Réecriture mythologique

«Pénélope, reine d’Ithaque» de Claire North : l’envers du décor de l’Odyssée ?

L’Odyssée est un incontournable de la littérature mondiale. Mais au-delà de la célébrissime histoire du voyage d’Ulysse, que s’est-il passé durant ces longues années pour Pénélope, sa femme, restée à l’attendre sur l’île d’Ithaque ? C’est l’histoire que propose Claire North dans son roman  Pénélope reine d’Ithaque (éditions Hauteville), qui s'intéresse à l'autre côté de l'histoire jamais racontée. Entre intrigues politiques et complots sous-jacents, cette réécriture du point de vue féminin réserve son lot de surprises. Analyse.

La mythologie revisitée

La mythologie, et particulièrement la mythologie grecque, a toujours fasciné, par ses contes prenants, fantastiques, qui nous touchent tous. Comme le dit Marc Bonnant, « la mythologie révèle les hommes plus qu’elle ne raconte les dieux ». De nombreux livres, films, séries, revisitent ces mythes fascinants, à commencer par le célèbre Percy Jackson de Rick Riordan. Dans Pénélope reine d’Ithaque, premier tome de la saga Le chant des déesses, Claire North dépeint l’histoire de la femme d’Ulysse, Pénélope, restée dans la mère-patrie, alors que son mari est parti combattre à Troie, et l’attendant sans relâche jusqu'à son retour. Cette attente durera près d’une décennie. Claire North décide de raconter ce qui s'est passé pendant ces années. Contée de la bouche de la déesse Héra, cette histoire riche et complexe transporte le lecteur sous le soleil de Grèce, du temps des lyres et des oliviers.

Une auteure qui réécrit l’histoire

Catherine Webb est une romancière britannique de fantasy et de science-fiction. Elle écrit également sous les pseudonymes de Kate Griffin et Claire North, et c’est sous ce dernier nom qu’elle publie Pénélope reine d’Ithaque. L’auteure de trente-sept ans, déjà lauréate de plusieurs prix littéraires, immerge le lecteur dans un style prenant, fluide et descriptif. Les détails sont abondants, les scènes dépeintes de façon minutieuse, et l’on se croit plongé dans le décor de la ville grecque. Le choix de narrer le récit à travers les yeux d’une déesse permet aussi à Claire North de prendre une certaine distance avec son récit, et de placer le lecteur du point de vue divin.

Quelle histoire pour cette réécriture ?

Voilà maintenant huit ans que s’est achevée la guerre de Troie. Huit ans, et toujours pas signe de vie d’Ulysse dans sa patrie natale. Même les plus mauvais marins auraient fait mieux. A Ithaque, sa femme Pénélope l’attend désespérément, avec son fils, le jeune Télémaque. Mais la pression sociale courbe les épaules de la jeune femme, pressée par tous les princes de Grèce à reprendre époux afin que la cité ait un roi. Tout le monde pense qu'Ulysse  est mort, ce n’est pas possible autrement. Pénélope se voit entourée de prétendants venus des quatre coins de l’empire, et même d’autres pays, venus lui exposer les raisons pour lesquelles, ils seraient le meilleur mari pour elle. Mais Pénélope a d’autres priorités. Au-delà de vouloir rester fidèle à Ulysse, qui, elle en est persuadée, est toujours en vie, elle mène ses propres intrigues au sein de son palais. Car il est difficile de garder le contrôle, lorsque l’on est une femme seule dans ce monde misogyne, encore plus entourée de tous ces hommes qui veulent s’accaparer sa richesse, et son trône.
Mais Pénélope est une femme rusée comme son mari, et compte bien garder le contrôle sur Ithaque, avec l’aide de ses fidèles servantes et des femmes d’Ithaque. Le roman montre sa succession de stratagèmes, de ruses et d’intrigues politiques, pour rester diplomate, ne froisser personne, continuer à faire rentrer de l’argent dans les caisses du royaume, sans que les prétendants ne ruinent tout, en banquets fastueux, et rester sur son trône en attendant le retour d’un mari, qui ne saurait tarder…

