Journée internationale des droits des femmes

Leymah Gbowee : « Défendre les femmes, c'est défendre la paix dans le monde »

L'exemple pour le combat des femmes nous viendra-t-il d'Afrique ? La Libérienne Leymah Gbowee, prix Nobel de la Paix en 2011, est aujourd'hui l'une des plus importantes militantes pour les droits des femmes et pour la paix dans le monde. Elle raconte son parcours de vie dans Notre force est infinie (Belfond), dont l'édition de 2023 est enrichie d'une préface de Rokhaya Diallo. Un livre exemplaire, qui, en ce 8 mars 2023, montre plus que jamais aux femmes le chemin pour leur reconnaissance. Nous avons eu le privilège de rencontrer Leymah Gbowee lors d'un de ses passages à Paris pour une conférence internationale : son interview en dit long sur son courage et sa force.

Portrait de Leymah Gbowee, Aurora Humanitarian association

Légende photo : Portrait de Leymah Gbowee, Aurora Humanitarian association

Dix ans après une première publication en 2012, la réédition de Notre force est infinie ( Belfond-2023) est l’occasion de redécouvrir le parcours de Leymah Gbowee, co-prix Nobel de la Paix en 2011, célébrée pour s’être opposée courageusement à la guerre civile au Liberia. Chronique émouvante de l’émancipation d’une femme, récit d’un engagement passionné, portrait d’une Afrique où renaît l’espoir, la réédition de ce livre majeur pour la paix et la liberté est un événement. Ce récit donne aujourd'hui encore, un message-clé qui concerne en premier lieu les femmes, de tous horizons et de toutes origines.

Exercice d'admiration par Rokhaya Diallo 

Rien d'étonnant à ce que Rokhaya Diallo ait souhaité en écrire la préface en 2023, dont l'extrait qui suit montre toute l'admiration que la journaliste et militante porte à Leymah Gbowee : « C’est un immense cadeau pour les lectrices et lecteurs francophones que d’accéder à un tel récit, et un honneur pour moi d’y apposer ces mots introductifs. Cet ouvrage constitue un appel essentiel quant au fait que chacun et chacune d’entre nous dispose de la faculté de puiser dans ses croyances pour déployer une force insoupçonnable. Notre force est infinie est une vigoureuse invitation à prendre soin des autres et de soi-même ». 

Les combats de paix d’une femme qui a subi violences et traumatismes

Pourtant, rien ne prédisposait Leymah Gbowee, née le 1e février 1972 dans une famille modeste, sans diplôme, mère célibataire de quatre enfants à vingt-cinq ans, à devenir l’une des plus importantes militantes pour les droits des femmes. ​Elle est une toute jeune fille quand, en 1989, le dictateur Charles Taylor prend le pouvoir au Liberia, marquant le début d’une lutte tribale qui met le pays à feu et à sang. A force de courage, elle développe une méthode d'accompagnement pour la guérison des traumatismes, que ce soit chez les enfants soldats que chez les femmes violentées (comme elle d'ailleurs, par le père de ses deux premiers enfants). En 2003, elle fonde le Women of Liberia Mass Action for Peace, une coalition de chrétiennes et de musulmanes inédite dans le pays, et organise un spectaculaire mouvement de résistance à l’oppression qui changera à jamais la face du Liberia. En 2011, Leymah Gbowee reçoit avec Ellen Johnson Sirleaf et Tawakel Karman le prix Nobel de la Paix pour « leur lutte non violente pour la sécurité des femmes et pour les droits des femmes à participer pleinement aux travaux de consolidation de la paix. » Vaste reconnaissance.

