Théâtre

Extrait de Théâtre de Carlo Goldoni

ANGÉLIQUE, se tient à quelque distance.
M. GÉRONTE. - Approchez.
ANGÉLIQUE, avec timidité, ne faisant qu'un pas. - Monsieur...
M. GÉRONTE, un peu vivement. - Comment voulez-vous que je vous entende, si vous êtes à une lieue de moi ?
ANGÉLIQUE, s'avance en tremblant. - Excusez, Monsieur.
M. GÉRONTE, avec douceur. - Qu'avez-vous à me dire ?
ANGÉLIQUE. - Marton ne vous a-t-elle pas dit quelque chose ?
M. GÉRONTE, il commence avec tranquillité et s'échauffe peu à peu. – Oui ; elle m'a parlé de vous ; elle m'a parlé de votre frère, de cet insensé, de cet extravagant, qui se laisse mener par une femme imprudente, qui s'est ruiné, qui s'est perdu, et qui me manque encore de respect !
ANGÉLIQUE, veut s'en aller.
M. GÉRONTE, vivement. - Où allez-vous ?
ANGÉLIQUE, en tremblant. - Monsieur, vous êtes en colère...
M. GÉRONTE. - Qu'est-ce que cela vous fait ? Si je me mets en colère contre un sot, ce n'est pas contre vous. Approchez, parlez, et n'ayez pas peur de ma colère.
ANGÉLIQUE. - Mon cher oncle, je ne saurais vous parler, je ne vous vois tranquille.
M. GÉRONTE, à part. - Quel martyre! (À Angélique, en se contraignant.) Me voilà tranquille. Parlez.
ANGÉLIQUE. - Monsieur... Marton vous aura dit...
M. GÉRONTE. - Je ne prends pas garde à ce que m'a dit Marton, c'est de vous que je le veux savoir.
ANGÉLIQUE, avec timidité. - Mon frère...
M. GÉRONTE, la contrefaisant. - Votre frère...
ANGÉLIQUE. - Voudrait me mettre dans un Couvent.
M. GÉRONTE. - Eh bien ? Aimez-vous le Couvent?
ANGÉLIQUE. - Mais, Monsieur...
M. GÉRONTE, vivement. - Parlez donc.
ANGÉLIQUE. - Ce n'est pas à moi à me décider.
M. GÉRONTE, encore plus vivement. - Je ne dis pas que vous vous décidiez : mais je veux savoir quel est votre penchant.
ANGÉLIQUE. - Monsieur, vous me faites trembler.
M. GÉRONTE, à part. - J'enrage. (En se contraignant.) Approchez, je vous comprends ; vous n'aimez donc pas le couvent ?
ANGÉLIQUE. - Non, Monsieur.
M. GÉRONTE. - Quel est l'état que vous aimeriez davantage ?
ANGÉLIQUE. - Monsieur...
M. GÉRONTE, un peu vivement. - Ne craignez rien, je suis tranquille, parlez-moi librement.
ANGÉLIQUE, à part. - Ah ! Que n'ai-je le courage ?...
M. GÉRONTE. - Venez ici. Voudriez-vous vous marier ?
ANGÉLIQUE. - Monsieur...
M. GÉRONTE, vivement. - Oui, ou non ?
ANGÉLIQUE. - Si vous vouliez...
M. GÉRONTE, vivement. - Oui, ou non ?
ANGÉLIQUE. - Mais, oui.
M. GÉRONTE, encore plus vivement. – Oui ? Vous voulez vous marier, perdre la liberté, la tranquillité ? Eh bien! Tant pis pour vous ; oui, je vous marierai.

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