intéresser au jojoba, c’est pour cela que je suis inscrit au colloque ».

À ce moment Dominique prend la parole et s’adresse à Georges :

« Tout à l’heure vous nous avez dit que seulement cinq Français allaient participer à ce congrès. Nous sommes trois rassemblés ici ; connaissez-vous les deux autres ?

– Oui ! Il s’agit d’une part de Clément Sélat, un important pépiniériste de la région angevine et d’autre part du docteur Michel Roux, un chirurgien orthopédiste parisien de grande réputation.

– Mais que vient faire un toubib dans une telle réunion ?

– Chercher à investir dans un produit nouveau ! Il est riche à millions et cherche à en gagner encore davantage !

– Et vous avez des relations avec eux ?

– Non pas vraiment mais j’ai eu l’occasion de les rencontrer une fois ou l’autre pour aborder des sujets agronomiques ou commerciaux. Je n’ai pas gardé de ces rencontres de souvenirs impérissables. Le pépiniériste m’a semblé manquer pour le moins d’ouverture d’esprit. Quant au toubib il m’est apparu assez désagréable, pontifiant. Il doit être un sacré mandarin ! C’est pourquoi je suis heureux de vous rencontrer : j’espère passer avec vous une semaine plus plaisante qu’avec ces deux ennuyeux personnages.

– Les avez-vous vus dans la queue à l’enregistre­ment ?

– Non ! Mais ils prennent peut-être un autre vol. En attendant le départ du nôtre, j’ai largement le temps de faire comme vous : je vais aller chercher un café. Puis-je laisser mes affaires là et vous les confier deux minutes ?

– Pas de problème : nous restons ici jusqu’à votre retour.

– Merci, à tout de suite. »

Georges se lève, sort de l’espace d’embarquement et se dirige vers la cafétéria située à quelque distance de là. Plutôt de petite taille, un peu enrobé, le visage rond égayé d’un sourire quasi permanent, il inspire confiance. Le crâne dégarni, habillé d’un costume bleu marine bien coupé, il affiche une indéniable élégance naturelle. Il fait penser au chanteur-compositeur-acteur Michel Jonasz. Les frères Marie, Claude et Dominique, ont quant à eux choisi des tenues de ville classiques : pantalons de toile claire et chemise à rayures pour l’un et unie pour l’autre. Claude, homme d’une quarantaine d’années à l’allure sportive, à la chevelure brune dans laquelle les mèches blanches n’ont pas encore fait leur apparition, à la barbe soignée, donne surtout l’impression d’une impatience perpétuelle. Ses pieds, ses jambes, ses mains sont sans cesse agités de petits mouvements qui témoignent probablement d’un désir continu d’action. Son frère, un peu plus jeune, paraît lui beaucoup plus placide, voire imperturbable. Légèrement plus replet que son aîné, il respire la bonhomie. De tempérament très différent, tous deux s’entendent parfaitement et se complètent tout à fait. L’un apporte à l’autre son savoir fondamental et sa connaissance des avancées technologiques les plus en pointe dans le domaine de la culture in vitro ; l’autre met en application toutes ces données, ce qui justifie l’intérêt de ces travaux. Il est souvent reproché aux universitaires de vivre dans une tour d’ivoire et d’ignorer la réalité du monde de l’entreprise. Avec les frères Marie cette critique n’est plus guère crédible.

* *

*

De retour dans le hall d’embarquement, un plateau à la main avec trois cafés, Georges arrive à hauteur de la place qu’il a quittée quelques instants plus tôt et déclare aux frères Marie : « Comme il y a pas mal de temps à passer avant de monter dans l’avion, je vous ai repris du café et j’ai même trouvé quelques petits gâteaux secs pour grignoter avec ». Un peu gênés par cette délicate attention, Claude et Dominique le remercient vivement et s’engagent à charge de revanche dès qu’une occasion se présentera. Ce à quoi Georges rétorque : « Il n’y a rien qui presse et ne vous sentez pas obligés. J’ai simplement voulu manifester combien j’ai été sensible au geste de deux personnes aussi sympathiques». Les deux frères répondent ensemble qu’ils partagent un sentiment comparable à son égard, ce qui incite Georges à dire :

« Bon, ça va bien ! On va peut-être en rester là avec les remerciements et les déclarations amicales. Je souhaiterais en revanche essayer de comprendre en quoi la culture in vitro des végétaux constitue un outil de leur production. Parce que des plantes en tubes, comme j’appelle la culture in vitro, ce ne sont pas, pour moi, de “vraies plantes”. Dites-moi Dominique… vous permettez que je vous appelle Dominique, quelles sont les plantes que vous traitez, je n’ose pas dire que vous maltraitez, ainsi ?

