"Piégée dans son couple"

J.-C. Kaufmann: comment réagir quand le couple devient toxique ?

Harcèlement intime. Parfois le couple devient abusif, toxique. Pourquoi certains ou le plus souvant  certaines n'arrivent pas à partir? Qu'est-ce qui piège les anciens amants romantiques ? Qu'est-ce qui les empêche d'affronter la désillusion? Le sociologue Jean-Claude Kaufmann qui étudie les relations intimes sous toutes leurs "tournures", s'intéresse dans Piégée dans son couple aux écueils des couples en mal d'harmonie. Témoignages et analyses interpellent le lecteur. Jean-Claude Kaufmann regarde grandir les jeunes filles qui rêvaient de prince charmant, et les hommes qui se prenaient pour Peter Pan. Son constat est troublant. Rencontre avec un sociologue qui croit à la dynamique des coeurs, mais pas à leur éternité.

Se méfier de l'apparence souriante et débonnaire de Jean-Claude Kaufmann. Le célèbre sociologue n'hésite pas à pratiquer son art sans concession. Sociologie qui explore au sclapel les ressorts des couples d'aujourd'hui, souvent du point de vue des femmes - de leur quête du prince charmant aux vicissitudes de la vie à deux. Jean-Claude Kaufmann a regardé grandir les jeunes filles qui rêvaient de prince charmant, et les hommes qui se prenaient pour Peter Pan. Dans son dernier livre, il  s'intéresse au "piège insidieux et insaisissable" qui fait "mourir à petit feu, mais dont elles ne parvenaient à pas à se sortir". Jean-Claude Kaufmann lève donc le voile sur cet aspect méconnu du couple, ce huis-clos inextricable qui retient malgré les souffrances . Du harcèlement intime à l'enfermement. Comment une belle histoire d'amour peut-elle évoluer ainsi ? Un livre qui interroge et dérange, car la violence est ici de l'intérieur. Jean-Claude Kaufmann répond aux questions de Viabooks.  

Viabooks : Vous vous attaquez dans votre dernier livre aux abus du couple. Principalement au revers de cet abus, l'incapacité de certains ou certaines à quitter des situations toxiques. Pourquoi?

-Jean-Claude Kaumann : Parce que le couple ce n’est pas toujours que du bonheur. Tel est le rêve bien sûr, construire un petit monde d’amour, doux et caressant, qui va nous protéger du monde extérieur, si dur à vivre aujourd’hui. Hélas parfois, la belle mécanique du bien-être à deux se détraque et se transforme en machine infernale qui broie les deux personnes. Il fallait bien que j’aille voir aussi du côté de cette face plus sombre du couple.

Comment avez-vous travaillé? Vous reproduisez de nombreux témoignages. Avez-vous conduit votre enquête de manière systématique?

-J.C.K. : Pour une fois, je n’ai pas choisi le sujet, c’est lui qui est arrivé à moi. Alors que j’enquêtais pour mon dernier livre, Un lit pour deux, plusieurs témoignages avaient relaté une même image, évoquant non plus de simples petits agacements, mais une vraie souffrance. Des femmes expliquaient comment elles s’agrippaient au bord du matelas de peur de frôler le corps de celui qui avait été autrefois aimé, désormais haï. Pour mille raisons, elles ne pouvaient rompre, la fuite s’avérait impossible, elles étaient piégées. Dans ce qui était devenu un enfer conjugal.
Je pars toujours des témoignages, en plongeant au plus profond dans la vie des gens. Ensuite, je tente d’analyser, en donnant une perspective plus large, en inscrivant le concret des existences dans les mouvements de la société. Les émotions que nous ressentons aujourd’hui ne sont pas ressenties de la même façon qu’hier, elles n’arrivent jamais au hasard.

Le harcèlement moral et la violence conjugale sont des concepts reconnus par la loi aujourd'hui et référencés sur le plan psychologique. En quoi l'approche sociologique apporte-t-elle un nouvel éclairage ?

-J.C.K. : Je parle plus de la violence psychologique que de la violence physique, j’analyse le mécanisme conjugal qui entraîne les personnes vers l’abîme. Je fais aussi de la psychologie, mais sans la réduire aux personnes. C’est trop facile (et très souvent faux) de mettre une étiquette (« pervers narcissique ») et de renvoyer à la maladie mentale. La plupart du temps l’individu n’était comme cela avant, c’est le contexte et le système des échanges conjugaux qui l’ont poussé à devenir agressif vis-à-vis de son ou de sa partenaire.

Vous évoquez  « le sens du sacrifice » qui pousse certaines femmes à rester dans un couple toxique. Cette dimension sacrificielle n'est-elle pas un paradoxe dans une société qui revendique la liberté des femmes à exister pour elles-mêmes ?

