Génération d'écrivains

Romancière et essayiste, Julie Wolkenstein est aussi professeur de littérature comparée à l'université de Caen. Cette femme brillante est la fille de l'académicien Bertrand Poirot-Delpech qui nous a quittés en 2006. Elle se rappelle que son père l'a toujours encouragée: "La représentation que j'avais d'un écrivain était celle de mon père et de ses copains. Pour moi, c'était une profession ordinaire. Je connaissais plus d'adultes écrivains que médecins ou avocats".

Fils du romancier Robert Littel connu pour ses romans d'espionnage, Jonathan Littel a fait une entrée plus que remarquée dans le paysage de la littérature contemporaine avec son livre "Les Bienveillantes" paru chez Gallimard, lauréat à la fois du Prix Goncourt et du Grand Prix du Roman de l'académie française en 2006.Vendu à plus de 700 000 exemplaires à la fin 2007, ce roman a marqué les esprits. Les goûts du père et du fils contrastent à divers degrés. Robert le père affirme que son fils ne lui a jamais parlé de son projet des Bienveillantes. Il souligne: "Jonathan est assez secret. Comme moi. On se téléphone très souvent sans évoquer nos travaux respectifs." Un sujet important les sépare: la langue. Si Jonathan Littel écrit en français mais vit en Espagne; son père Robert, vit lui dans le Lot en France et écrit en langue anglaise.

Comme son père Alexandre Dumas fils fut un auteur à grand succès. Auteur de "La Dame aux Camélias", il a eu des relations complexes avec son père, n'acceptant pas la vie débridée de son père. Si l'auteur des "Trois Mousquetaires" était pour le moins débauché, son fils en revanche prônait la morale. A défaut d' accéder lui même à l'Institution, le père excentrique laissera son fils entrer à l'Académie Française!.

 Fille de François Billetdoux, romancier et grand auteur dramatique. Ses oeuvres étaient connues  pour décrire le monde avec un humour noir saisissant. Marie Billetdoux vient de publier aux éditions Stock un livre de près de 1500 pages qui invente un nouveau genre. Coexistent dans un même texte la correspondance, l'autobiographie, le journal intime, des recueils d'articles et des papiers administratifs. La romancière ose donner une réponse à la définition d'une vie d'écrivain qui ne vit que de ce qu'elle écrit. Dans ce livre, son père est présent, dramaturge génial et tutélaire, "roi de son enfance".
 

Alexandre Jardin a mis un certain temps à assumer d'être né d'un père écrivain Ce dernier était Pascal Jardin, alias "Le Zubial". Ce n'est qu'au bout de son sixième livre qu'Alexandre Jardin s'est dit qu'il pouvait écrire lui même et qui plus est, écrire sur son père. Paraît en 2005 "Le Roman des Jardin". Plus célèbre que son père, Alexandre va jusqu'à préfacer la réédition du Nain Jaune, le plus connu des deux romans paternels. Ses romans sont vendus à des millions d'exemplaires et traduits en plus de vingt langues.

"Je dirais : je suis la fille d'un enfant triste. Ou, pour reprendre la traduction du titre anglais : d'un enfant des circonstances. Mon père était écrivain. Il est l'auteur du Hussard bleu, qui le rendit célèbre à 25 ans." Roger Nimier est mort à 36 ans d'un accident de la circulation. Dans un livre intitulé "La Reine du Silence", Marie Nimier revient sur la figure de ce père absent. L'écriture est le fil qu'elle tisse pour trouver ou inventer un père qu'elle a si peu connu. Elle écrit encore: "De lui, il me reste peu de souvenirs et quelques trésors, une montre qui sonne les heures, un stylo dont la plume penche à droite et cette carte postale, où il me demandait en lettres capitales: Que dit la reine du silence".

Fils de Romain Gary et de l'actrice Jean Seberg, tous deux morts tragiquement suicidés. L'ouvrage d'Alexandre Diego Gary "S ou l'Espérance de Vie" pose le problème de la difficulté d'un enfant dont les noms des deux parents sont infiniment célèbres et qui ont préféré se donner la mort plutôt que de suivre l'enfant. Ce texte se lit comme une lettre à un père rebaptisé Ivan Alejandro. Le fils prend la plume pour tenter de dire sa propre vérité. Pudique et infiniment sensible, ce texte est bouleversant.

Fille de Bernard Henri Levy, son dernier livre "Mauvaise Fille" paru chez Stock reprend les thèmes familiaux. Justine Levy utilise l'écriture aussi comme un moyen de régler des comptes avec sa propre histoire. Ses livres sont toujours très attendus par la presse car l'auteur porte en elle un côté glamour parisien qui vient à l'origine de son père. "Rien de Grave" qui a tant fait parler de lui portait sur la tromperie, une histoire personnelle qui avait mal tourné. Ses romans tournent autour du principe de l'autofiction.Elle ne se cache pas d'être la fille d'un écrivain riche et célèbre qui lui a appris à être sous le feu des projecteurs. La figure du père est protectrice car malgré les décalages horaires, il semble toujours présent, cherchant à réparer l'irréparable. L'écriture est ici d'abord une thérapie.

Fils de l'écrivain breton Henri Queffelec, son premier ouvrage est une biographie du compositeur Béla Bartok. Très vite, à 36 ans il est emporté par le succès, en étant le lauréat du Prix Goncourt pour son ouvrage "Les Noces Barbares". Son père, Henri Queffelec avait un rapport très personnel avec l'écriture. Le fils raconte: "Pendant des années, il m'a interdit d'écrire, il déchirait tout ce que j'écrivais et dessinais, j'étais un pirate à ses yeux. Il m'a parlé une seule fois de mes livres, lors d'un dîner. Cela a duré cinq minutes, ça m'a semblé des siècles, nous étions aussi gênés l'un que l'autre".

Rodrigo et Joaquin sont les enfants d'Ariel Dorfman, écrivain chilien et enseignant à Duke University en Caroline du Nord. Inhabituel: ces enfants écrivent avec le père. Le livre est alors la somme des talents des fils et du père. Une approche très rare et difficile à mener qui marche dans le cas de cette famille. Le père reconnu depuis bien longtemps note à propos du livre réalisé avec humilité: «Quand nous n'étions pas d'accord, nous discutions. Pour le reste, nous mettions nos ego de côté. Il n'y aurait d'ailleurs pas eu de consensus artistique possible entre nous si nous avions été dans une lutte pour le territoire." L'écriture à plusieurs mains possède une incroyable créativité et a de l'avenir. En témoigne l'ouvrage pour la jeunesse publié chez Milan en 2004, Manhattan Macadam. Affaire à suivre car chez les Dorfman la littérature est une affaire de famille.

Raphaël Enthoven écrivain et philosophe est le fils de Jean-Paul Enthoven, écrivain et éditeurs. Une famille de plume, qui sait manier les mots et la séduction avec la maestria des grands séducteurs.