Chronique d'Agnès Séverin

«Mme Osmond», ou «Match Point» revu et corrigé par John Banville

John Banville est un orfèvre des mots. Cet écrivain irlandais majeur, lauréat du Booker Prize 2015, pour La mer, met en scène les turpitudes de la bonne société anglo-américaine avec la précision d’un joueur d’échecs. Dans Mme Osmond, ce sequel du Portrait de femme d’Henry James, c’est un peu Match Point, de Woody Allen, revu et corrigé par Henry James. Le jeu en vaut la lecture.

Portrait de John Banville © Douglas Banville - Editions Robert Laffont Portrait de John Banville © Douglas Banville - Editions Robert Laffont

John Banville est un orfèvre des mots. Le lauréat du Booker Prize 2015, pour La mer, cisèle les destins avec autant de finesse et de subtilité qu’il dépeindrai les nuances argentées à la surface des flots. Cet écrivain irlandais majeur met en scène les turpitudes de la bonne société anglo-américaine avec la précision d’un joueur d’échecs. Ce sequel du Portrait de femme d’Henry James, c’est un peu Match Point, de Woody Allen, revu et corrigé par Henry James.

Jeu, set et match. L’écrivain irlandais John Banville retrace le trajet de Madame Osmond aller-retour Rome-Londres, en passant par Paris, avec rythme haletant. Femme bafouée, Madame Osmond fuit le palais conjugal pour retrouver des fréquentations plus amicales sur les rives de la douce Albion.

John Banville dévoile, pan par pan, la personnalité d’une héroïne tour à tour rusée et naïve. Et donc assez souvent surprenante. Sa lutte pour la liberté en fait un personnage attachant. Quels stratagèmes la jeune épouse déploiera-t-elle pour se sortir de ce guêpier ? Les plus beaux partis de l’aristocratie et de la ploutocratie réunis de part et d’autre de la Manche et de l’Atlantique ne demandent aussi qu’à la prendre sous leur aile. La belle se montre cependant étrangement douée… pour échouer. Le résultat, à l’arrivée, est grinçant.

Une belle héroïne douée pour l’échec

Les rebondissements qui jalonnent cette quête sont autant de prétextes à mieux cerner les motivations (nébuleuses) de cette jeune première. Ce petit personnage délicat est en effet pétri de vanité – d’où ses boulettes ? Péché mortel dont cette créature pourtant vertueuse cherche pourtant à se guérir. Prise dans les rets d’un époux manipulateur, forcément mal entourée, la jeune Madame Osmond prend appui chez ses plus vieilles amies anglaises. Ces moments d’apaisement ouvrent ainsi quelques parenthèses salutaires dans un trajet bringuebalant.

Des liens secrets se tissent entre Mme Osmond et sa belle-fille, aussi pâle qu’une endive bouillie que l’on tire de son couvent aux grandes occasions (celles où se présentent les prétendants). Ils sont tout de « gaieté réprimée ou [d’] un savoir partagé assez intense, voire [d’] une attente mutuelle ». Entre seconds rôles on se comprend !

Un anti-portrait à hauteur de femme

Pour dresser cet anti-portait de femme, John Banville déploie une mécanique du récit habilement huilée. La force de ce roman d’action, autant que d’analyse, doit encore beaucoup à la justesse de ses images. Chacune de ces métaphores miniatures joue sur le ressort d’une ironie très british - plutôt irish faudrait-il dire.

« Ses pensées s’étaient calquées sur le train lancé à pleine vitesse, mais contrairement à lui, elles n’allaient nulle part. Jamais, en effet, elle n’avait noté avec autant d’acuité que depuis son départ de Gardencourt, la course forcenée, implacable, insensée de l’esprit. »

En témoigne ainsi le début de ce Grand Tour des plus cruellement initiatique (le beau monde est en effet rarement à la hauteur où le portent les œuvres d’art, dixit Proust).

« Ses pensées s’étaient calquées sur le train lancé à pleine vitesse, mais contrairement à lui, elles n’allaient nulle part. »

Le tréfond des âmes est toujours un dédale. John Banville sonde les cœurs au plus profond. Sans craindre d’y trouver des trésors de noirceur et de fourberie. Ou de simple déception. Sentiment moins tragique. Situation moins grandiose, malgré le decorum et les perspectives toscanes baignées de poudroiements dorés dans les petits matins vaporeux. Le romancier irlandais dépeint son anti-héroïne à hauteur de femme. Il croque ainsi une Emma Bovary qui prendrait la vie avec plus de bonhomie.

