Chronique de Sarah Sauquet

« Blanches » de Claire Vesin : un premier roman immersif qui se passe dans un hôpital de banlieue

Dans Blanches (La Manufacture de livres)Claire Vesin nous plonge au cœur d’un hôpital dans une banlieue ouvrière. Ce premier roman immersif, qui raconte comme rarement la complexité de l’âme humaine, a impressionné Sarah Sauquet. Selon elle, Claire Vesin est un talent qui ira loin.

Portrait de Claire Vesin © Pascal Ito pour La Manufacture de livres Portrait de Claire Vesin © Pascal Ito pour La Manufacture de livres
Qu’on y passe furtivement ou durablement, ou qu’on y travaille, l’hôpital est une arche de Noé dont on ressort rarement indemne. En tant que patients, il nous pousse à contracter des dettes invisibles envers les soignants et structures, envers nos proches qui ont porté, souffert et attendu, envers tous ceux à qui l’on impose une maladie, des contraintes et une vie que l’on n’a pas choisies. Le blanc de l’hôpital marque au fer rouge, et si j’étais devenue médecin, j’aurais voulu travailler avec acharnement pour vainement éponger ces dettes.

Au cœur d’un hôpital d’une banlieue ouvrière

« Blanches » de Claire Vesin, nous plonge au cœur d’un hôpital d’une banlieue ouvrière. Quelques kilomètres, une architecture que je ne devine que trop bien et un monde entier le séparent de Paris.
Au sein de cette arène, nous suivrons un mandarin désabusé qui vit ses dernières années au bloc, une infirmière qui n’a pas les épaules, une interne issue d’un milieu bourgeois qui porte sa croix, un médecin au SAMU enlisé dans sa médiocrité. Derrière le sentiment d’appartenance et le souci de bien faire son travail malgré le bateau qui prend l’eau, la culpabilité hante chacun. Quand un drame survient, chacun s’enfonce dans le rôle dont il tentait péniblement de s’extraire.

Un premier roman à la maîtrise et la maturité impressionnantes

D’une maîtrise et d’une maturité très impressionnantes, « Blanches » est un premier roman qui raconte comme rarement la complexité de l’âme humaine. Chacun de ses héros apparaît extrêmement fouillé, pétri de contradictions, et l’on y comprend très bien que les actions de « soigner » et de « faire le bien » ont des racines complexes et profondes, qui dépassent largement le cadre de la gentillesse ou de l’orgueil.
Être un soignant ne fait en rien de vous quelqu’un de bien, et Claire Vesin a la politesse de nous le rappeler. Tous les personnages que nous suivons sont entravés par des loyautés invisibles et situations qu’ils n’ont pas choisies, et s’ils soignent, c’est avant tout pour (ne pas) se soigner eux-mêmes.
En cela, je suis convaincue que le roman aidera beaucoup de malades à se défaire des fameuses dettes dont je parlais. En cela, ce roman est nécessaire, pour ne pas dire d’utilité publique.

En équilibre entre réel et romanesque

Si « Blanches » est si réussi, c’est qu’il parvient à être très romanesque et à nous tenir en haleine tout en mettant le romanesque à distance. Cet équilibre est difficile à atteindre, assez rare, et Claire Vesin y excelle, notamment à travers la peinture des corps, l’omniprésence du désir, l’obsession du sexe, à la fois partout et nulle part. On fait trop peu, mal l’amour, ou pas avec les bonnes personnes, à Villedeuil.
S’il n’est jamais cruel, « Blanches » est brutal dans son évocation des classes sociales et appuie là où ça fait mal pour très bien expliquer l’étanchéité des barrières, les amitiés sans avenir et la séduction qui n’atteindra jamais son ciel.
Dans le rôle de la bourgeoise parisienne incapable de couper les fils qui la rattachent au passé, Aimée m’a bouleversée. A toutes celles qui, comme moi, ont été des Aimée, je dédie cette chronique et je recommande ce formidable livre.
Une romancière est née. Elle s’appelle Claire Vesin.

A propos de Blanches de Claire Vesin : le mot de l'éditeur

Villedeuil, aux portes de Paris. Ses tours, ses habitants, et son hôpital. Jean-Claude y a passé toute sa carrière - jours comme nuits - au sein du service de chirurgie. Mélancolique et désormais solitaire, il reste passionné, par cette ville comme par son métier. Laetitia y est née et y travaille, infirmière trop tendre pour l’âpreté de son poste à l’accueil des urgences. Aimée, jeune femme brillante autant que perdue, débute l’internat et décide d’effectuer son premier stage à Villedeuil, mue par des loyautés invisibles. Fabrice, médecin au SAMU, sera bientôt père mais fuit sa vie personnelle. Lors de ces mois vécus ensemble, leurs destins vont s’entremêler. Au sein d’un hôpital qui se fissure de toute part, ils partageront joies et échecs, détresse et amour du métier. Malgré les difficultés, ils tiennent, jusqu’à ce qu’une nuit, cet équilibre soit remis en question, bouleversant leurs vies à jamais. Claire Vesin nous fait entendre la voix vibrante de celles et ceux qui font l’hôpital public et sont marqués par le combat ordinaire mené pour soigner dignement.

> Claire Vesin, Blanches, La Manufacture de livres, 304 pages, 18,90 euros >>Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

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Professeure de lettres et autrice, Sarah Sauquet a notamment publié Les 1000 livres qui donnent envie de lire (Glénat, 2022). Elle est aussi la co-créatrice des huit applications littéraires Un texte Un jour. Qu’il s’agisse d’enseigner, d’écrire, ou d’établir des ponts entre cultures classique, populaire et contemporaine, son travail tourne autour d’un objectif : celui de susciter l’envie de se cultiver. Son dernier livre : Petites chroniques de culture populaire chez Librisphaera.
 
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