«​Les yeux de Milos»

Patrick Grainville dépeint l’éternel masculin

Milos est un anti-héros très contemporain. Romantique et sensuel. Égotiste et cruel, sans le vouloir. Pâle reflet d’un Picasso dévoreur de conquêtes et de nouveaux territoires picturaux, il erre dans les grottes de son inconscient, que symbolise son travail de paléologue. Patrick Grainville livre dans Les yeux de Milos (Seuil) un tableau cubiste désaccordé où règne un chaos bien contemporain lui aussi ; où les fantasmes valsent entre éternel féminin… et masculin. Them too!

Portrait de Patrick Grainville: © Hermance Triay in courtesy Le Seuil Portrait de Patrick Grainville: © Hermance Triay in courtesy Le Seuil

Milos est un Appolon. Son nom doit sans doute un peu à la Vénus de Milo. Elle n’a pas de bras. Il semble avoir les jambes coupées. Milos est un héros très contemporain. Comme les Romantiques, il n’a que le mérite d’être né trop tard. Deux-cents ans plus tard, est-il capable de vivre la passion ? Visiblement pas. Juste une initiation sensuelle adolescente qui tire en longueur.

Appolon au petit pied

Dix ans plus tard, au seuil de l’âge adulte, Milos tergiverse encore entre son Grand amour et sa maîtresse névrosée. Entre l’idéal de la jeune fille à la fois vertueuse et sensuelle parce qu’amoureuse. Entre la Messaline tentatrice qui se dévore elle-même les entrailles de son désir destructeur. Car coupable ? Car non marqué de l’amour pur et unique. Appolon au petit pied, Milos reproduit (involontairement ? inconsciemment !?) cet art ancestral de la dérobade qui consiste à briller par son absence. Facile. Cruel. Banal.

La faiblesse, arme fatale de ces messieurs

Dix ans plus tard, Milos continue à tourner sur lui-même, ballotté d’une femme à l’autre, balloté d’un corps à l’autre, balloté d’un cœur à l’autre. Il vibrionne. Milos est un mâle. Il règne sur son cheptel. La faiblesse est son arme la plus efficace. Insidieuse et d’autant plus redoutable. Car Milos est un bourreau des cœurs. Il règne en maître par son insondable passivité.

Romantique, décidément. C’est normal pour un héros aux yeux bleus. Car Milos a les yeux bleus. C’est sa seule caractéristique. Car pour le reste de son portait, son souvenir ne laisse que la trace de son interminable faiblesse mêlée d’inconsistance. Personnage falot. De là à voir en lui un phallocrate qui s’ignore ?

L’art de la fugue

Les yeux de Milos est bien un roman contemporain. Ses anti-héros ruminent, pour filer la métaphore bovine chère à l’auteur, leurs pulsions et leurs regrets dans une fuite qui n’en finit plus. Milos est personnage en fugue. Il fuit le passé de sa mère. Qui n’est pourtant pas bien lourd. Il fuit le désir, l’amour, trop puissants que lui témoignent ses contemporaines. Homme fatal face à l’éternel féminin. Troublant. Un peu effrayant. Marine file à l’anglaise. Elle part à Londres. S’ennuie autant. Devient prof d’anglais. Tombe enceinte. La vie. Il faut dire que le(s) émission(s) littéraire(s) sont sponsorisées par des banques de fonctionnaires. Rien d’étonnant à ce que l’imagerie de boutique de musées fasse recette.

Son amant volage est un lointain et pâle reflet du Picasso séducteur que Patrick Grainville dépeint de son apogée à la chute, naufrage de la vieillesse si commun pour un héros-monstre génial, solaire, cruel ? Incarnation surtout de liberté chère au siècle qui l’a si peu défendue au fond. Du désir roi. Sans considération pour ses proies. De là, voir le maestro en précurseur de Mai 68 et de l’égocentrisme roi…

Mais qui dévore qui ? De l’amoureuse qui lasse. De l’amoureuse évadée, qui hante. De l’amoureuse délaissée, qui traque.

Une technique de collage chaotique

Pour rehausser la composition, Patrick Grainville, qui a déjà signé une Falaise des fous consacrée aux Impressionnistes, joue ici du parallèle entre les destins dominateurs et fracassés de Nicolas de Staël et Picasso.

Dans cette succession de tableaux hallucinatoires où l’histoire de l’art (intéressante) se mêle aux ardeurs du « Minotaure » et de son jeune avatar féru de paléontologie L’Académicien, lauréat du Goncourt pour Les Flamboyants, s’inspire des techniques de collage et de déconstruction cubistes. Ceci n’est pas une fresque, c’est un chaos pictural et mythologique que livre l’auteur de Bison, du Démon de la vie et de Lumière du rat.

Gentil désordre amoureux filant de manière insistance la métaphore de la caverne qui vire à l’obsession obscène. Parallèle non moins insistant entre l’art primitif qui fait écho à l’art pariétal. Entre les désirs primaux qui traversent les siècles et les espèces pour former l’image centrale de ce « Minautore » grec ressurgi sur les toiles du XXème.

« Soudain, dans un flash de spot, une flopée de mains distinctes. Summum d’émotion ! Présence de nos frères. Là, à se toucher. Ailleurs, l’imbroglio se démêlait de linéaments du roc, les fils se dénouaient. (…) Une crinière de Minotaure. Une silhouette humaine, à peine esquissée ou bestialisée. Et le pénis préhistorique, la vulve se méritaient eux aussi ». Ah bon, a-t-on vraiment mérité ce tableau peu ragoûtant ? L’auteur cherche-t-il à reproduire les délires priapiques d’un génie de la séduction mêlée de destruction en fin de parcours ?

Esprit de la corrida es-tu là ?

Reste un enseignement. Une vérité que je salue bien bas en ces temps de peste, de silence et de claustration. « (…) Picasso rameute tout l’imaginaire des taureaux et des cavernes. De Cnossos, du curé Breuil, de Leroi-Gourhan, de Leiris, de Goya, de Manet, de Masson. On condamnera, certes, on interdira, on fermera les arènes. Tous à vos portables, à vos guerres, à vos carnages de vidéos ! Mais le scoop, c’est encore, en 1970, de photographier, dans l’arène, le visage de Picasso, happé par la scène primitive, son regard vrillé, surpris, stupéfait, excité. Fascination figée. Extraordinaire concentration de sa face burinée, focalisée. L’affût du prédateur. Les fauves ont cet aspect, fantastiquement suspendu, de sphinx fossile, allongeant le museau… juste avant de fondre sur leur proie. Protégez l’animal Picasso, le dernier des fauves ! ».

La valse de l’amour et de la mort, on n’a jamais fait mieux. Puisse cette époque morbide et son atmosphère mortifère nous enseigner mieux que signifie l’art de goûter la vie.

>Les yeux de Milos, de Patrick Grainville. Roman Seuil, 342 pages 21 euros.

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