"Chine-Afrique: le grand pillage"

Julien Wagner : quand la Chine colonisera l'Afrique...

Alors que la Chine vient de dépasser les Etats-Unis en devenant la première puissance économique mondiale, le journaliste Julien Wagner se penche dans son livre "Chine-Afrique : le grand pillage" (Eyrolles) sur la captation des richesses de l'Afrique par la puissance communiste. Nouvelle forme de colonisation?Accroissement considérable de l'influence de la Chine sur le continent africain? Son enquête montre non seulement une réalité, mais aussi la manière très précise et souvent très habile avec laquelle les chinois avancent leurs pions sur l'échiquier du monde. A l'ooccasion du nouvel an chinois, nous revenons sur ce document.

1) La Chine est devenue la première puissance économique et dans votre livre vous montrez une de ses facettes peu évoquée : la captation des richesses de l'Afrique. Pouvez-vous nous expliquer comment  et où s'opère cette nouvelle forme de colonisation ?

Julien Wagner : La Chine vient en effet de dépasser les Etats-Unis sur un indicateur (le PIB calculé en parité de pouvoir d'achat), mais en termes de puissance (économique, militaire, technologique et politique), elle est encore loin de son grand rival. Son développement en l'espace de trente ans est malgré tout fulgurant et il devient de plus en plus probable qu'elle sera à même de supplanter un jour les Etats-Unis d'un point de vue global. Son objectif à moyen terme. Mais pour alimenter son formidable développement, la Chine a cruellement besoin d'énergie et de ressources naturelles. Pétrole, gaz, bois, minerais... Et c'est en partie sur l'Afrique qu'elle a jeté son dévolu afin de satisfaire ses besoins. Pour mettre la main sur ces richesses, elle a élaboré une méthode astucieuse appelée "financements contre ressources". En échange de l'exploitation de pétrole par exemple, la Chine va prêter de l'argent à un Etat africain afin qu'il puisse financer la construction des équipements et infrastructures (routes, raffineries, ports, hôpitaux, etc.) qui lui font défaut. Des infrastructures évidemment construites par des entreprises chinoises. 

2) Pourquoi dîtes-vous "astucieuse" ?

Julien Wagner : Parce qu'on le voit bien, la Chine va donner d'une main, et reprendre de l'autre. Acheteur et vendeur sont en réalité la même entité : l'Etat chinois. Si l'entreprise de construction surfacture le prix de sa prestation, c'est l'entreprise chinoise qui exploite la ressource qui en tirera le bénéfice par une concession plus longue. Et de l'autre côté, la banque d'Etat n'aura pas intérêt à discuter ce prix puisqu'au final l'argent retourne à l'Etat chinois. Et c'est donc l'Etat africain qui sera lésé. Ce cas s'est par exemple présenté au Niger au sein d'un contrat pétrolier passé avec CNPC (pétrolier chinois) en 2008. Niamey ne s'est rendu compte que quelques années plus tard d'une surfacturation de plusieurs centaines de millions d’euros. Pire encore, dans bien des cas, ce sont des travailleurs chinois et non africains qui réalisent les projets sur place, de l'ingénieur jusqu'au manœuvre. Ils ne bénéficient donc qu'à la marge aux populations locales. D'autre part, les infrastructures construites se sont parfois révélées de piètre qualité, comme ce stade de foot construit au Congo-Brazzaville qui quelques années seulement après sa construction avait déjà des fissures. Enfin, au sein de ces fameux contrats, il est bien rare de trouver des clauses actant le transfert des savoirs et technologies qui permettraient aux pays africains d'exploiter eux-mêmes leurs ressources à l'avenir.

