Hommage

Gabriel Garcia Marquez: le roi du «réalisme magique»

Gabriel Garcia Marquez, l'un des plus grands écrivains de langue espagnole et de la littérature du XXème siècle nous a quittés laissant derrière lui une oeuvre foisonnante.

Prix Nobel 1982, Garcia Marquez est l'auteur qui est parvenu mieux que quiconque à décrire l'âme de l'Amérique latine. Il a créé les contours d'un nouvel imaginaire à travers "le réalisme magique". Si son roman Cent ans de solitude l'a révélé, son oeuvre toute entière a marqué une langue et une époque.
Retour sur le parcours de ce géant de la littérature du XXème siècle qui laisse le monde culturel mondial orphelin.

 

Vendredi 18 avril 2014, un fort tremblement de terre secouait Mexico dans la matinée: Un signe des Dieux après l'annonce la veille au soir de la mort à son domicile de Mexico du Prix Nobel de Littérature colombien. Gabriel Garcia Marquez s'était installé depuis 1961 au Mexique.

D'Aracata à Macondo

Gabriel Garcia Marquez a eu la conviction qu'un jour il ferait un livre de Macondo. Et Macondo apparaît dès La Hojarasca note Yves Harté dans le beau portrait qu'il a consacré dans Sud Ouest à celui qu'on appelait Gabo et dont il rappelle les mots: "Un jour où je revenais là-bas avec ma mère vendre la maison familiale, le train s'arrêta dans une gare sans maisons autour. Plus loin, sur un panneau, je lis le nom d'une plantation de bananiers, Macondo. J'avais lu cent fois ce nom avec mon grand père. Mais c'est à ce moment là que je compris que j'en ferais un livre."
Né le 6 mars 1927 dans le village d'Aracataca en Colombie, il est fils d'un télégraphiste. Elevé par ses grands parents et ses tantes et oncles, Garcia Marquez a baigné toute son enfance dans une culture tropicale, mélange d'indigènes, d'esclaves d'Afrique et de colons espagnols.
L'écrivain Emilio Lezana qui lui a rendu un très bel hommage dans Le Nouvel Observateur souligne combien Garcia Marquez a marqué son peuple, car il a donné à toute l'Amérique latine un mythe fondateur. En créant l'histoire et la nostalgie des Macondo, il nous a donné à tous une origine. Toute l'Amérique latine commence à Macondo".
Comme le rappelle justement Erik Orsenna, Garcia Marquez "était avant tout un formidable raconteur d'histoires, aussi fort que Cervantes, Dickens, Victor Hugo". Son immense talent était peut-être lié au fait de "croire encore à la force des personnages, à la grande joie de raconter, de tomber de surprise en surprise et d'émerveillement en émerveillement."

 

Un excellent journaliste et un fou de cinéma

Avant d'être écrivain, Garcia Marquez s'est très tôt passionné pour le journalisme et le cinéma. On a tendance à oublier qu'il fut toute sa vie durant un formidable journaliste. 

Envoyé spécial en Europe et à Paris au détour des années 50, L'un de ses plus fameux textes "Récit d'un naufragé" est publié en vingt épisodes dans "El Espectador". Philippe Lançon dans Libération loue ses talents de journaliste: précision, sens de la narration et attention infime au détail. Très engagé dans l'idée du journalisme, Garcia Marquez a créé en 1995 une Fondation pour un nouveau journalisme qui est toujours en activité. Annie Morvan, éditrice aux éditions du Seuil et traductrice de Marquez souligne dans un hommage paru sur le site Mediapart combien "ses reportages sont de véritables bijoux littéraires, des peties nouvelles, des contes comme ses voyages en train à travers l'Allemagne et l'Autriche ou ses séjours à Rome et à Cinecitta où il est fasciné par les films de Vittorio de Sica et le jeu d'Alida Valli". Avant Cent ans de solitude de 1948 à 1960, il avait déjà écrit près de deux mille articles.
Son amour du cinéma le pousse à créer, en 1980 à Cuba, l'Ecole Internationale de San Antoio de los Banos, qui a formé des générations de scénaristes et de cinéastes latino américains.

