L'invité

Hervé Breuil

Au coeur du quartier historique de Nancy, à quelques pas de la Place Stanislas, le Petit Théâtre est une promesse faite à ceux qui recherchent le contact avec l'art et l'émotion. Entretien avec Hervé Breuil, directeur artistique d'un théâtre atypique, audacieux et habité par l'indépendance d'esprit. Au programme de cette fin d'année: Inconnu à cette adresse, de Kathrine Kressman Taylor, suivi d'un spectacle-hommage à Brassens. La promesse est tenue, le public ravi.

Viabooks: Pourquoi avez-vous choisi de représenter Inconnu à cette adresse, de Kathrine Kressman Taylor?

 

Hervé Breuil: Pour beaucoup de raisons: j’aime bien que les spectacles du Petit Théâtre soient magiques, forts, et leur conception même doit être nécessaire. Il fallait que j’ai les acteurs, qu’ils soient libres en même temps, que la chanteuse soit disponible, que  tout le monde soit réunis en même temps. J’avais donc demandé les droits pour deux ans, afin de disposer d’une certaine latitude de travail. L’an dernier, ma priorité était Chopin et Georges Sand, parce que j’avais déjà envie de faire une représentation musicale et théâtrale, et puis c’était l’anniversaire de Chopin, je voulais la pièce en période estivale, pour faire vivre ce théâtre en juillet, pendant les dates d’Avignon. Je me suis rendu compte, comme tout le monde, que les élections présidentielles étaient toutes proches, droite, gauche, extrême-droite, extrême-gauche, tout ça a pignon sur rue dans les médias avant les présidentielles, et je me suis dit que ça tombait à point nommé, avec la montée de tout les extrémismes en Europe, et ce qui s’est passé à Oslo.

 

Deux ans, c’est nécessaire pour la préparation de la pièce ?

 

Il y a de ça, mais il fallait que les acteurs soient libres aussi. Quand je mets en scène, je dois d’abord trouver la bonne distribution. Et quand j’ai la distribution, je peux commencer à voir le projet crédible, parce que je sais que les textes, les dialogues seront bien servis par des acteurs et des actrices à leur place. Pour Inconnu à cette adresse, la distribution est assez complexe. Pour Martin, j’avais dans l’idée de faire jouer Claude [Lecarme], que j’avais rencontré pour La Jeune Fille et la Mort : il a un côté un peu victime, et le personnage ne doit pas être un salaud complet. Il est assez faible, un peu lâche, un reflet d’une part de nous-mêmes. Je l’ai donc casté assez vite. Et Jean-Curt [Keller], que je connais depuis quelques temps aussi, je lui en avais parlé il y a deux ans. En 2011, présenter une pièce écrite dans les années 30, censée se dérouler en 32-33 et qui parle de la montée du nazisme, c’est loin dans le temps. Donc il fallait que je parvienne à trouver des acteurs complémentaires, qui aient les caractères des personnages et leur physique. Jean-Curt fait très américain, ça colle bien. Pour la dimension historique, il faut une certaine crédibilité : j’ai donc choisi des acteurs plus âgés pour interpréter des personnages décrits plus jeunes dans Inconnu à cette adresse, dans lequel ils ont une quarantaine d’années. Avec la société telle qu’elle est aujourd’hui, l’âge des acteurs convient parfaitement à leur situation dans la pièce, ce qui l’actualise. Avec les mots « Hitler » et « montée du nazisme » dans une pièce, il faut y croire. Des comédiens de 35, 40 ans, on n’y croira pas : la scène rajeunit toujours. Au début de la pièce, j’ai tenu à la chanson Lili Marlène, en guise de prologue. J’aime créer une sorte d’écrin – prologue et épilogue – qui encadre la pièce. La chanson a été écrite en 38, composition-phare d’une époque. Pour théâtraliser le roman épistolaire, j’ai fait l’impasse sur toutes les dates, sauf la première et lorsque Max commence à se venger de son ami. Pas besoin d’alourdir la pièce avec toutes les dates et toutes les adresses. Les mises en scène d’Inconnu à cette adresse souffrent souvent de ces dates et adresses, récitées à chaque fois. La progression de la pièce en souffre, avec ces coupures brutales. Pour ma mise en scène, je voulais une progression fluide et une fin puissante. Le tableau au fond de la scène participe à ce point d’orgue, lorsqu’il est peu à peu couvert par les tentures et le drapeau. La composition sur la scène est renforcée par une citation de Voltaire en voix-off, pour élargir le propos. Ces éléments de mise en scène que j’ajoute me permettent de prendre de la hauteur, d’actualiser et d’aborder d’une façon autre la pièce. Un peu comme si la caméra passait du gros plan à un plan large, voire à un panoramique.

