Les traits de plume de Daniel Sarfati

Virginia Woolf, « Vers le phare » et autres horizons

Dans Vers le phareVirginia Woolf relate l'histoire du bouleversement de la famille Ramsay qui répond au chaos de la Première Guerre mondiale. Le point focal du livre évoque une soirée d'été sur une île avec son phare lumineux au large de l'Écosse. Daniel Sarfati remonte lui aussi le fil d'un souvenir et évoque la mémoire de la grande Virginia Woolf, frêle et éternelle silhouette dans la lumière d'un autre Cap : celui de Bonne-Espérance.

« Oui, bien sûr, si il fait beau demain dit Mrs Ramsay. Mais il faudra vous lever à l’aurore », ajouta-t-elle.
Ces paroles causèrent à son fils une joie extraordinaire. Pour lui il était entendu que l’excursion se ferait sûrement et que la merveille contemplée depuis des années et des années, semblait-il, se trouvait maintenant à portée de sa main, qu’il n’en était plus séparé que par une nuit de ténèbres. »
Ainsi débute le roman de Virginia Woolf, Vers le phare.
L’aube avait été maussade, pleine de crachin, et je craignais que l’excursion vers le phare soit annulée.
Le temps de boire un café, le ciel s’était éclairci, la fenêtre de ma chambre d’hôtel m’offrait une vision lumineuse sur les gratte-ciels de Cape Town, comme si un coup d’essuie-glace avait nettoyé mon pare-brise.
En moins d’une heure, j’ai atteint la latitude Sud 34 degrés 21’ 30´´ et la longitude Est 18 degrés 28’ 33’´.
Le Cap de Bonne-Espérance, là où se croisent les eaux de l’Océan Indien et celles de l’Atlantique. Le point le plus ( approximativement pour les géographes) au sud de l’Afrique.
En bas du promontoire rocheux où se dresse le phare, il faisait très venteux.
Le funiculaire ne fonctionnait pas.
Les pannes de courant régulières en Afrique du Sud, depuis des années.
Il fallait tenter l’ascension à pied.
Ça commence par un faux-plat, puis ça se corse.
J’avais mis mes sneakers noires New Balance, j’ai vite réalisé qu’elles étaient plus adaptées au macadam du boulevard St Germain, qu’à la rocaille africaine.
Une famille de Scandinaves m’a dépassé.
J’aurais dû manger des galettes Wasa au blé complet, au petit déjeuner ce matin, plutôt que ces croissants gras.
A mi-chemin, j’ai fait une pause.
Je me suis assis sur un petit muret en pierres sèches pour contempler la mer.
Déjà, à cette hauteur, le panorama est impressionnant. Les vagues d’écume, au loin, se confondent avec les queues des cachalots et peut-être les premières côtes de l’Antarctique.
J’ai songé à la vanité de mon projet.
Pourquoi poursuivre toujours plus haut ?
La vérité était que j’étais crevé.
C’est à ce stade de ma réflexion, que le babouin s’est manifesté (authentique).
Un mâle alpha, assez costaud et visiblement contrarié d’avoir été interrompu dans sa sieste sur le petit muret en pierres sèches.
Les sneakers New Balance se sont révélées très efficaces pour me permettre de détaler avec dignité.
J’ai rattrapé les Scandinaves.
Arrivé au phare, le vent s’est fait assourdissant.
Il fallait se tenir à la rambarde métallique, pour ne pas terminer en cerf-volant.
Une touriste anglaise a perdu son chapeau en paille, sa robe Laura Ashley se tordait autour d’elle comme les flammes d’une torche.
Elle avait le beau visage de Virginia Woolf.
 
>Virginia Woolf, Vers le phare, Folio, 363 pages, 6,60 euros >>Pour acheter le livre de Virginia Woolf, cliquer sur ce lien
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Daniel Sarfati est médecin ORL, passionné par le langage, par les signes, la lecture des mots qui s’écrivent, se lisent sur une page ou sur des lèvres, les histoires qui se vivent ou qui s’inventent.
 
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