Les Écrits

La Hutte - Extrait "L'Eveil du Matin"

Un certain temps passa.
J’étais resté seul et le village m’oublia tout comme je l’oubliai. Je
regardai le feu danser, les petites flammes transperçant le bois et le
charbon à l’intérieur du poêle. Je réveillonnai en toute solitude,
imaginant dans un sommeil lyrique une mer de glace chaleureuse. Que
voici ! Je courais à toute allure sur un vallon arctique où l’herbe et la
roche s’incarnaient comme la douce fusion de l’âme d’un royaume
doré et du corps d’une vierge à la chevelure rouge.
Combien de temps avais-je dormi ? Je ressentis dans mon dos et
dans mon estomac un vide gorgé par un repos trop excessif. Le veilleur
me regarda. Des pommes sur la table, un linge, quelques fleurs des
champs cueillies la veille ou l’avant-veille, une bouteille de vin de
ménage. Le domaine avait vendu tout le bon vin… Jean d’Abat entra.
Nous ne causâmes pas longtemps, mais son alambic était une lumière
sacrée. Je bénis mon ami pour ce qu’il m’apportait. Face à mes larmes
d’ange, dans sa peine silencieuse, m’excusa-t-il de l’avoir renvoyé
brusquement ?
Que me restait-il comme ami hormis ce vieux bouilleur de cru ?
« Je serai un peu à toi ! » qu’elle m’avait dit… Je n’avais jamais voulu
posséder grand-chose. Je ne souhaitais que gravir le pic escarpé à
mains nues au côté de l’abeille sauvage sous le souffle du nord. Et au
sommet les gens ! Contemplez bien mon torse crachant l’air froid de
l’horizon comme un hurlement de tigre perçant les joies frivoles des
festins de l’Olympe ! Je trébuche, j’oscille dans ma cabane ! Un calme
se fait autour de moi. Le monde, les planètes et le ciel tout entier
sommeillent dans un immense tourbillon de frimas. Mon oeil s’ouvre.
Une brinde aux marcheurs gravissant les crêtes et domptant les
pinacles de notre pays ! Bientôt le village se viderait. Et les hommes,
assoiffés du travail des esclaves, se rueraient vers les grandes villes,
irrémédiablement entrainés par le chant des tambours d’acier, par le
cliquetis minutieux des lampes électriques. Arriverais-je à lire dans
l’âme humaine ne serait-ce qu’une demi-seconde ? Cette improbable
soumission aux affres de la modernité, ce mauvais penchant, l’orgueil
des possédants et la convoitise des possédés tributaires du doux rêve
de grimper ne serait-ce que d’un pied sur l’échelle de l’omnipotence…
Cette bouteille d’alcool se vide peu à peu dans ma gorge. Je ne vois
bientôt plus que le verre transparent ; miroir transformant mon visage
en créature fantastique des premiers âges. Une autre me tombe dans
les bras, comme l’ombre d’une nymphe parfumée d’un bouquet
mortuaire. Mon oesophage en redemande. Le reste vole dans un coin
de la pièce. Je m’effondre ! Des diablotins valsent autour de mon
visage, des cerbères me mordent les joues jusqu’à l’os, la peau de mon
visage s’effrite comme de la paraffine consacrée. Mon terrier brûle !
Je rampe comme un ver de terre en dehors de l’humus ardent. Ma
cabane se consume ! Ma tête se colle contre l’ivraie moite, couleur
safran. Mon abri part en fumée et je n’arrive pas à pleurer tellement je
suis saoul ! Ah ah ! Je ris comme un fou prostré dans une cellule
d’asile, observant impuissant mon petit monde se consumer devant
mes yeux. La forêt est silencieuse... Seuls le crépitement du bois, le
souffle tournoyant et l’effondrement des carreaux viennent troubler la
paix des génies de la plaine. Ma hutte…n’était plus.

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