– D’abord, aucun problème Georges pour que nous nous appelions par nos prénoms. Ensuite, la culture in vitro n’est rien d’autre qu’une méthode de bouturage menée dans des conditions d’asepsie sur un support de culture contenant des hormones. Celles-ci induisent à volonté, ou presque, soit la formation de bourgeons, soit celle de racines. Une fois que la bouture en question a initié ces deux types d’organes en deux étapes successives, elle devient une plante entière. Sortie de son environnement stérile et aussitôt repiquée en conditions de serre, elle se comporte comme un végétal issu de la multiplication traditionnelle. Bien sûr, cette suite d’opérations présente de nombreux points délicats à maîtriser. Ils sont toutefois assez faciles à vaincre désormais. Maintenant en ce qui concerne les espèces travaillées dans mon laboratoire, elles sont nombreuses. Sans être exhaustif sur ce point, je peux citer les rosiers bien entendu, les lilas, les noyers, les châtaigniers, les Cercis c’est-à-dire les arbres de Judée, les porte-greffes d’arbres fruitiers etc, etc…

– Si je comprends bien, ce que tu me dis là… pardon, ce que vous me dites là…

– Oh ! mais on peut se tutoyer, ça ne nous gêne pas !

– Très bien, mais alors il faut que ce soit réci­proque…

– Aucun souci Georges d’autant que dans nos professions, comme dans la TIENNE je suppose, le tutoiement est habituel.

– Parfait ! Je TE disais donc ce sont les arbres et les arbustes qui sont multipliés in vitro si je m’en tiens à la liste que tu viens d’énoncer ?

– Non ! Je t’ai indiqué effectivement des végétaux ligneux parce que dans mon laboratoire ce sont les plantes les plus travaillées. Mais on produit aussi ce que l’on appelle des “plantes molles” c’est-à-dire des herbacées et surtout des plantes horticoles telles que des saintpaulias, des orchidées, des aromatiques, des hellébores appelés aussi roses de Noël …

– Et alors du jojoba, tu en cultives in vitro ?

– Pas encore et c’est justement pour cette raison que je vais au colloque ».

La conversation qui se poursuit apporte à chacun des réponses aux questions qu’il se posait. Sans qu’aucun des trois ne s’en aperçoive, l’heure avance à tel point qu’une annonce au micro invite les passagers pour Tel-Aviv à se présenter à la borne d’entrée du tunnel qui conduit à l’avion. Après les vérifications d’usage, les voyageurs s’installent en respectant les numéros de places indiquées sur leur carte d’embarquement. Les frères Marie occupent des sièges voisins près d’un hublot situé pratiquement au niveau d’une aile tandis que Georges est isolé bien plus loin. Tous trois s’accordent pour se retrouver après l’atterrissage : à vrai dire ils n’ont guère le choix !

Lorsque tout le monde est assis, le personnel de navigation passe et repasse. Dans le même temps les moteurs ronronnent, signalant ainsi un décollage futur assez proche. Pendant que le commandant de bord effectue vraisemblablement tous les contrôles de la check-list pour obtenir l’autorisation de départ, les hôtesses et les stewards rappellent les consignes de sécurité élémentaires. Ils miment les gestes à effectuer en cas d’accident : récupération d’un masque et d’un gilet de sauvetage, évacuation de l’appareil… Les habitués des vols n’écoutent pas et ne regardent pas cette petite mise en scène répétée à l’identique à chaque fois. Les moins initiés la suivent sans pour autant l’enregistrer vraiment. Quelques informations relatives aux conditions météorologiques à venir, au trajet et à la constitution de l’équipage sont fournies via la radio de bord. Au cours d’un nouveau passage le personnel vérifie le bouclage des ceintures et donne l’ordre d’y procéder le cas échéant. Le bruit des moteurs devient alors beaucoup plus intense et à travers les hublots on peut observer les premiers signes d’une lente avancée de l’avion. La vitesse augmente légèrement jusqu’à une immobilisation totale qui dure quelques longues secondes. Enfin, le pilote reçoit sans doute le feu vert pour quitter le sol. Les moteurs vrombissent, l’avion avance. Il gagne rapidement de la vitesse. Les passagers, le dos collé au dossier du siège, ont conscience de quitter la terre ferme. Virage d’un côté, accélération, l’avion s’élève. Le paysage au sol prend vite l’allure d’un espace animé de miniatures. Le départ vers Israël a eu lieu, il n’y a plus qu’à s’y laisser conduire paisiblement pendant quelques heures avant l’ouverture d’un bien singulier colloque botanique.

