Ernst Beyeler, des livres à l'art

Le 25 Février dernier est mort le grand marchand d’art Ernst Beyeler. Né à Bâle, il avait fondé la Fondation qui porte son nom. Avec sa femme Hildy, ils avaient rassemblé dans ce bel endroit conçu par l’architecte Renzo Piano de vrais trésors de l’art moderne. Leur collection comprend aujourd’hui environ deux cents tableaux et sculptures.

A la fin des années 50, Beyeler fait l’acquisition de la collection Thompson de Pittsburg : Parmi eux , une centaine de Klee, quatre vingt Giacometti, des Cézanne et des Monet . En 1966, Beyeler rend visite à Picasso et a la chance de pouvoir choisir librement vingt six œuvres du fonds de l’artiste. En 1972, il achète à Nina Kandinsky une centaine de toiles, d’aquarelles et de dessins. En 1987, il est reçu docteur honoris causa en philosophie à l’université de Bâle. L’esthète, féru de culture a eu le nez fin et su surfer sur la vague de l’envolée du marché de l’art dans les années 80. Sa technique disait-il fièrement : « Vendre un tableau en racheter deux. L’argent ne m’a jamais servi qu’à développer ma collection et à monter des expositions. »

Des livres aux tableaux

Protégées par des murs de porphyre rouge longeant la route et ouvert sur l’extérieur, les œuvres de la Fondation dialoguent et se répondent : Elle incarne véritablement l’œuvre d’une vie vouée à la passion de l’art. La carrière de Beyeler est d’une certaine manière atypique car il débute comme libraire en 1944 : une fois de plus le livre est un lieu de rencontres de multiples disciplines. Beyeler rachète cette librairie de Bâle avec sa femme et la transforme en galerie. Du libraire au galeriste, il n’y a qu’un pas.

Initiateur d’expositions à travers le monde, il était toujours à l’affût : Depuis plus d'an et demi, le musée d’Orsay travaillait avec la Fondation Beyeler sur le projet de l'exposition « Paul Klee (1879-1940) La collection Beyeler » qui ouvrira ses portes au musée de l'Orangerie le 13 avril prochain.

Talent, audace et générosité, tels étaient les trois grandes qualités de cet homme remarquable qui a su donner à Bâle sa réputation de lieu incontournable de la scène artistique. En 2007, car disait-il" il faut savoir partir", il donne les commandes du navire de la fondation à Samuel Keller, faisant de lui un héritier spirituel.

L'amour du beau

Enfin, Beyeler était aussi et surtout bâlois et le créateur de belles histoires comme celle-c. Le gouvernement bâlois accorde un crédit de six millions de francs suisses pour l’achat de deux tableaux de Picasso : Deux Frères 1905 et L’Arlequin assis 1923. 2,4 millions manquent et vont être founis par des particuliers. Une campagne mobilise la population où Beyeler joue un rôle actif.  A renfort de diverses manifestations et d’actions publiques, les Bâlois sauvent les deux Picasso pour leur musée.

En 1971, il fait partie des fondateurs de la foire de l’art bâloise renommée par la suite Art Basel dont la réputation est internationale et un moment très attendu pour le marché de l’art chaque année. Laurent Wolf dans un bel hommage rendu à l’homme notait : « L’œil de Beyeler , c’était la capacité de discerner avec certitude parmi les œuvres d’un artiste celles qui entraient dans sa vision pacifiée de l’art. »

Un livre en confidences

En 2003, ce fut déjà un succès. Aujourd’hui les entretiens de Beyeler avec Mory parus chez Gallimard vont tenir lieu de référence. A travers ces pages d’une grande justesse, on découvre tour à tour le personnage du marchand, du collectionneur et de l’homme de goût. De belles lignes sur les rapports entre architecture et œuvre d’art permettant à Renzo Piano d’avoir ces mots : « Je peux prétendre désormais que je suis devenu un collectionneur d’art et Beyeler un architecte » Et Beyeler de répondre : ‘Nous sommes parvenus à une vraie communion de pensée ». Communion, à laquelle plus que jamais il participe désormais, en nous léguant la trace de son amour universel pour le beau sous toutes ses formes. P.C.