«Nos secrets trop bien gardés»

Lara Prescott ou l'histoire vraie du Docteur Jivago

Roman historique, féministe ou d’espionnage, ou peut-être tout cela à la fois ? Lara Prescott livre avec Nos secrets trop bien gardés (Robert Laffont) un texte étoffé et remarquablement documenté, dont l’intrigue, en pleine guerre froide, retrace le combat de trois femmes de part et d’autre du Rideau de fer, avec en fond l'œuvre du grand poète russe Boris Pasternak et le destin paradoxal de son livre Le docteur Jivago. Dans ce récit choral, Lara Prescott mêle littérature, passion et quête de liberté.

Avez-vous vu le Docteur Jivago, film hollywoodien à succès de 1965, ou bien lu le roman de Boris Pasternak dont il est la fidèle adaptation? ? Ce livre fut utilisé lors de sa création par la CIA comme arme idéologique contre la Russie Soviétique. C’est la genèse de ce classique de la littérature russe et sa singulière diffusion que se propose de retracer Lara Prescott dans Nos secrets trop bien gardés.

Destins croisés de femmes

Moscou, 1949. Olga Ivinskaïa est arrêtée par les services secrets soviétiques et conduite au goulag, où elle passera quatre ans. Le gouvernement espère ainsi faire pression sur son amant Boris Pasternak,  grand écrivain russe à la mode, soupçonné de préparer la publication d’une œuvre jugée subversive par le régime stalinien : le célèbre « Docteur Jivago… » Dans le même temps, de l’autre côté de l’Atlantique, la CIA recrute Irina, jeune immigrée russe, pour une mission surprenante : diffuser clandestinement en URSS le roman interdit de Boris Pasternak, dont le manuscrit a finalement été publié en Italie. C’est Sally, espionne chevronnée qui maîtrise l’art du grimage et des missions top secrètes, qui va former Irina, jusqu’à ce que les sentiments s’en mêlent…

Amours, secrets et trahisons

Roman d’espionnage qui fait la part belle à l’Histoire, puisque Lara Prescott a nourri son œuvre de recherches historiques extrêmement bien documentées, utilisant, outre son excellente connaissance de l’œuvre de Pasternak, des dossiers de la CIA jusqu’alors classés confidentiels, Nos secrets trop bien gardés regorge aussi de passions contrariées et d’amours licencieuses, qui font écho à la romanesque histoire de Jivago, et qui seront mises à rude épreuve de chaque côté du Rideau de fer, se confrontant aux horreurs du goulag à l’Est et au rejet de la société à l’Ouest… Le récit de la genèse d’un grand classique de la littérature russe, en fait un bel hommage à l’écriture, au travail de création et à la littérature comme arme de contagion massive ayant le pouvoir de changer le monde.

Immersion dans l'Histoire

Plongeant en plein milieu de la dictature soviétique où l’on découvre la réalité quotidienne du régime stalinien, on s’immisce au cœur de la CIA, on suit à travers toute l’Europe les opérations secrètes menées pour contrer la censure, et derrière cette singulière opération littéraire, se devinent manœuvres et rivalités politiques en jeu... Lara Prescott se livre à un véritable travail de mémoire et raconte une époque dont on méconnaît les forces et les passions humaines qui se sont rencontrées et opposées à ce moment-clé de l’Histoire.

Un roman choral au féminin...

Grâce à une forme polyphonique qui donne la parole à des voix presque exclusivement féminines, Lara Prescott parvient à nous emmener sans à-coup d’un pays à l’autre, à la rencontre de trois femmes tour à tour tragiques ou amoureuses, prêtes à aller jusqu’au bout de leur combat, entremêlant leurs histoires qui se rejoignent en un seul roman, celui de Pasternak… 

...qui fait entendre la voix de la modernité

Au chant des trois héroïnes solistes répond comme un chœur, celui des "dactylos", ce groupe de femmes qui travaillent à la CIA, et dont on suit les petits tracas, les aspirations et les déceptions… Leurs interventions ponctuent l’histoire, précisant un fait ou un personnage, ou plantant simplement un décor qui nous rappelle l’air du temps. Véritables marqueurs sociaux de leur époque, elles révèlent l’esprit de la société. D’un féminisme affirmé, elles pointent le décalage d’une société patriarcale qui oublia un peu vite ses héroïnes d’hier ayant servi pendant la guerre. Comme un prélude à la modernité, elles marquent les premiers balbutiements du mouvement de libération des femmes.

Nos secrets trop bien gardés est une grande histoire, méconnue, qu’il fallait sans doute raconter pour rendre justice à ces femmes de l’ombre qui ont  œuvré et lutté par passion et par conviction pour la littérature, la liberté et leur pays. Et en creux, un hommage vibrant à l'oeuvre de Bors Pasternak.

Extrait

«Et puis, il y a eu Jivago.
Classée sous le nom de code AEDINOSAUR, c'est l'affaire, la mission qui a tout changé.
Le Docteur Jivago- un nom que plus d'une d'entre nous a d'abord eu du mal à retenir- avait été écrit par le plus grand auteur soviétique vivant, Boris Pasternak, et interdit de publication dans le bloc de l'Est en raison des critiques portées contre la révolution d'Octobre, et sa nature dit "subversive"
. »

>Lara Prescott , Nos secrets trop bien gardés, Editions Robert Laffont, Traduction Christel Gaillard-Paris, 544 pages, 22,50 euros

En savoir plus

>Visionner la bande-annonce du film Le docteur Jivago tiré du livre éponyme de Boris Pasternak. Un film sorti en 1966, réalisé par David Lean avec Omar Sharif, Julie Christie, Geraldine Chaplin.

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