 

Vous évoquez souvent le cinéma…

 

Tous les spectacles que je monte ici, et c’est la raison pour laquelle je ne veux mettre en scène qu’ici, je les veux à mi-chemin entre le théâtre et le cinéma. De par les ambiances sonores, les lumières, avec peu de choses, mais j’aime cette lecture d’image cinématographique. J’essaie ainsi d’utiliser des ellipses dans mes mises en scène. Pour Inconnu, de lettres en lettres, ce sont des ellipses, auxquelles notre regard de spectateur s’est désormais habitué. Pour Huis Clos, j’ai beaucoup utilisé ce procédé, absent de la pièce originale. Cela me permet de réorganiser le temps.

 

La mise en scène vous permet donc de sortir de la durée formelle de la pièce ?

 

C’est la finalité de la mise en scène. Mettre en espace, en volumes, « en vrai », en émotions, d’un texte étranger à moi-même. Avec les acteurs, nous mettons en forme, et le spectateur s’assoit et assimile le tout. Il faut que le spectateur ait une part de chemin à faire, équilibrée avec celle des acteurs. Il ne faut pas que les acteurs en fassent, je déteste le jeu théâtral : (il se redresse et crie dans la pièce) « Ah ! Oh ! Bonjour ! Ca va ? Ah, oui oui ! ». C’est surjoué, ça ne va pas. En tout cas, ça ne va pas avec les pièces que j’ai mises en scène. Dans une comédie, pourquoi pas, avec la distance supplémentaire, et encore. Je ne choisis pas les pièces au hasard, mais celles qui exigent une performance de l’acteur et du metteur en scène.

 

Huis Clos, La Jeune Fille et la Mort, vous ne choisissez que des pièces en huis clos pour profiter de la scène du Petit Théâtre ?

 

Oui, toujours trois ou quatre personnages. Pour Le Journal d’un Fou, l’acteur est seul sur scène. Comme disait Cocteau, il faut que le spectateur soit le quatrième mur. L’instant théâtral peut exister si les spectateurs sont présents. Nous avons fait un mois de filage (répétitions), et sans les spectateurs, ce n’est pas pareil. Eux, en face, donnent une masse d’énergie, de regards. L’attention, la tension, est très forte. J’ai dans l’idée de monter Quatre pièces en un acte de Sacha Guitry, pour m’essayer à une autre forme de tension théâtrale, plus caustique.

 

Avec une mise en scène qui repose beaucoup sur la voix, Sacha Guitry est l’auteur idéal…

 

Je lis des pièces contemporaines, régulièrement, j’en reçois, mais je préfère mettre en scène les œuvres modernes. Pas encore classiques, mais toujours contemporaines. J’ai la sensation que les auteurs contemporains ont du mal à s’affranchir des ainés : Sartre, Camus… Du coup, je préfère mettre en scène Huis Clos, plutôt qu’un ersatz de Huis Clos. J’ai un grand respect de tous les auteurs. Le metteur en scène est à leur service : je les imagine toujours dans la salle, me disant à la fin « Putain, t’as vraiment bien fait le truc. » Mettre ma patte en déformant la pièce, je trouve cela prétentieux, une sorte d’avant-garde d’avant-hier. J’ai connu cette manie théâtrale juste après 68, et elle s’est vite essoufflée pour moi. Il n’y a pas de secret : la bonne actualisation fonctionne toujours.

 

Sans toucher aux textes, d’après vous. 

 

Non, une seule actualisation. Pas de pseudo-moderne. Huis Clos dans un garage, avec une voiture, un monte-charge et un mécano, ça ne m’intéresse pas. Je préfère conserver l’Enfer de Sartre, et jouer ensuite sur les lumières, les sons… jusqu’à être étonné par ce que je trouve. Ainsi, le public pourra l’être. 

 

Vous voulez conserver des contraintes, finalement.

 

C’est toute la pièce, il faut lui faire dire ce qu’elle dit, et pas autre chose.

 

La proximité avec le public, c’est l’aiguillon qui pousse à la qualité ?

