«La Danse du vilain» de Fiston Mwanza Mujila : une explosion d’énergie et de jeunesse

Il y a quelque chose de la candeur et de l’exubérance baroque de Verre Cassé d’Alain Mabanckoule second roman de Fiston Mwanza Mujila, écrivain au talent rare, également né en République Démocratique du Congo. La Danse du Vilain  (Métailié) est une explosion d’images, d’énergie et de jeunesse.

Fiston Mwanza Mujila©DR Editions Métailié Fiston Mwanza Mujila©DR Editions Métailié

L’imagination et la fantaisie ne sont pas mortes. Pas lettre morte. Elles sommeillaient entre les pages de ce beau livre un peu fou, foutraque, du romancier d’origine congolaise Fiston Mwanza Mujila, qui vit aujourd’hui en Autriche. Il suffit donc d’ouvrir sa Danse du Vilain pour voir les images, l’énergie et la jeunesse fuser en tous sens.

La candeur et l’inventivité de l’enfance

Sa prose explose à la figure du lecteur. Fiston Mawanza Mujila, conteur d’exception, dynamite la langue avec une verve et une joie de vivre communicatives. La feinte maladresse de ces qualificatifs semés là où cela lui chante reflète la candeur et l’inventivité de l’enfance. Fort à propos. Par ces délicieuses impropriétés, il se réapproprie la langue avec une poésie rare et torpille la corruption rampante avec une art de la subversion qui n’est pas sans rappeler Rabelais. « A-t-on réellement besoin de démocratie au Zaïre ? C’est précoce… ».

Impossible de ne pas songer à l’énergie et à la poésie qui animaient Verre Cassé, le premier roman à succès d’Alain Mabanckou, autre auteur d’origine congolaise. Le « Mambo de la fête » ressemble comme deux gouttes d’eau au bistrot si savamment croqué à l’époque « Verre Cassé ». Lieu de perdition et de rédemption où les égarés de tous poils se retrouvaient pour faire assaut de verve désenchantée, trinquer à leur misère bien partagée. se serrer un peu les uns contre les autres pour y échapper quelques heures et se tenir chaud.

Au « Mambo de la fête », un cynisme bien partagé

L’insouciance, la légèreté sont bien réelles également au « Mambo de la fête ». Mais la danse totem de cette boîte endiablée reflète d’abord cynisme bien partagé non loin des mines de diamants angolaises. « (…) la guerre étant la période la plus généreuse pour faire des affaires, c’est quitte ou double, soit vous vous gavez, soit vous y laissez et votre fric et votre peau (…) face à l’argent, on a toujours des idées et de l’ambition qui outrepassent la valeur de la monnaie ».

Fiston Mwanza Mujila a du talent. Son humour noir est savoureux. Réjouissant. Le jeune auteur avait déjà fait la preuve de sa verve et de son originalité avec un premier roman remarqué, Tram 83. Son goût du désordre baroque et sa poésie ravageuse n’ont rien perdu de leur intensité.

La rue, lieu de tous les imaginaires

Le décor, pourtant, n’est pas riant. Mais pour cette bande d’enfants qui vit à la rue, elle est le lieu ouvert à tous les imaginaires « La rue nous appartenait. Elle était notre escarcelle. Elle était notre propriété privée, notre chose, notre marchandise… Nous la remplissions de nos rêves : des rêves décarcassés, des rêves privés de mazout, des rêves sans tête ni épine dorsale. La nuit, l’alcool nous donnaient des ailes, nous transportaient au-delà des fleuves et des mers et nous atterrissions par le plus grand hasard dans des mégapoles inconnues : le Caire, Kinshasa, New York… (…) heureux comme dix ».

