F. Weyergans, Séquence Académie, fauteuil 32

On a bien cru qu'il ne viendrait jamais. Erik Orsenna commença son discours devant un parterre d'Académiciens médusés : le fauteuil 32 que devait honorer François Weyergans restait diablement vide. Les cinq premières minutes semblèrent une éternité.

Ceux qui avaient soutenu sa candidature se demandèrent s'ils n'avaient pas fait une erreur manifeste d'appréciation : comment celui qui était si célèbre pour ses reculades et autres disparitions, ses retards légendaires et ses pages invisibles allait-il pouvoir se montrer à la hauteur de sa nouvelle tâche? 

Dix minutes plus tard, le fauteuil était toujours vide et les mots d'Erik Orsenna sonnaient faux " J'ai failli attendre" disait- il, car il faisait allusion aux lenteurs qui avaient aussi présidé à l'annonce de la cérémonie d'investiture. Plus de deux ans s'étaient en effet déjà écoulés depuis l'élection. L'impétrant avait prétexté des coquetteries d'habit, des retards de fabrication...

Finalement,  après un suspense digne des plus grands films noirs, François Weyergans fit son entrée. En habit vert et or ( signé Agnès b), l'épée rutilante, il s'avança fragile, prêt à déclamer son discours, hommage à Maurice Rheims et à Alain Robbe Grillet. Il avait un quart d'heure de retard.

Heureusement, son discours ne dura pas trois jours, ce qui aurait été très littéraire, car Weyergans aurait alors inscrit son intronisation dans son oeuvre ( Trois jours chez ma mère). Il ne dura pas non plus trois heures, car fidèle à sa légende, François Weyergans se lança dans une adresse en séquences.

L'écrivain raconta son prédecesseur comme s'il suivait un film, scénarisant quelques moments, enchaînant fondus et portraits. Il évoqua la vie du célèbre amoureux des arts par retours en arrière, gros plans et travelling successifs, tout en parlant de la sienne. Ecrire n'est-ce pas toujours parler de soi, finalement?

Il se prit même à évoquer le souvenir de Federico Felini qui voulait venir filmer sous la Coupole, une digression osée. Puis, il  se risqua avec une certaine jubilation à souligner le goût pour l'érotisme de Maurice Rheims. La noble maison du quai de Conti retenait son souffle et attendait le dérapage. Mais la pirouette agile évita le pire. Car il fut question enfin d'écriture, la seule qui compte, la seule immortelle. A partir d'une photo de l'ancien Académicien prise par sa fille Bettina, il arrêta le tournage et imposa son arrêt sur image  : " Le voilà, installé à l’aube en été et en Corse, le ventre plat, avec son humble pointe Bic, son cahier quadrillé, ses rouleaux de scotch à portée de main, livré à son désir d’écrire. Travelling arrière. Nous le laissons. Qui est-il ? Le point d’interrogation compte. C’est comme dans un roman policier. Il faut se poser jusqu’à la fin des questions sur le personnage. Est-il bon, est-il méchant ? Est-il actif, est-il angoissé, est-il drôle ? Est-il Beatles ou Rolling Stones ? Renée Fleming ou Amy Winehouse ? Rousseau ou Voltaire ? Est-il calme, est-il agité ? Est-il Faust, est-il Méphisto ? Je fus son lecteur, il fut votre ami." . Voilà comment le discours se termina. La chute d'un funambule, Pitre, comme François Weyergans aime à se définir. Lui, belge, cinéaste et écrivain, maintenant inscrit au panthéon de l'Institut de France. Fin du film. Désormais, quand son éditeur essaiera désespérémement de le joindre pour savoir où il en est de son prochain roman, il fera répondre : "Dites que je suis à l'Académie."...

>Lire l'intégralité du discours de François Weyergans à l'Académie Française

Infos pratiques

Bibliographie sélective de François Weyergans

Trois jours chez ma mère ( Grasset)-Goncourt 2005

Franz et François ( Grasset)

La démence du boxeur ( Grasset)

Je suis un écrivain ( Gallimard)

Le Pitre( Gallimard)