Prix Goncourt des lycéens

«Les impatientes» de Djaïli Amadou Amal : roman coup de poing sur les mariages forcés

Avec Les impatientes (Emmanuelle Collas), Djaïli Amadou Amal, lauréate du Goncourt des lycéens et, en 2019, du prix de la meilleure auteure africaine et du Prix Orange du livre en Afrique, s’attaque au sujet difficile des mariages forcés. Trois destins croisés, trois portraits de femmes esquissés pour dire la violence au quotidien d’une domination traditionnelle qui en arrange plus d’un.

Djaïli-Amadou-Amal@Patrice_Normand Djaïli-Amadou-Amal@Patrice_Normand

« Les impatientes », de l’easy reading 1 sur un sujet pas facile. Dans ce roman plébiscité à juste titre par les jurés de prix, en Afrique comme en France, la romancière d’origine camerounaise Djaïli Amadou Amal évoque les mariages forcés au Sahel. Récompenses politiques pleinement justifiées pour le traitement romanesque efficace d’un sujet que l’auteure a vécu dans sa chair pour avoir été mariée à 17 ans au sein de sa communauté peule musulmane.

Un message universel

Avec ce roman coup de poing, Djaïli Amadou Amal a raflé pêle-mêle le prix Goncourt des lycéens, du prix de la meilleure auteure africaine 2019 et du Prix Orange du livre en Afrique 2019. C’est une bonne nouvelle pour la cause de l’amélioration de la condition féminine ici et ailleurs. « Les impatientes » est un livre à message efficace qui joue sur des émotions communes qui ne peuvent laisser indifférent. Djaïli Amadou Amal en distille la dose requise avec une régularité métronomique pour maintenir la tension. Efficace, donc.

Conteuse habile, Djaïli Amadou Amal place ici une bonne dose de souffrance, là une rasade de pétoche, La construction efficace du roman lui permet de faire vivre le sujet central des violences faites aux femmes à travers trois concessions tenues d’une main de faire par un seigneur et maître, trois décors, trois destins.

Un témoignage coup de poing

L’alternance des histoires, des points de vue et des lieux est bien vue pour échapper aux huis clos de ces prisons intimes institutionnalisées. Et renouveler ainsi l’intérêt du lecteur sur un sujet tristement connu et partagé sur les ondes et les réseaux sociaux. Car il est vrai que rien n’est plus efficace que la forme romanesque pour embrasser, faire ressentir et partager le destin de ces héroïnes définitivement brisées dès le soir de leur nuit de noces.

« Sauvez-moi, je vous en supplie, on me vole mon bonheur et ma jeunesse ! »

« Toutes les femmes qui nous entouraient pleuraient. Chacune revivait, à travers nous, sa propre angoisse et ses désillusions, ce que je ne compris que des années plus tard (…) Durant tout le trajet je pleure. J’ai envie de hurler aux curieux qui, agglutinés au bord de la route, saluent par des cris le cortège nuptial :

« Sauvez-moi, je vous en supplie, on me vole mon bonheur et ma jeunesse ! »

Les scènes sont dures. Les situations stéréotypées. C’est une chronique sociale qui poursuit un but. Et qui l’atteint.

Des émotions-choc

Djaïli Amadou Amal frappe fort. Elle balance les émotions-choc. La perte de l’innocence. Les intrigues de politique domestique aux forts relents de harem et de bêtise humaine. « Les co-épouses certes, sont des ennemies connues mais les belles-sœurs sournoises, les épouses des beaux-frères jalouses, les enfants de l’époux, sa mère, sa famille le sont aussi ». Un parfum de luttes claniques bien pratiques pour faire passer ses nerfs sur autrui. De préférence sur plus petit que soit en milieu carcéro-familial.

Ces trois « impatientes », Ramla, Hindou et Safira, connaissent enfants l’ignorance, adolescentes le mariage forcé. Elles enchaînent, à peine adultes, avec l’humiliation chronique de la polygamie, la violence ou encore le viol conjugal. Tout peut paraître caricatural vu d’une situation confortable de femme élevée dans un contexte occidental favorisé. Toutes ces situations tragiques s’inspirent pourtant de la réalité le plus brutale que l’auteure cherche à dénoncer.

La douleur et les tourments qu’endurent ces héroïnes-courage se ressemblent seulement un peu trop d’une partie du livre à l’autre. Les contours de leur personnalité sont à peine esquissés. Mais le lecteur ne plonge pas dans leur cœur. Il reste sur le seuil de leur réalité. Ces personnages n’existent pas. Est-ce parce que ces silhouettes manquent d’épaisseur psychologique. Est-ce justement la réalité sociologique..

Dès lors, la dureté de la réalité mise en scène se répète en écho. Jusqu’à la nausée. Faire réagir pour dénoncer. Le procédé est efficace. Mais il a quelque chose de gênant.

De la compassion et aussi un peu de gêne

Le titre fait référence aux conseils de patience, « Munyal » qui sont dispensés aux jeunes mariées musulmanes le jour de leur noce. Puis rabâchés par leurs mères et leurs tantes tout au long de leur chemin de croix conjugal. Ce sont les pères naturellement qui se chargent du message. Comme ce sont eux qui choisissent l’heureux élu.

Et aux hommes que leur est-il demandé ? Certes de nourrir, loger et blanchir ses épouses et leur ribambelle d’enfants. De prendre du plaisir. De se défouler, de se venger de leurs petits (et de leurs gros) tracas, sur leurs épouses à leur guise. La règle est d’airain. Et si facile à appliquer lorsqu’on n’en souffre pas soi-même. « Tu dorlotes trop tes enfants et tu les gâtes. Normal qu’ils ne sachent ».

La bienséance tout de même ! Les apparences ! Il faut que ces messieurs puissent continuer à parader dans le voisinage sans effleurés par le « qu’en dira-t-on ».

Il est vrai que c’est bien pratique la tradition. Surtout quand c’est deson « bon plaisir » qu’il s’agit. « Un Peul meurt comme un mouton en se taisant et non en bêlant comme une chèvre ». Les victimes d’hier ne sont-elles pas les bourreaux de demain ? Fut-ce contraintes et forcées par une organisation idéologico-sociale dont chacun finit par s’accommoder raisonnablement.

Jusqu’à quand ?

>Les impatientes, de Djaïli Amadou Amal. Emmanuelle Collas, 239 pages, 17 euros

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