Psychologie et thriller

«Le résident» d' Elsa Vasseur : l'écriture en plein cœur

Dans son deuxième roman, Le résident (Robert Laffont), Elsa Vasseur explore les mécanismes secrets de l'écriture. La sienne est d'une élégante poésie, tout aussi intimiste qu'efficace dans la construction de ce roman psychologique à l'orée du thriller.

Portrait d'Elsa Vasseur ©Astrid Jamois Portrait d'Elsa Vasseur ©Astrid Jamois

"Pourquoi écrivez-vous?" Voici la question en apparence anodine d'un journaliste à un célèbre écrivain, et qui pourtant sous-tend toute la colonne vértébrale de ce roman, dont l'écriture fluide coule en cascade tout au long du récit.

Dans les coulisses de l'écriture

Sur les conseils de sa femme et de son éditeur, Jacques Cascade, écrivain parisien en mal d'inspiration et de bonheur conjugal, s'installe pour six semaines dans la résidence d'écrivains des White Falls, en pleine campagne new-yorkaise.  Là-bas, il découvre un nouveau mode de vie, fait de pages blanches persistantes, de la vie communautaire avec les autres résidents, en proie à leurs propres maux, de la rencontre intime de l'une d'entre eux en particulier, et malgré tout d'une certaine solitude, qui le renverra de façon insistante à des souvenirs d'enfance qu'il aurait voulu garder enfouis pour toujours…

La genèse d'un best-seller

Quel lecteur n'a jamais imaginé les secrets de fabrication d'un best-seller? La genèse de l'écriture de son livre préféré, ou encore les rituels de travail de son auteur favori? C'est un peu l'expérience que nous propose Le résident, qui s'avère une véritable immersion au coeur du processus d'écriture. Un processus entravé bien sûr, et parfois complètement à l'arrêt pour notre héros, un peu piteux entre ses rêves de succès quelque peu chimériques et son écran qui reste vide jour après jour. Qu'importe toutefois,  puisque l'on poursuit notre initiation croisée avec les autres résidents, qui ont chacun leurs propres raisons d'écrire.

Une plume remarquable et efficace

Ce qui pousse à s'intéresser un peu plus à celles de l'auteur. Car Elsa Vasseur est d'abord une plume : une plume qui sculpte avec minutie ses personnages, leur quotidien et leurs sentiments, qui dessine avec élégance des phrases longues et déliées, où se mêlent l'oeil de la cinéaste et la poésie de l'écrivain. Une richesse de vocabulaire et de langue habituellement dévolus à la littérature classique, mais qui servent ici un roman radicalement contemporain, tant par son sujet, un écrivain aux prises avec son couple, sa carrière, et son passé, que par les portraits des personnages, dépeints sans fard ni concession. L'auteur fouille avec finesse et précision les différents protagonistes, et tresse autour de l'intrigue centrale leurs histoires singulières, que ses mots perlés, alliés à une écriture scénariste bien maîtrisée, rendent particulièrement modernes.

Une plume caustique enfin, qui s'autorise quelques savoureuses mises en boîte, esquisses piquantes et satiriques d'une époque ; on retiendra le "froid impérialiste et sûr de son bon droit, un froid américain" qui saisit le héros à son arrivée sur le sol de l'Amérique trumpienne, ou la non moins acerbe description du fameux "carnaval littéraire" qui régit chaque rentrée de la vie intellectuelle française.

Univers confiné et mystérieux

Elsa Vasseur, c'est aussi un univers, et la très belle couverture reproduisant un tableau d'Edward Hopper donne le ton, vite relayée par l'écriture maîtrisée de l'auteur, qui sait où elle veut nous emmener : une atmosphère feutrée propice aux introspections, une vie en vase clos, des flash back dans le passé enfoui du héros... tous les ingrédients sont réunis pour que s'impose peu à peu le mystère. Le huis clos des résidents, et certains décors tout droit tirés d'un cluedo, on pense notamment à la bibliothèque dans laquelle on boit un digestif le soir en se laissant aller aux confidences, instaurent un climat évoquant parfois un roman d'Agatha Christie.

Thriller initiatique

Mais les cadavres ne sont pas forcément où l'on croit, et la romancière, interrogeant à la fois présent et passé, remonte le fil de l'histoire page après page, sans hésiter à brouiller les pistes en distillant d'étranges indices. Si la tension est palpable et grandit jusqu'à la chute finale,  l'intrigue prend surtout une véritable dimension initiatique, illustrant la difficulté à faire émerger les vieux traumatismes de l'enfance et leur impact sur le cours de nos vies. Reste alors l'aspect cathartique de l'écriture:"Pourquoi écrivez-vous?"

Un texte de très belle facture, à l'écriture maîtrisée et captivante, et dont l'atmosphère intimiste un rien confinée en fait une lecture tout à fait à l'ordre du jour.

Extraits

"En d'autres circonstances, Solen aurait recherché la conversation de Nancy. Celle-ci faisait partie des vraies gens auxquelles elle n'avait que trop rarement accès (...) Des individus porteurs d'histoires qu'elle scrutait et disséquait sans relâche pour en extraire l'essence indispensable à ses livres. Solen le savait, Nancy aurait fait un bien meilleur personnage de fiction qu'elle, pour la simple et bonne raison qu'une femme de ménage existe davantage qu'une femme écrivant sur les femmes de ménage."

"Puisque la vocation première de l'écriture était la création d'un nouveau langage intuitif et modulable, écrire en anglais lui permettrait de renouer avec les racines mêmes de l'écriture. Preuve de son génie bilingue, cet opus enflammerait tant son épouse que les lectrices anglophones, évidemment plus jolies et admiratives les unes que les autres (...) Euphorique, Jacques imagina les queues interminables et les bousculades au Salon du livre ; l'éloge du critique François Busnel qualifiant son opus de "nitroglycérine romanesque" ; et même l'humble aveu de Yolande Leclerc (la concierge de l'école de Camille, qui détestait Jacques) lui confessait avoir adoré son nouveau roman."

>Elsa Vasseur, Le résident, Editions Robert Laffont, 306 pages, 20 euros

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