 

Télévision, cinéma, la lecture d’images, la sonorisation, tout a changé, y compris les exigences et les habitudes. Au théâtre, certaines pièces intimistes jouées dans des théâtres bien trop grands voient leurs acteurs équipées d’un micro pour faciliter le contact avec le public. Au Petit Théâtre, entre 35 et 40 places, c’est parfait pour ce type de pièces. Ce n’est pas de l’élitisme, juste une volonté de qualité. Je suis dans mon petit restaurant, je laisse sans problème les 300 places du Mac Donald aux autres. Petit, rapproché, où les gens peuvent rencontrer les acteurs après la pièce, c’est ça le Petit Théâtre. Pour moi, c’est une approche naturelle, où le spectacle est au centre. Je n’arrive pas à me faire à une visée mercantile du théâtre. Ici, nous n’avons pas le choix : il faut que les spectacles nourrissent les spectateurs, et les laissent dans une position en quelque sorte inconfortable, avec de nombreuses questions.

 

Intimement Barbara, Chopin, Brassens bientôt… On note une certaine attirance pour la musique.

 

Oui, j’ai beaucoup travaillé en studio, notamment pour des pubs radios d’une durée de 20 à 30 secondes, ce qui m’a appris la précision sonore. Je ne garde que l’essentiel, le plus puissant. J’ai amené de la musique ici pour la première fois avec Jenny Alpert, qui est passée pendant sa tournée. Ca s’est bien passé, et les musiciens ont commencé à s’intéresser au Petit Théâtre. Je reste toujours présent, en affinant le concert proposé au public. Barbara a été le premier essai avec une chanteuse connue et décédée. En discutant avec un musicien, il m’a confié sa fascination pour Brassens, revenant souvent au théâtre. J’ai donc profité de l’anniversaire du décès de Brassens, entre le 20 et le 30 octobre. Ma collaboration artistique, et non ma mise en scène, consiste ici à ajouter une légère progression dans le concert. J’ai encadré, comme toujours, avec quelques gestes théâtraux. Je ne veux pas d’un moment anecdotique où l’acteur, le chanteur, arriverait sur scène simplement. Chanteur et guitare, rejoint contrebassiste et enfin violon, pour maintenir l’attention du public. Une dynamique que j’injecte dans le concert permet de fournir un petit plus, qui pourra guider légèrement le public. 

 

Malgré le lieu permanent, vous ne travaillez pas avec une troupe.

 

Non, je ne veux pas. Je n’aime pas le côté troupe, et préfère faire appel parfois aux mêmes acteurs, mais seulement lorsqu’un rôle me semble adapté à leur jeu, à leur physique. Pour les gens qui viennent voir tous les spectacles (90 dates par an), il faut que les têtes changent. La troupe, c’est avec les potes, c’est une autre approche, louable, mais qui n’est pas la mienne. Le mot « compagnie » m’énerve, il est devenu très connoté amateur, mais est pourtant utilisé partout. Jean Vilar, un des premiers à travailler avec des acteurs réguliers, n’utilisait pas le terme « compagnie ». Théâtre National Populaire, point. Je préfère me confronter à des jeux d’acteurs différents, des idées nouvelles, des personnalités qui me surprennent et me résistent un peu. Mon doute est le spectacle d’après. Je préfère faire moins de choses, maintenant que le Petit Théâtre est bien identifié, mais faire en sorte que les gens m’attendent au tournant. Barbara, Brassens, Inconnu à cette adresse, en plus du spectacle de Noël pour le jeune public, le programme intéresse parce qu’il est audacieux. Et la preuve en est que le public adulte a suivi les enfants. 

 

Pouvez-vous nous parler de Raciste, moi ?!...

 

Je tiens à la ponctuation, qui expose les trois réactions possibles à la dénomination « raciste ». Il s’agit d’une lecture de textes de presse, un patchwork composite de différents journaux : Le Figaro, Le Monde, L’Humanité… Cet ensemble est suivi de la pièce de Jean-Claude Grumbert, Rixe. Il y a d’ailleurs dans celle-ci un changement de décor à vue : je descends de ma régie pour positionner les éléments du décor. La pièce part directement du 11 septembre, et j’ai tenu à inclure un texte en voix-off au début de celle-ci, tirée d’une autre pièce, Après le 11 septembre d’Israël Horowitz. La pièce de Grumbert, elle, a été rédigée en 1969. En tant que metteur en scène, je ne suis que celui qui agence, comme d’autres sont le stylo qui transcrit la pensée.

En savoir plus

Le Petit Théâtre, dans la ville...

11 Grande Rue

54000 Nancy

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