Sylvain Tesson et la vie des autres

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Lorsque vous rencontrez Sylvain Tesson, vous ne savez jamais de quel endroit il va surgir, de quelle manière, ni à quel moment. Il peut même lui arriver de surprendre ses amis en sautant d’une fenêtre, après l'avoir escaladée.

L'ivresse de la fête

Puis aussi facétieux que sérieux, il livre quelques-uns de ses aphorismes dont il est devenu maître, avec sa diction rapide et ses sourires complices. Parfois, il se décide à chanter quelque fantasque ritournelle composée par ses soins, à s’attarder avec chacun, tout en s’enivrant joyeusement, à s’amuser comme un enfant lors de son goûter d’anniversaire. L’assemblée adore, en redemande. Tant de bons mots, tant d’énergie…le spectacle ne s’arrête jamais et la vie est une fête, légère et insouciante qu’il convient de célébrer en toute « joyeuseté ».

Le vertige du "trop de tout"

Mais, plus tard, la tête lui tourne, les paroles s’enfuient et il lui reste alors ce léger vertige d’un trop peu de tout, qu'il aspire à remplacer par un trop plein de rien, ou l’inverse. C’est alors que Sylvain Tesson repart. A dos d’âne, à pied ou à vélo, il lui faut parcourir le monde et chercher ses nourritures essentielles dans d’extrêmes contrées, qu’il ne cesse d’explorer. Voyageur, amoureux de l’Asie centrale et de cette Russie "insensée", il inscrit son mouvement dans un acte littéraire qui produit de magnifiques textes dont les récits sont autant ponctués d’émerveillement, de philosophie que de dérision. Les morceaux de bravoure riment toujours avec l’humour, les réflexions avec les interrogations.

La vie des autres

Dans son dernier livre "S'abandonner à vivre", Sylvain Tesson n'est pas, une fois de plus, là où on l'attendait. On le pensait inspiré par la douceur d'un retour au monde. Eh bien non : il parle d'âpreté et de fulgurances. Dans ces nouvelles qui évoquent chacune un destin, les récits sont multiples, incarnés. Sylvain Tesson part ici non plus à l'assaut du monde, mais des vies des autres. Ses héros sont marins, amants, guerriers, artistes, fous ou voyageurs ( ou un peu de tout ça). De Riga à Zermatt en passant par l'Afghanistan, le Yakoutie ou le Sahara, leurs vies trébuchent. Et pourtant, il leur fallait bien "vivre"...  Ou alors? Refuser ce corps à corps avec l'existence? S'abandonner non plus à vivre, mais à fuir? C'est peut-être en filigranne la question que pose le livre. Ses héros ne seraient-ils pas un peu les enfants improbables de Beckett et de Dostoïevski, tous habités par une sorte d'énergie qui rencontre l'absurde de leur condition et cherche la passion de la déraison?

Le silence de l'infini

  

Auparavant Sylvain Tesson s’était lancé dans une autre aventure, bien différente. Il s'agissait d'un défi pour le moins ambitieux : l’immobilité et le silence. Il avait décidé de partir en exil pendant six mois, de février à juillet 2010 dans un lieu isolé, au bord du lac Baïkal dans les forêts de Sibérie. Il avait trouvé refuge dans une isba de bois à 120 km du premier village, avec pour seuls compagnons, ses livres et ses deux chiens. Ici, il connut le plus grand dénuement de l’immobilité, la profondeur du silence sans issue et la joie de la nature. Il goûta aux bonheurs des observations minuscules, au spectacle des mésanges ou à la beauté des lumières sur la glace.  Il apprit les vertus de la méditation et l'humilité de l'attente, l'émerveillement du peu.

Ce voyage intérieur l’éclaira sur la vacuité d’une contemporanéité qui prône le bruit et l'agitation. Il trouva dans cet austère ermitage une plénitude qu’il n’aurait soupçonnée. « Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à la vie, écrivait-il. « Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence ? » s’interrogeait-il. 

A la reconquête de soi

Dans « S'abandonner à vivre », Sylvain Tesson est parti des autres pour évoquer les risques du monde, les désespoirs de l'abime ou les désillusions de la condition humaine. Après « Dans les forêts de Sibérie », ce journal d’ermitage qu'il écrivit pendant sa retraite, cette magnifique ode à la vie et véritable texte sur la reconquête du soi, il est reparti vers la vie  «  du dehors »  pour se retrouver face à la brisure et à l'mpossibilité de la plénitude, lorsque la vie est en mouvement dans le monde "extérieur". Dans son texte d'ermite, qui faisait rimer Sibérie avec vie, la lecture du récit nous enveloppait de cette vibration du temps arrêté dans une langue aussi pure que le reflet du cèdre bleu sur la glace.  Avec "S'abandonner à vivre", c'est la vie elle-même qui rime avec trop petit. Comme si l'absolue conquête du monde ne pouvait être qu'un éternel retour sur soi, rêvant le monde et les autres, et la rencontre incarnée, elle au contraire, un éternel enfermement... Cher Sylvain Tesson, les troubles de votre âme sont comme les nuages d'un ciel changeant.Il faut les contempler et entendre dans le son du vent, celui des mots murmurés, abandonnés aux cieux... Bientôt vous repartirez sous l' orage ou en voyage. Peu importe à l'assaut de qui ou de quoi. Le temps de l'écriture est celui qui vous est infini. O.P.

Sylvain Tesson, «S'abandonner à vivre » (Gallimard) et « Dans les forêts de Sibérie » (Gallimard)

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