Notre force est infinie, au nom de toutes les miennes

Notre force est infinie est le récit sans détour de la vie de cette militante et travailleuse sociale, qui a refusé l'action politique, pour rester plus près de celles qu'elle souhaitait aider. Celui d’une femme qui a décidé de se révolter contre la violence meurtrière des hommes.
Cet ouvrage représente bien plus qu’un témoignage. Il est un plaidoyer pour la force du combat collectif, pacifique et bienveillant. Un exemple de courage et de fermeté qui transmet un message d’espoir à toutes les femmes qui souffrent des inégalités et des contraintes.
Artisane de paix, Leymah Gbowee est devenue ainsi avec le temps, une combattante du sens. Sans concession avec elle-même, y compris avec ses démons intérieurs, sans complaisance avec le pouvoir politique dont elle se tient à distance et sans illusion quant à l'immensité de la tâche qui lui reste à accomplir, elle nous livre par son texte une magnifique leçon de vie.

A la rencontre de Leymah Gbowee

Rencontrer Leymah Gbowee est un privilège. Il n'est pas si courant de pouvoir échanger avec une personne de sa stature. Notre rendez-vous a lieu dans un hôtel parisien, juste avant que la militante ne se rende à une conférence internationale. Allons-nous être impressionnés par elle, la grande combattante du droit des femmes ? Celle qui a utilisé l'arme aussi inattendue que la grève du sexe et participé à la destitution du dictateur Charles Taylor ? Nous sommes d'abord frappés par le grand sourire qui éclaire son visage presque enfantin, avec son nez un peu mutin. En quelques minutes, la glace est rompue. Cette grande dame sait immédiatement créer l'intimité avec ses interlocuteurs. Cette guerrière de la paix est une femme chaleureuse. Fidèle à sa légende. Son sens de l'autre est un peu l'histoire de toute sa vie. Quand elle a travaillé auprès des réfugiées, c'était en se plaçant au milieu d'elles, non pas à côté d'elles. Quand elle s'est battue au nom des femmes, c'était avec toutes et non pas seule face à toutes. Rencontre avec une femme remarquable.


Légende photo : Leymah Gbowee, pendant son discours à l'Académie Nobel en 2011 (capture d'écran de vidéo de l'Académie Nobel)

Viabooks : Pourquoi avoir écrit ce livre Notre force est infinie ?

-Leymah Gbowee : L'idée m'est venue après la projection du documentaire Pray the devil back to hell (Prie pour renvoyer le diable en enfer) : le réalisateur m'a dit que mon histoire était plus grande que ce qu'un 60 minutes pouvait contenir. Ce fut le point de départ. Ce livre retrace l'histoire de ma vie. Mais, aussi celle d'une victoire sur les tragédies traversées, un itinéraire pétri de souffrances et d'espoir. Je voulais que mon histoire puisse être accessible aux jeunes filles. J'ai accepté d'évoquer mes combats personnels, jusqu'à ma vie sentimentale avec ses chaos et ses violences. Ce n'était pas par manque de pudeur, mais parce que je ne voulais pas mentir. Il me fallait dire qu'on pouvait bâtir son destin et construire de belles actions, y compris  en combattant ses propres démons intérieurs et en traversant des épreuves. Je crois que c'est pourquoi de nombreuses femmes se sont retrouvées dans mon livre. Elles aussi me disent qu'elles ont connu des périodes difficiles où elles ont perdu espoir, où elles sont tombées dans une mésestime d'elles-mêmes. Elles aussi ont du mal à concilier leurs différentes obligations.

Quid de la fameuse méthode Gbowee fondée sur l'empathie ?

-L.B. : Ecrire a été vraiment pour moi une thérapie. C'est pourquoi j'ai mis plusieurs années à aller au bout du livre. J'y évoque autant mon enfance au Liberia, mes drames, mes joies que tous les sujets cruciaux comme la guerre, le viol, la difficulté d’être femme, les réfugiés, la politique… J’y mets en avant mon combat pour plus de justice sociale, qui me tient tellement à cœur. Mais en effet, sur ces sujets, je ne me situe pas au -dessus ou à côté de celles auxquelles  je m’adresse, mais bien au milieu, en miroir avec elles. C’est peut-être cela que vous nommez « l’empathie ».