 

Cent ans de solitude, l'oeuvre littéraire réaliste la plus importante du XXème siècle pour les latino-américains

Dans les années 60, Gabriel Garcia Marquez s'installe au Mexique avec sa femme Mercedes. C'est là qu'il écrit son grand roman, un des chef d'oeuvres de la littérature du XXème siècle, Cent ans de Solitude qui paraîtra en 1967.  Pour les latino- américains, l'oeuvre de Garcia Marquez et particulièrement "Cent ans de Solitude" est l'oeuvre littéraire réaliste la plus importante de l'histoire du XXème siècle. Retrouver les sortilèges de l'enfance, point infime sur une carte d'où a jailli comme un geyser Cent ans de solitude nous dit encore Yves Harté considérant ce roman comme l'un des plus grands romans du XXè siècle, qui changea l'histoire et la géographie de la littérature." Car comme le rappelle Harté "Après la sidérante parution de cette histoire, geste cosmique et familiale dans un monde clos, d'une lignée fondatrice d'un village, plus rien ne fut pareil. Ni pour Garcia Marquez. Ni pour les écrivains de sa génération."
La création de ce roman est un roman en soi. Garcia Marquez s'enferme dans "la caverne de la mafia" une pièce de trois mètres sur deux où pendant un an il écrit son grand roman sur une vieille Olivetti. Gerald Martin, son biographe a très bien raconté en 2008 toute l'effervescence autour de la création du livre que raconte Marquez lui-même: "Dès le premier instant, bien avant sa publication, le livre a exercé un pouvoir magique sur tous ceux qui entraient en contact avec lui: amis secrétaires, etc même des gens comme le boucher ou le propriétaire attendaient que je le termine pour être payés"
Philippe Lançon nous apprend encore ceci qui explique aussi la force et l'ampleur du livre:
"Son ami, l’écrivain colombien Alvaro Mutis, lui fait lire la littérature anglo-saxonne : on retrouvera dans ses livres l’influence de Faulkner avant tout, mais aussi celles de Virginia Woolf et de Hemingway (dans Pas de lettre pour le colonel, une de ses réussites). Cent ans de solitude connaît au moins deux ébauches : l’une non publiée, la Casa, a été écrite à 17 ans et souvent reprise; l’autre, publiée en 1962, est la Mala hora.

 

Histoire d'une légende

Le Mexicain Carlos Fuentes a déjà écrit un article pour en célébrer les quatre-vingts premières pages, sur le thème : Attention, chef-d’œuvre. L’envoi du tapuscrit à son éditeur argentin, à Buenos Aires, fait aussi partie de la légende. Avec sa femme, l’écrivain se rend à la poste. Le colis coûte 82 pesos. Ils n’en ont que 50 et ne peuvent envoyer que la première moitié du texte. De retour chez eux, ils vendent le radiateur, le sèche-cheveux et le mixeur. Puis ils retournent envoyer l’autre moitié. Gabriel García Márquez a quarante ans et il va capter la gloire comme certains visages de star, la lumière. A partir de là, tout se confond. Les pierres «semblables aux œufs de dinosaures» qui se trouvaient dans la rivière du village apparaissent aussi bien dans le roman que plus tard dans ses mémoires, comme si lui-même devenait un monstre né dans un Jurassic Park : on ne saura jamais plus s’ils sont nés dans la fiction ou dans la réalité d’une vie."
Cent ans de solitude paraît ce même jour de Mai où sort l'album Sergent Peppers des Beatles comme nous le rappelle encore Lançon. Lorsque le manuscrit est achevé un jour vers 11h du matin, un chat bleu entre dans la maison. L'écrivain y voit un bon présage et l'avenir le confirme:
Cent ans de Solitude sera traduit en trente cinq langues et vendu à plus de trente millions d'exemplaires.