LE COLLOQUE TEL QU’IL DEVAIT SE DÉROULER

 


 

Quelques rudiments de l’histoire d’Israël


 

Au terme d’un vol de cinq heures environ, l’avion se pose sur la piste de l’aéroport David-Ben-Gourion de Tel-Aviv. Il n’est pas encore 17 heures (heure locale) que déjà la nuit est tombée. Les Français vont devoir s’habituer à ce contexte environnemental nouveau pour eux : un soleil qui se lève et qui, par voie de conséquence, se couche plus tôt. L’atterrissage parfait, sans le moindre cahot fait suite à un trajet qui s’est déroulé dans les meilleures conditions possibles : absence de trous d’air, de turbulences, de tout ce qui rend pénibles les voyages aériens. Pour montrer leur satisfaction les passagers applaudissent au moment où l’avion s’immobilise. Il semble que ce soit une tradition sur cet aéroport. Lorsque le signal est donné chacun se lève, récupère éventuellement son bagage à main enfermé depuis le départ dans les coffres situés au-dessus des sièges, puis se dirige vers une des portes où un escalier mobile a été mis en place. Deux autocars accueillent les voyageurs et les conduisent jusqu’à l’aérogare. Les trois Français qui se sont retrouvés dans l’un d’eux manifestent le plaisir de mettre un terme à cette longue séparation. Georges déclare alors : « Isolé dans le fond, j’ai voulu lire un peu mais bien vite mes paupières se sont fermées et j’ai pris une bonne avance sur la nuit prochaine. Et pour vous, comment s’est passé le voyage ? ». Claude lui répond aussitôt : « Nous avons pu regarder très souvent par le hublot. Parfois des paysages magnifiques sont apparus, des montagnes notamment et parfois les nuages ont totalement empêché l’observation. Essayons de nous convaincre qu’en ces moments, il n’y avait rien de spectaculaire à voir. Ainsi on n’est pas déçus ».

À son tour Dominique prend la parole pour rappeler qu’une tâche les attend maintenant : la récupération des bagages. Un écran leur indique le lieu de cette opération. Ils s’y rendent ensemble. Le tapis qui va leur rendre leurs biens est déjà en action mais il tourne à vide. Ce n’est qu’au bout d’une durée jugée, comme toujours dans ces cas-là, interminable que les premières valises apparaissent. Ce spectacle apporte son lot habituel de surprises. Des bagages identiques font le désespoir de leurs propriétaires respectifs : aussitôt après avoir récupéré celui qu’il croyait être le sien, l’un d’eux constate qu’il n’en est rien. Avec difficulté il le replace sur le tapis qui, très chargé, ne laisse guère de place à un nouvel arrivant. Des valises vieillissantes, entourées – par sécurité sans doute – de ceintures ou même de ficelles donnent l’impression d’être sur le point de répandre leur contenu. Des sacs de sport dont l’ouverture n’a pas été complètement fermée révèlent une partie de leur chargement. Des bagages a priori en parfait état témoignent d’un traitement quelque peu brutal : chocs probablement endurés lors de leur entrée sans ménagement dans la soute. Bien que les deux frères Marie aient été enregistrés à la suite l’un de l’autre, lorsque Claude récupère sa valise, Dominique est contraint d’attendre un long moment avant que la sienne apparaisse. Quant à Georges qui a pourtant déposé son bagage juste après les deux précédents, il le récupère parmi les tout derniers en manifestant son mécontentement. À la suite de cet épisode qui engendre partout et toujours des éclats de voix et de la mauvaise humeur, le trio se dirige vers la sortie de l’aéroport où, selon les instructions des organisateurs du colloque, un autocar doit les attendre pour les conduire à Beer-Sheva, lieu de la réunion.

Effectivement dès les portes automatiques franchies, ils découvrent devant eux une file de taxis prêts à emmener des voyageurs là où ils souhaitent se rendre. Au bout de cet alignement, deux cars sont immobilisés. Ils arborent au bas de leur pare-brise un panneau indiquant “Beer-Sheva, International Congress on jojoba”. Georges suggère de monter dans le premier d’entre eux. Il s’adresse au chauffeur :

« Do you speak french please ?

– Un … petit… peu

– Bien ! Nous allons à Beer-Sheva au colloque sur le jojoba. Pouvons-nous nous installer ?

– Oui of course ! … Pardon… bien sûr… mais nous allons partir pas … tout de suite. Nous attendons l’arrivée des avions de Berline… pardon de Berlin et de London. Il faut attendre… une heure. »

Georges se tourne vers les deux frères et leur propose de prendre place dans le car pour y attendre patiemment les autres congressistes. Tous trois s’asseyent dans le milieu du véhicule. Après avoir échangé quelques mots ils décident de consulter la plaquette jointe à leur dossier d’inscription au colloque et relative à ce pays où ils viennent de poser le pied et qu’ils vont découvrir.

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Israël est un pays très particulier à de nombreux points de vue. Son histoire, sa géographie, sa population… n’ont pratiquement rien de comparable avec celles des autres nations. A SUIVRE (...)

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