En quoi le prix Nobel a-t-il changé votre vie ?

-L.B. : Lorsque j'ai reçu le prix Nobel de la Paix (en 2011), cela a correspondu avec le moment où mon livre sortait dans sa première édition. Comme si cet accouchement par l’écriture avait ouvert la vie à une nouvelle vie. Recevoir ce prix a été un honneur qui m'a poussée à un travail accru, au sein de ma Fondation ou avec les nombreuses institutions avec lesquelles je suis impliquée. Il m'a fallu m'organiser différemment, car je ne voulais pas perdre pied par rapport à mes racines. J’ai toujours voulu rester proche du terrain, notamment avec mes engagements en faveur de l’éducation des jeunes filles et de la reconnaissance des femmes. Je dis toujours que « Je suis une personne locale placée sur une plateforme d'action globale » : c’est un peu comme cela que ce Nobel est venu se situer dans ma vie. Il a élargi mon terrain, mais ne m’a pas fait perdre mon ancrage concret. Je ne m’engage dans quelque chose que si j'en ai l'expertise. Je connais mon rayon d'action : l'éducation, l'action sociale… Je n’ai jamais voulu sortir de ma zone de compétence. Le Nobel m’a permis de changer de dimension sans changer de priorité.

En ce 8 mars, jour de défense des droits des femmes, quel message souhaitez-vous leur transmettre ? 

-L.B. : Ce n'est pas un message pour les femmes, mais pour le monde. Le monde fonctionne à 50% de ses capacités en se privant de 50 % des humains à savoir les femmes. C'est cela que je dénonce. Un tel déséquilibre n'est pas bon pour la paix. Il faut que les femmes puissent être reconnues à part entière, dans tous les domaines. C'est pourquoi ma Fondation qui a presque quinze ans aujourd'hui est particulièrement investie dans l'éducation des jeunes filles. C'est d'abord en permettant aux filles d'accéder à la formation que nous pourrons leur permettre ensuite d'accéder à une place active dans la société.

Quelles actions concrètes préconisez-vous en priorité ?

-L.B. : Mon message ne vaut pas seulement pour l'Afrique mais pour le monde entier : 
-Il faut que les femmes soient payées de la même manière que les hommes.
-Il faut qu'elles aient les mêmes chances.
-Il ne faut pas qu'elles soient cantonnées à un rôle subalterne.

Toutefois pour atteindre cet objectif, il est important d'intégrer les hommes dans la réflexion. Il faut qu'eux aussi comprennent que le monde marchera mieux quand les femmes seront mieux reconnues.
Mon féminisme n'est pas excluant. Il vise à promouvoir un meilleur « vivre ensemble ». Je me bats pour que ma dernière fille qui a 14 ans aujourd’hui (Leymah Gbowee est mère de six enfants NDLR) n'ait pas à connaître les mêmes combats que les miens. Pour que le monde dans lequel elle évoluera lui donne le droit de choisir et d'exister pleinement. Un monde d'équité, de justice entre les nationalités et entre les sexes. J'ai confiance en notre puissance politique et collective pour y arriver .​

Avez-vous des suggestions pour le prochain Prix Nobel de la Paix ?

-L.B. : J'aimerais que ce prix soit plus souvent donné à une femme. 85% des prix Nobel sont donnés à des hommes, 15% à des femmes. Est-ce représentatif de la société ? Non. Et en matière de lutte pour la paix, je ne suis pas sûre que les hommes soient les mieux placés…

>Leymah Gbowee, Notre force est infinie, Belfond, Préface de Rokhaya DialloAvec la collaboration de Carol Mithers, Traduction de Dominique Letellier, 352 pages, 21 euros (mise en place en librairie le 16 mars 2023) >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

En savoir plus

La captation vidéo de l'interview de Leymah Gbowee en 2011 lors de la sortie de son livre ( réalisation Belfond): 

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