 

Si ce livre est celui qui l'a rendu célèbre, L'Amour aux Temps du Cholera publié en 1985, Chronique d'une mort annoncé et plus récemment en 2004 Mémoires de mes putains tristes nous donnent encore les exemples de ce style inimitable et de cet extraordinaire imaginaire qui, de livre en livre, impressionne, fascine,hallucine.

 

Génie baroque

Celui qu'Yves Harté dans Sud Ouest décrit comme "un esprit antique et précolombien, enfoui dans le sol comme un bacille disparu, qu'un changement de climat remet au jour," est encore ce "démon métissé de Galice, d'Espagne et d'Indien." Génie en effet d'une nouvelle écriture qui comme la décrit Philippe Lançon se déploie dans "ces phrases qui paraissent écrites pour, à peine ouvertes, se refermer aussi lentement que possible sur elles-mêmes, comme un village ou un peuple sur sa destinée tropicale, sensuelle et morbide, résument les récits et les atmosphères que leurs méandres enluminent. Elles leur donnent cette tonalité mi-infernale, mi-enchantée, cette vapeur fiévreuse qui enveloppa tant de lecteurs. Elle les enveloppa à peu près autant que le «Dans un village de la Manche dont je ne veux pas me rappeler le nom», de Cervantés, ou le «Longtemps, je me suis couché de bonne heure». de Proust." Son oeuvre toute entière s'apparente à l'épopée picaresque. Lançon le souligne très bien lorsqu'il dit: plus loin "Plus d’une qualité apparente l’œuvre de García Márquez à l’épopée picaresque d’un monde plein de héros, de trivialités et d’hallucinations qui s’éteint : un bateau perché dans les arbres, des milliers de poules noyées dans le marais, sont l’équivalent des visions de Don Quichotte - comme si, transporté dans un village du nord de la Colombie, le chevalier à la Triste Figure trouvait enfin un monde où ce qu’il imagine correspond à ce qu’il voit." C'est ce génie du baroque réaliste que les jurés du nObel ont choisi d'honorer en 1982.

 

Le réalisme magique et ses disciples

Garcia Marquez a incarné l'âme du réalisme magique qui a donné ses lettres de noblesse à la littérature latino américaine. Si le réalisme magique peut se décrire comme la peinture d'une réalité transfigurée par la magie, cette notion pose toujours de multiples questions de définition. A la croisée du fantastique et du merveilleux, ce courant interroge nos rapports au réel et à l'imaginaire.

"La réalité décrite par Garcia Marquez a une saveur magique pour beaucoup, mais pour nous, elle a l'apparence du quotidien" souligne Emilio Lezana. Le quotidien de l'Amérique latine est nourri de légendes, d'histoires, de superstitions. C'est dans ce contexte que s'envisage l'oeuvre de Garcia Marquez."Cet homme qui a vu le jour dans les tropiques colombiennes et qui fit du Mexique sa maison aura parlé toute sa vie de l'Amérique latine comme d'une utopie, d'un rêve, d'une espérance." L'oeuvre de Garcia Marquez est imprégnée de son pays et de son enfance, nourrie des mémoires ancestrales.
Le réalisme magique est et sera le fil conducteur de toute une génération d'auteurs qui ont puisé comme lui le sel de leur oeuvre dans un imaginaire foisonnant l'enfance et leur terre natale. Si Garcia Marquez a permis à travers son oeuvre de donner des ailes à la littérature latino américaine, il est également devenu un modèle pour de nombreux auteurs non seulement sur le continent américain mais dans le monde entier. Si Garcia Marquez a fortement influencé l'oeuvre d'Isabel Allende, Luis Sepulveda, Laura Restrepo, il a aussi profondément marqué Salman Rushdie, Toni Morrisson ou encore Joyce Carol Oates comme le souligne de manière très intéressante l'article de Nicolas Birns et Juan E.de Castro, deux chercheurs de Eugene Lang College.

Si la mort de Garcia Marquez nous laisse orphelin, elle nous montre aussi à quel point son oeuvre a ouvert d'immenses perspectives à la littérature. Là  est vraiment l'accomplissement du génie.

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