Un brillant vagabondage poétique

Fatalité ? Loin de là ! Une liberté, plutôt, qui passe par les mots, les rêves, l’amitié et les règlements de compte, la bagarre, l’alcool et les psychotropes. Le goût du grabuge, de la bravade et du défi. Il faut dire que l’envers du décor est plus supportable avec la colle et l’alcool. « Rien ne peut compenser la liberté. Ni la mangeaille, ni l’argent de poche, ni la télévision… Dehors, j’étais mon propre père, ma propre mère, mon propre dieu, mon propre ancêtre, mon propre président du Zaïre. Le monde était plus vaste et plus juteux qu’une triste vie à grimper dans le lit à 20 heures, sarcler le jardin, s’user à des devoirs scolaires (…) Nous avions l’expérience de la rue : de la colle, des rivalités avec les bandes adverses, de la pluie, des démêlées avec les militaires … alors que les gens tenaient toujours à nous affubler de ce qualificatif pompeux et sinistre d’enfant. Dehors, il y avait toujours de l’ambiance, des courses-poursuites avec les inspecteurs des finances [une bande rivale], la folie, la Danse du Vilain et puis la splendeur du Mambo de la fête ».

Un roman plein de gouaille et de panache

Ces minots sont dépourvus de tout. Mais la ville est leur domaine réservé. Et s’arment de la « jactance », du panache et de l’art savoureux de l’insulte chantournée pour faire un gigantesque pied-de-nez aux douleurs et aux dangers de la rue. Ils ont l’orgueil et la noblesse baroques, d’une conception toute personnelle. Princes de la sape dans l’âme. « (…) on rangeait nos haillons sur nos corps avec élégance », voilà leur petit credo forgé à la dure. Ainsi Ngungi, qui porte une fourrue et deux pantalons l’un sur l’autre « avait alors l’allure d’une astronaute marchant sur la lune malgré des efforts herculéens pour afficher une allure altière ».

Sur ce bout de trottoir devant la Poste à l’architecture néo-stalinienne, on « emberlificot[e] » joyeusement les évènements pour broder avec le fil décousu de ses « récits de vie ». Leurs disputes et les affections prennent vite une dimension épique. Comme les (més)aventures de tous les personnages de Fiston Mwanza Mujila. Hauts en couleurs.

Une galerie de personnages hauts en couleur

Tel ce ponte des renseignements hors d’âge, M. Guillaume, qui recrute sur les trottoirs, l’émanation même du bitume, n’est pas des moindres. Lui non plus, ne manque ni de ruse ni de ressources pour tirer son épingle du jeu dans le sac de crabes à ciel ouvert qu’est la RDC. « Moi, personnellement, j’ai mes principes et mes propres fantasmes. Par habitude, j’aime laisser moisir les situations. Je préfère que le cerveau vaque à ses occupations, au mieux, montre ses biceps…Des suspects du régime, il lâche : « (…) On secoue ses collaborateurs, ses enfants, sa femme… Et si c’est quelqu’un de sérieux, il abdique dans ses malversations et le pays est libéré de ses microbes ».

Avant que les enfants-soldats ne débarquent au milieu de tout ce beau monde. « Ces gamins étaient en train d’éjecter une dictature vieille de trente-deux ans alors que nous autres, peinards, passions la journée à fumer la colle et à soudoyer les passants. Les rebelles en bas âge, affectueusement surnommés « kadago » ou « petit bout de chou » étaient de ma génération, certains plus jeunes encore ».

« Elle avait connu dans sa vie tant d’hivers indociles, de bourrasques (…) d’été bâclés ».

La Madone des mines de Cafunfu n’est pas un personnage moins remuant. Entourée de ses prophéties, de ses inventions, elle se drape dans sa propre mythologie des bas-fonds. Elle qui vit depuis des siècles, et se charge de remettre les pauvres erres qui hantent la mine dans le droit filon. « [Tshiamuena] avait connu dans sa vie tant d’hivers indociles, de bourrasques, de séismes atermoyants, d’étés bâclés, qu’elle ne pouvait pas baisser la culotte face à n’importe quel évènement ». D’autres préfèrent encore s’en remettre au « charismatique Singa Boumbou (…) pieds nus. Il arborait un costume trois-pièces mais le portait à l’envers ». Tout un petit monde stylé qui se retrouve pour tanguer au Mambo de la fête pour célébrer, comme ailleurs, sa rage de vivre.

En République Démocratique du Congo on n’a pas de diamants mais on a l’art de dynamiter la dure réalités avec des mots qui brillent dans le noir.

>La Danse du Vilain, de Fiston Mwanza Mujila. 264 pages, 17 euros, Métailié.

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