« Qu’elle aurait aimé à présent avoir été capable de cette grandeur qu’il avait espéré voir en elle, de ces sauts plus ambitieux, de ces pirouettes aériennes toujours plus gracieuses, de ces réceptions d’une infinie légèreté sur un orteil tendu, de ces amples révérences où se déploient des bras graciles comme des cous de cygne (…) il ne désirait que recevoir des dépêches de temps à autre, afin de s’entendre décrire les merveilles que je rencontrerais et les ports fabuleux où je mouillerais en chemin. Malheureusement, je me suis révélée n’être ni Marco Polo, ni Vasco de Gama ».

Un suspens à la Wilkie Collins

Les destins de femmes (contrariés) font souvent de bons romans. Comme dans les Vingt-quatre heures de la vie d’une femme sensible de Constance de Théis (de Salm),  les mouvements du cœur, auscultés à la loupe, soupesés à l’aune du moindre évènement, sont matière palpitante. Tant la psychologie d’une femme sensible - à défaut d’être totalement sensée - a de quoi nourrir un roman d’action passionnant. Quoi, cette dame recherchée des meilleurs partis dissimulerait-elle « une version d’elle-même boudeuse, amère, et, encore une fois, puérile » !

Le suspens auquel John Banville soumet son lecteur est d’une précision horlogère. Cela n’est guère superflu pour refléter, en spéléologue, la complexité de la psyché humaine – et pas seulement féminine. Ainsi, les caractères se dévoilent-ils de manière brutale quand les couteaux sont tirés.

« Il est incontestable que les choses les plus bizarres me paraissent amusantes, et même étrangement comiques. Cela étant, j’ai mes limites. L’argent [surtout celui des autres !], par exemple, ne me fait pas sourire, quand je suis sur le point de le perdre. »

Fiat lux. Personne n’en doute, l’argent et les sentiments font rarement bon ménage.

Un roman en rose et noir

En matière de calcul, un portrait de femme peut en cacher un autre. Celui de l’inquiétante Mme Merle, par exemple. « (…) c’était une femme qui avait vécu des années dans les grotesqueries – comment qualifier autrement ses faux-semblants, ses subterfuges, ses mensonges si calmement calculés ? – et peut-être une sorte de rire infernal représentait-il à présent son unique défense face aux assauts de sa conscience, si tant est qu’on eût pu dire qu’elle possédât pareille faculté. »

On ne perd pas une page de ce roman en rose et noir. Une telle efficacité dans la noirceur mâtinée de sensibilité rappelle souvent Wilkie Collins. À l’époque victorienne, ce dernier excellât dans la peinture de figures féminines en proie à l’injustice. Un grand nom du roman noir, et des intrigues à mille ressorts et détentes où se débattent ces pauvres malheureuses comme dans une toile d’araignée. Et la source d’inspiration, rien moins, de Sir Alfred Hitchcock.

Ainsi la pauvre Isabel parvient-elle « à un stade de sa vie, elle y avait été traînée comme un condamné à la guillotine, où il était préférable de ne pas se poser de telles questions, les réponses étant à la fois trop obscures et potentiellement destructrices. »

Un sourire sardonique sous une plume habile

La fille unique d’Osmond n’est pas en reste. Bien qu’elle semble faire preuve de plus de lucidité. Logique, puisqu’elle pratique son diable de paternel depuis plus longtemps.

« (…) elle avait bien conscience que rien de ce que son père affirmait ou faisait ne devait être pris au pied de la lettre, ni sa franchise factice, ni sa prétendue simplicité, tant dans son comportement que ses intentions. Avec papa, il y avait toujours une obligation qui ne disait pas son nom, une longueur d’élastique invisible au bout de laquelle la chose offerte pouvait vous être instantanément retirée. Au fil des années, elle avait donc appris à être prudente, à ne rien tenir pour acquis, à se méfier de toute ce qu’on pouvait lui offrir ».

Comment faire preuve d’habileté face à un couple imbattable dans l’art de faire bonne figure en société ? La vengeance est-elle une solution ? Art des coups tordus que d’aucuns maîtrisent de manière quasi innée. D’autres moins. Ont-ils donc intérêt à s’essayer à ces dangereuses pratiques ?

Certes non, sauf à faire sourire, du sourire amer de l’ironie. Ce sourire sardonique sous une plume habile, voilà qui suffit à réjouir le lecteur !

>Mme Osmond, de John Banville, traduite de l’anglais (Irlande) par Michèle Albaret-Maatsch. Pavillons Robert Laffont, 408 pages, 22,50 euros. >> Acheter le livre en cliquant sur ce lien

  • Traductions :
    British : britannique
    Irish : irlandaise
5
 

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