«Vers Calais, en Temps ordinaire»

James Meek : l'amour courtois, la peste et la guerre de Cent ans

Le sixième roman de l’Écossais James Meek, Vers Calais, en Temps ordinaire (éditions Métailié) évoque l’amour courtois et le viol sur fond de guerre de Cent Ans et d’épidémie de Peste. Un récit habilement mené, des personnages attachants portent une réflexion de fond sur le désir et les sentiments, la violence et la possession.

Portrait de James Meek par Philippe Matas- Editions Métailié Portrait de James Meek par Philippe Matas- Editions Métailié

1348. La Guerre de Cent Ans qui opposa la France et l’Angleterre a débuté depuis une dizaine d’années seulement. Est-ce bien le moment de parler d’amour ? Le romancier et novelliste écossais connu en France pour son Acte d’amour paru en 2007, joue le contraste entre Éros et Thanotos. Il choisit également une situation extrême et doublement menaçante de guerre et d’épidémie pour sous-tendre une réflexion nuancée sur l’amour, le désir et la possession.

« (…) l’amour est en effet la force qui agit à distance sur un homme, une force à laquelle celui-ci ne peut résister, faute d’une contre-force à lui opposer. Un homme amoureux fait l’expérience d’une sévère limitation de sa liberté, causée par les actions d’autrui. Une chose similaire se produit lors d’un combat physique, entre deux gladiateurs, par exemple ; mais dans ce cas, chaque combattant a le pouvoir de recouvrer directement sa liberté atténuée, par la percussion de ses armes sur l’armure de l’autre ».

 

Une fable sur l’amour et les mille ruses de la séduction

Posséder l’autre, par le charme et les mille ruses, ascendant mensonges, de la séduction, ou par la force, la passion et le désir sont une souffrance subie, ou infligée à autrui. Il y a tout d’abord quelque chose de proustien dans la vision de l’amour qui porte Vers Calais, en Temps ordinaire. L’amour est une pathologie, douleur dont il faut se guérir. Les personnages de ce récit habilement mené voient ainsi leur désir en proie à mille obstacles et contrariétés qui pimentent l’intrigue.

Il y a aussi de l’espoir dans ces deux histoires d’amour parallèles qui s’entrecroisent entre le monastère de Malmesbury et le Gloucestershire, sur la route de Calais, alors possession anglaise. Une vision de l’amour en forme de salut que nourrit la vision chrétienne de la vie. À la fois tragique et eschatologique.

« (…) avant les Vêpres, et la nuit, je rejoins la nef et erre parmi les pèlerins pressés contre le pavé, psalmodiant leurs supplications misérables tandis qu’ils serpentent en direction du sanctuaire. Je vibre aux chants de la chorale. Il émane du chœur un nimbus d’encens, qui apaise la flagrante ardeur des cierges , tandis que les piliers immenses taillés dans la pierre pâle du cru simulent une forêt céleste ».

Les deux couples dont James Meek suit le périple opposent deux mondes. Serfs et chevaliers pénètrent soudain dans l’intimité les uns des autres à la faveur du danger. Et d’une joute théâtrale un jour de tournoi. Hétérosexualité et homosexualité se catapultent. L’amour fait fi des genres. Et James Meek rappelle avec malice que ces subtilités ne datent pas d’hier.

Une épopée guerrière et sentimentale

Cette épopée guerrière et sentimentale s’inspire du Roman de la Rose, monument de l’amour courtois, que l’héroïne aristocrate, Bernardine, dite Berna, agite régulièrement sous le nez de son amant volage, Laurence Hacket. Berna s’est lancée à corps perdu dans un voyage vers la liberté et l’Amour qui risque de la laisser fort déçue.

Une Bovary du Moyen-Âge

« Je m’entretins avec un gentilhomme dans le jardin de mon père, en plein Gloucestershire, au sujet de cette romance, répliqua Berda. Ce gentilhomme n’avait de patience pour aucune rose, si bien qu’il cueillit une marguerite sur un tas d’immondices et passa son chemin (…) Si celui qui prêta serment d’être mon grand et unique amour se révèle être un traître, je préfère qu’il en éprouve du regret, et non pas moi. »

Le chevalier ne cherche-t-il rien de plus qu’à remplir la case mariage ? Tout comme le prétendant suranné que le père de Berna veut lui imposer. Comme toujours, les femmes sont-elles les seules à croire à ces beaux romans ? C’est ce goût du songe qui a perdu Emma. La petite-bourgeoise fascinée par l’aristocratie d’Empire. Mais Berna semble retrouver la raison plus rapidement. Consciente qu’elle est de son rang et que les égards qui lui sont dus obéissent à un ordre de droit divin.

Le plaisir théâtral du travestissement et des rebondissements

Avec cette fable très théâtrale sur les jeux de l’amour, James Meek lorgne également du côté des comédies shakespeariennes. Ce roman entraînant a l’allant et le sens espiègle de la surprise. Il emprunte au monde des estrades et des tréteaux le plaisir du travestissement et des rebondissements en chaîne.

Autre temps autre mœurs, tel est le point de vue prudent qu’adopte le roman écossais sur ses couples de personnages. Car il y a aussi Cess (Cécile) et le dit « Douceur » archetier et violeur de son état. Là, l’histoire est différente. On ne s’embarrasse pas de galanterie en temps de guerre. Encore moins chez les soldats, fussent-ils archetiers du roi.

« Haut-Cornet brisait des crânes, écrasait son genou contre des testicules et crachait dans les yeux du prêtre . Beau-Parleur et Mad se battaient dos à dos, Douceur et Jour-Saint écrabouillaient des os à chaque coup de gourdin sur les flancs des gens de Chippenham et Will se dressait devant Thomas, recroquevillé au ras du sol, la tête entre ses mains ». Les souvenirs de la Bataille de Crécy sont plus glorieuses. Côté anglais.

Pour ce qui est de la guerre, James Meek sait de quoi il parle, lui qui en a couvert plusieurs en tant que reporter, dont l’Irak et la Tchétchénie. Il a aussi vécu en Russie et en Ukraine.

La figure d’un procureur chargé de jouer les confesseurs en cas d’urgence sert de prétexte à une réflexion des archetiers sur leurs actes. Nul anachronisme ici, mais au contraire une réflexion nourrie sur les circonstances, et les conséquences, d’un acte cruel. Et la grande question du pardon. Évidente pour un homme d’Église. Plus complexe, mais non moins essentielle, à titre individuel.

Un monde médiéval entre violence et galanterie

Ce mélange des genres, de tendresse et guerre, n’est pas sans rappeler les romans historico-burlesques de Jean Teulé, fan de Villon. Entre poésie et violence sans limite.

>James Meek, Vers Calais, en Temps ordinaire, traduit de l’anglais (Ecosse) par David Fauquemberg. Métailié, 459 pages, 23 euros. >> Acheter le livre en cliquant sur ce lien

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