Le chant des exploits

« Les poètes vous en diront beaucoup sur les héros de Troie. Pour certains détails, ils disent vrai ; pour d’autres, comme en toutes choses, ils mentent. Ils mentent pour plaire à leurs maîtres. Ils mentent sans savoir ce qu’ils font, car c’est l’art du poète que de faire croire à toute oreille entendant les chants anciens qu’ils ont été chantés pour elle seule : l’ancien devient ainsi nouveau. » -C.N

L’auteure le précise tout au long du livre, les poètes tiennent une place prédominante et très importante dans la société de l’époque, chantant et enjolivant les exploits guerriers des dieux et des héros, remaniant le passé pour les générations futures. Les poètes ont en quelque sorte le privilège d’écrire l’histoire comme ils la désirent, mais ne se sont toujours intéressés qu’aux prouesses héroïques, et combien de gens ont-ils oubliés de chanter, combien de gens modestes mais extraordinaires ont-ils oubliés de célébrer ? Claire North déplore les archives historiques de l’époque, qui montrent une histoire où les femmes sont écrites par les hommes, même celle des plus grandes reines.

Une réécriture avant tout féministe

« -Comment cacherez-vous une armée ?
-Médon,
gronde Pénélope. Quelle question stupide ! On la cache de la même façon que l’on cache sa réussite en tant que commerçante, ses talents d’agricultrice, sa sagesse en politique ou sa vivacité d’esprit. On le cache par le simple fait d’être femme. » -C.N

L’auteure montre avant tout l’envers du décor d’un monde profondément patriarcal, où les femmes sont belles et se taisent, et où il est impensable pour une femme d’être reine sans roi. Pénélope, qui a pourtant plus d’aptitudes à régner que la plupart des hommes, se voit poser des bâtons dans les roues à chaque étape par le simple fait d’être femme. Voilà également pourquoi les poètes ne chantent que les exploits des hommes. Après tout, que pourrait bien faire une femme de si intéressant que cela mérite d’être chanté ? Claire North prouve le contraire en écrivant l’Odyssée de Pénélope, un périple riche en péripéties et complots à déjouer, et nécessitant une belle dose de courage et de débrouillardise, dans un monde d’hommes où les serpents se cachent partout.

Les dieux s’amusent

« Quelle que soit la façon dont les dieux influent sur nos vies, n’imaginons pas qu’ils agissent au profit d’autres caprices que les leurs. » -C.N

L’histoire écrite du point de vue d’Héra, reine-mère des déesses et femme de Zeus, montre à quel point les humains sont manipulés au gré des caprices et des envies de dieux. Ceux-ci s’immiscent dans les complots des hommes, se métamorphosent et rejouent les événements à leur manière. Les humains sont pour eux des objets source de distraction, comme des poupées pour des petites filles. Héra soutient Pénélope dans sa quête, tout comme elle idolâtre Clytemnestre ou Poséidon qui déteste Ulysse. Les dieux se disputent les terres et le monopole des prières des humains, montrant le récit sous une toute autre perspective que celle de Pénélope ou d’un autre humain, et apportant une profondeur rafraîchissante au récit.

La quête de l’héroïsme

« Tel est le monde dans lequel nous vivons. Nous ne sommes pas des héros. Nous ne choisissons pas d’être grandes, nous n’avons aucun pouvoir sur notre destin. » -C.N

Claire North joue avec les codes de l’héroïsme tel que nous le connaissons, dans la mythologie tout comme ailleurs, par exemple dans les romans ou les contes, en réécrivant un mythe mondialement connu en donnant aux femmes la place qu’elles méritent et qui ne leur avait pas été accordée. Y est dépeinte une belle sororité, avec une inspiration pour le lecteur-lectrice. Une histoire d'Antiquité et de féminisme. Et quelle histoire ! Luttes de succession, accession au trône, invasions pirates, meurtres et malédictions familiales, écart des passions… Ithaque est plus agitée que jamais, et laisse le lecteur avide d’une suite qui sortira très prochainement en français.

>Pénélope reine d’Ithaque, premier tome du Chant des déesses, Claire North, éditions Hauteville, 508 pages, 25 euros

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