3) Vous montrez combien le peu de préoccupations écologiques des Chinois risque d'engendrer des conséquences dramatiques pour ce continent déjà fragilisé. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

Julien Wagner : Il n'y a qu'à voir comment le modèle de développement chinois à causer des ravages en Chine même pour s'inquiéter de ses conséquences en Afrique. Les images des nuages de pollution à Pékin ou à Tianjin ont fait le tour du monde. En Chine, l'eau est parfois si polluée qu'elle détruit les plantations qu'elle est censée irriguée. Alors imaginez comment les entreprises chinoises se comportent à l'étranger. Mais au-delà des entreprises, la présence physique chinoise en Afrique a aussi correspondu à un pillage en règle de la biosphère. Le braconnage des éléphants, des rhinocéros ou même des pangolins a pris des proportions si inquiétantes qu'il fait craindre pour la survie de ces espèces. Le pillage des bois d'essence rare, comme le bois de rose, connaît lui aussi une recrudescence inquiétante.

4) La Chine a-t-elle d'autres visées expansionnistes que l'Afrique selon vous. Et si oui, où et comment ?

Julien Wagner : La Chine est obnubilée par un objectif stratégique majeur : reconquérir le territoire historique qu'elle considère être le sien. Ce territoire, c'est tout l'Extrême-Orient asiatique : les deux Corée, le Japon, le Vietnam et tout ce qui se trouve en Mer de Chine. Or ces territoires sont tous, Corée du Nord exceptée, sous influence américaine par le biais d'accords stratégiques et militaires. Pour réaliser son objectif, la Chine n'a d'autres solutions que de supplanter économiquement et militairement les Etats-Unis. Et c'est donc bien sur ce terrain  qu'il faut craindre dans le futur un affrontement entre les deux premières puissances mondiales.

5) Et si l'Afrique se rebellait, que se passerait-il ? Est-elle devenue "sino-dépendante" ou peut-elle reculer ?

Julien Wagner : Les pays africains souffrent quoi qu'il arrive d'un rapport de force hautement défavorables. C'est pourquoi ils auraient intérêt à négocier en bloc, à plusieurs, afin d'atténuer ce déséquilibre. Une meilleure formation de leurs élites au difficile jeu des négociations seraient aussi nécessaires pour tirer un profit plus grand de leurs échanges avec la Chine. Surtout, les dirigeants africains réaliseraient de bien meilleures affaires pour leur peuple s'ils étaient moins sensibles à la corruption. Car la Chine et ses entreprises d'Etat sont des maîtres en la matière. Selon Transparency international, ces entreprises sont parmi les plus corruptrices au monde, c'est à dire celles qui offrent et reçoivent le plus de pot-de-vin au sein des contrats passés.

6) Le Forum pour la paix vient de se terminer à Dakar. Vous qui êtes un fin connaisseur de ce continent, pensez-vous que l'Afrique va devenir le territoire d'affrontements indirects entre l'Occident et la Chine, parallèlement à la lutte contre les islamistes ? 

Julien Wagner : Elle est déjà le lieu de ces affrontements. Les ressources naturelles sont limitées, et le continent noir pourrait recéler plus du tiers des ressources inexploitées dans le monde. Un trésor que toutes les puissances cherchent aujourd'hui à accaparer. De là à rejouer la Guerre froide avec le financement de groupes rebelles pour renverser des dirigeants qui s'acoquinent avec d'autres, je ne crois pas. Cette guerre est aujourd'hui une guerre d'influence qui passe par le truchement des médias, du renseignement ou de la corruption des élites

7) Quels vœux  formulez-vous pour 2015 dans le monde, et plus particulièrement en Afrique ?

Julien Wagner : Je souhaite avant tout que la conférence environnementale de Paris soit un succès et qu'un accord réellement engageant soit signé par tous les pays. Au premier rang desquels évidemment, les Etats-Unis et la Chine. Le premier continent touché par le réchauffement climatique est l'Afrique. Les pénuries d'eau, la recrudescence des catastrophes naturelles, la multiplication des épidémies sont des phénomènes qui ne peuvent que s'amplifier si aucun accord n'est trouvé.  

8) Votre prochain livre sera... ?

Julien Wagner : Je travaille sur un roman mais je ne sais pas s'il sortira un jour. C'est une tâche qui nécessite une remise en cause personnelle bien plus grande que le travail journalistique...

Propos recueillis par Olivia Phélip

>>Julien Wagner, "Chine-Afrique: Le grand pillage", Eyrolles. Pour acheter le livre, cliquer sur le lien
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