La mare au diable

Extrait de La mare au diable de George Sand

Marie approcha en rampant, et dès qu'elle vit Ger­main, que le fermier suivait de près, elle courut se jeter dans ses bras ; et, s'attachant à lui comme une fille à son père :

- Ah ! Mon brave Germain, lui dit-elle, vous me défendrez ; je n'ai pas peur avec vous.

Germain eut le frisson. Il regarda Marie : elle était pâle, ses vêtements étaient déchirés par les épines où elle avait couru, cherchant le fourré, comme une biche traquée par les chasseurs. Mais il n'y avait ni honte ni désespoir sur sa figure.

- Ton maître veut te parler, lui dit-il, en observant toujours ses traits.

- Mon maître ? dit-elle fièrement ; cet homme-là n'est pas mon maître et ne le sera jamais ! C'est vous, Germain, qui êtes mon maître. Je veux que vous me rameniez avec vous… Je vous servirai pour rien !

Le fermier s'était avancé, feignant un peu d'impatience.

- Hé! La petite, dit-il, vous avez oublié chez nous quelque chose que je vous rapporte.

- Nenni, Monsieur, répondit la petite Marie, je n'ai rien oublié, et je n'ai rien à vous demander...

- Écoutez un peu ici, reprit le fermier, j'ai quelque chose à vous dire moi ! Allons ! N’ayez pas peur... deux mots seulement.

- Vous pouvez les dire tout haut... je n'ai pas de secrets avec vous.

- Venez prendre votre argent, au moins.

- Mon argent ? Vous ne me devez rien, Dieu merci !

- Je m'en doutais bien, dit Germain à demi voix ; mais c'est égal Marie... écoute ce qu'il a à te dire... car, moi, je suis curieux de le savoir. Tu me le diras après, j'ai mes raisons pour ça. Va auprès de son cheval... je ne te perds pas de vue.

Marie fit trois pas vers le fermier, qui lui dit, en se penchant sur le pommeau de sa selle et en baissant la voix :

Petite, voilà un beau louis d'or pour toi ! Tu ne diras rien, entends-tu ? Je dirai que je t'ai trouvée trop faible pour l'ouvrage de ma ferme... Et qu'il ne soit plus question de ça... Je repasserai par chez vous un de ces jours ; et si tu n'as rien dit, je te donnerai encore quelque chose... Et puis, si tu es plus raisonnable, tu n'as qu'à parler : je te ramènerai chez moi, ou bien, j'irai causer avec toi à la brune dans les prés. Quel cadeau veux-tu que je te porte ?

- Voilà, monsieur, le cadeau que je vous fais, moi ! répondit à haute voix la petite Marie, en lui jetant son louis d'or au visage, et même assez rudement. Je vous remercie beaucoup, et vous prie, quand vous repasserez par chez nous, de me faire avertir : tous les garçons de mon endroit iront vous recevoir, parce que chez nous, on aime fort les bourgeois qui veulent en conter aux pauvres filles ! Vous verrez ça, on vous attendra.

- Vous êtes une menteuse et une sotte langue ! dit le fermier courroucé, en levant son bâton d'un air de menace. Vous voudriez faire croire ce qui n'est point, mais vous ne me tirerez pas d'argent : on connaît vos pareilles!

Marie s'était reculée effrayée ; mais Germain s'était élancé a la bride du cheval du fermier, et le secouant avec force :

- C'est entendu, maintenant ! dit-il, et nous voyons de quoi il retourne... À terre ! Mon homme ! À terre ! Et causons tous les deux!

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