-J.C.K. : Cette question est au cœur du livre, et déchire les personnes (le plus souvent des femmes), qui n’arrivent pas à décider entre deux visions d’elles-mêmes, deux identités possibles. A certains moments, elles se sentent portées par leur capacité d’autonomie et osent un regard critique sur leur situation, pensent partir (mais elles reportent l’échéance à plus tard). Puis, peu de temps après, elles veulent oublier cela, car quelque chose de plus fort, de plus profond, les retient. Et ce n’est pas seulement le sens du sacrifice, c’est tout l’engagement amoureux qui a été le leur.

Vous faites une distinction entre le couple parental et le couple conjugal. Pouvez-vous nous expliquer cette dualité ?

-J.C.K. : C’est une différence qui est de plus en plus marquée aujourd’hui, on est deux couples à la fois, un couple liant un homme et une femme, puis, quand arrive l’enfant, un couple parental pour la vie. Quand le couple conjugal s’enfonce dans la crise, cela contamine très souvent le couple parental, les enfants sont même assez souvent pris en otage. C’est ce qu’il faudrait à tout prix éviter.

«Le futur n'est plus un destin ». N'est-ce pas l'autre visage de l' illusion du prince charmant, le surinvestissement pour vivre « une grande histoire » jusqu'à la désillusion ? Cela commence par la guerre des chaussettes, puis cela va jusqu'à la violence...

-J.C.K. : Je ne crois pas cependant qu’il faille renoncer au rêve romantique, c’est ce qui nous pousse à aller au-delà de nous-mêmes, à nous élever au-dessus de l’ordinaire. Bien des personnes aujourd’hui n’engagent jamais de relations parce qu’elles ont une vision trop froide et évaluatrice des partenaires éventuels, elles ne trouvent jamais le bon. Il n’y a pas d’amour possible sans un minimum d’abandon aux émotions de l’instant.Le problème survient quand la réalité, non seulement est loin du rêve (c’est assez fréquent !), mais quand elle n’est plus que souffrance personnelle et relation toxique avec le partenaire. Quand cette ligne rouge est franchie, alors il faut vraiment cesser de croire que cela pourrait s’arranger le lendemain, il faut couper radicalement avec le rêve, et regarder la vérité en face.

Vous parlez du concept de Peter Pan chez de nombreux hommes. Jeunisme et immaturité, volonté d'échapper aux responsabilités: avez-vous noté une évolution ces dix dernières années? 

-J.C.K. : Les rôles ont été complètement bouleversés à l’intérieur du couple, de façon impressionnante. Les femmes, poussées par une trajectoire historique ascendante, qui leur donne énergie et volonté d’avancer, sont désormais celles qui portent l’autorité dans la famille (il suffit de regarder par rapport aux enfants). Les hommes sont un peu fatigués et débordés par ce mouvement et aspirent souvent à un simple bien-être tranquille, ce qui déçoit les femmes. Ils y ajoutent une graine d’humour et de dérision qui les rapprochent des enfants. Mais ils sont aussi porteurs d’une philosophie du bonheur immédiat qui peut être très utile et qu’il faut savoir comprendre.

Le couple est-il destiné à mourir? L'usure, les difficultés... vous semblez décrire une évolution inéluctable pour beaucoup d'entre eux. Comment expliquer que malgré les nombreux divorces, ce modèle fasse encore rêver ?

-J.C.K. : Parce que nous avons un gigantesque besoin du couple, même s’il est très difficile à construire, nous avons un immense besoin d’amour. Et beaucoup arrivent à enclencher la spirale positive, le geste de bienveillance ou de tendresse, qui en entraine un autre, jusqu’à former de petites bulles de bonheur. Hélas pour les gens qui souffrent et se déchirent, avoir conscience que cet autre monde conjugal est possible leur fait ressentir leur quotidien avec encore plus de douleur.

Votre prochain livre sera consacré à ... ?

-J.C.K. : A la vraie histoire de la Saint-Valentin, totalement méconnue, une histoire de luttes et de rebondissements assez incroyables. Et aujourd’hui cela continue : derrière les apparences d’une fête commerciale qui ronronne (bouquets de fleurs et petits cœurs en chocolat), les enjeux de société sont considérables…

>>Jean-Claude Kaufmann, Piègée dans son couple, Les Liens qui Libèrent, 17, 00 euros 

En savoir plus

>Découvrir une intervuew vidéo de Jean-Claude Kaufmann où il parle du couple :

>Lire un extrait du Que sais-je de Jean-Claude Kaufmann sur le couple:

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