On relit nos classiques

René Barjavel et le crépuscule des mondes

Avant que le terme "science-fiction" ne devienne usuel en France, les romans de René Barjavel étaient qualifiés par l'adjectif "extraordinaire". Une appellation qui semble aujourd'hui plus que jamais adaptée à l'écriture de l'auteur, pionnier de la science-fiction à la française. Dans Ravage, il décrit l'anéantissement progressif d'une société ultra-technologique, suite à une attaque de grande envergure. C'est un crépuscule généralisé et désespérant qui s'abat sur une partie de l'humanité, aveuglée par ses propres actes démiurgiques. 

>Accéder à la fiche de René Barjavel >Accéder à la fiche de Ravage

La Fin de l'Histoire ou la civilisation à son apogée

René Barjavel n'est pas de ceux qui font débuter leur vision de l'Apocalypse au milieu du déluge. Pour Ravage, le premier quart du roman est consacré à la présentation détaillée et émerveillée d'une société idéale, dans laquelle la technologie soulage les êtres humains de leurs fardeaux quotidiens: quasi-disparition de l'agriculture traditionnelle au profit d'une culture hors-sol, éradication de la famine, circulation automobile plus aisée en ville... C'est le XXIème siècle, avec ses allures de Paradis à portée de main, et ce regard critique sur le siècle précédent: "Il ne serait pas venu à l'idée des Européens du XXème siècle de manger des foetus de mouton ou des veaux mort-nés. Ils dévoraient pourtant des oeufs de poules." écrit Barjavel. Dans le monde que l'auteur décrit, chaque détail à son importance, car il montre la technologie qui juge sévèrement nos caractères humains: vêtements, alimentation, situation géographique, sexe, culture... Tous les domaines qui permettaient de constituer notre identité sont peu à peu pris en charge par la technologie omniprésente. La civilisation semble avoir atteint son apogée. Elle peut maintenant amorcer son déclin.

 

La situation extraordinaire en toile de fond

Pour rompre cette monotonie du bonheur, l'écrivain inflige à ce monde idyllique une attaque militaire (nucléaire?) de grande envergure, sans espoir de résistance. "Chaque torpille atteindra, à un mètre près, l'objectif auquel elle est destinée" déclare l'agresseur qui apparaît sur tous les écrans de la capitale, entre deux publicités. C'est à partir de ce point de crise précis que Ravage devient vraiment "roman extraordinaire". Tout ce qui intéresse René Barjavel, c'est montrer la survie (ou plutôt la sous-vie) éperdue des quelques survivants. L'agresseur n'apparaîtra plus dans le roman, nulle information ne filtrera sur le monde extérieur, ou sur les autres pays. Seule la situation extraordinaire provoquée par l'attaque nous sera présentée: à la suite d'une coupure générale de l'électricité, fluide vital de ce macrocosme, toutes les mécaniques habituelles sont interrompues, le circuit est coupé, la technologie est inerte et inutile. La crise énergétique, la disparition totale de toutes les sources d'énergie est déjà la peur secrète et sourde qui effraie l'humanité en silence. Même le soleil est voilé par la cendre qui s'envole des ruines fumantes.

 

Entre fascination et horreur

René Barjavel exploite alors ce bouleversement total des règles de l'existence en dressant des visions terribles, véritables scènes de l'Apocalypse: les avions, privés d'électricité et donc de carburant, commencent à basculer dans le ciel, avant de fondre sur les mégalopoles terrestres, devenant de nouveaux missiles délétères. "Ils n'obéissaient plus qu'aux simples lois de la pesanteur." ajoute Barjavel: la Nature semble elle-même se venger, neutralisant d'abord la technologie qui la déformait. L'écrivain nous décrit ailleurs une curieuse coutume de cette société civilisée: les habitants avaient pris l'habitude de conserver les membres défunts de la famille dans une sorte de caisson qui conserve les corps à bonne température, garantissant le bon état des dépouilles qui semblent presque vivantes. "[L]a grande terreur de la mort" est vaincue, elle qui "courbait le dos de l'humanité": après la coupure de courant, les cadavres sont à l'air libre: ils se décomposent dans les cuisines, les salles à manger, les salons, les chambres. Ce sont des tableaux terribles que peint Barjavel, le monde n'est plus qu'un vaste cimetière. Mais l'écrivain multiplie les descriptions, mû par une pulsion scopique qui le pousse à tout observer. Une messe célébrée au sommet de la Tour Eiffel (!) devient une hécatombe lorsque les corps basculent et tombent au sol "en lambeaux et en pluie". 

 

L'humain livré à lui-même

"Dieu ne veut pas pardonner." prévient Barjavel: il n'y aura pas de possibilité de Salut, ou de nouvelle alliance, il n'y a ici-bas que l'homme qui tente de survivre. Son parcours croise de nombreux cas de "situations extraordinaires", comme lorsque François, le héros (qui devient parfois anti-héros en commettant des meurtres), et sa compagnie observent leurs congénères encore vivants: "D'autres se groupaient autour d'un cadavre, le dépeçaient de la dent et de l'ongle, demandaient un prolongement de vie aux restes de chair de celui que la vie venait de quitter". Sans zombie, sans serial-killer, sans force surnaturelle, sans dieux, la science-fiction de René Barjavel confine parfois à l''horreur, en se concentrant sur ses prophéties en cours d'accomplissement qui n'engagent que l'homme et uniquement lui, dans un face-à-face qui emprunte autant à Hobbes qu'à Rabelais, ce dernier étant cité en ouverture de la troisième partie du roman. Au philosophe anglais, il emprunte la vision de l'existence comme un territoire sauvage; de l'écrivain français, il adopte l'attitude de satiriste; mais les romans extraordinaires de René Barjavel ne relèvent que de ses propres traits caractéristiques.

En savoir plus

René Barjavel, Ravage, éditions Folio

0
 

En ce moment

Prix de de La Closerie des Lilas 2024: Arièle Butaux, lauréate pour « Le cratère »

Ce jeudi 25 avril, les fondatrices, Emmanuelle de Boysson, Carole Chrétiennot, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Stéphanie Janicot, Jessica Nelson

Festival de Cannes 2024 : la liste des films en compétition

La cuvée 2024 de la  77e édition du  Festival de Cannes ,qui se tiendra cette année du 14 au 25 mai, a été dévoilée par Thierry

Festival du Livre de Paris 2024 : succès avec ses 103 000 visiteurs et des ventes en hausse

Le Festival du Livre de Paris 2024 se clôture sur une note de succès avec 103 000 visiteurs et des ventes en hausse de 6%. 

« Strasbourg, capitale mondiale du Livre » : du 23 au 28 avril 2024, un programme exceptionnel pour la semaine inaugurale

Première ville française désignée Capitale mondiale du livre par l’UNESCO, Strasbourg lancera le 23 avril 2024 une semaine de festivités pour ma

Le TOP des articles

& aussi