Chronique d'Agnès Séverin

«Petites boîtes» de Yoko Ogawa, esthétique mélancolique et magie douce

C’est un roman mélancolique que livre Yoko Ogawa avec son vingt-cinquième titre traduit en français. Petites boîte(Actes Sud) exalte les âmes d’enfants disparus dans une peinture du quotidien, que sublime une esthétique très japonaise, pour une alchimie littéraire réussie.

Portrait de Yoko Ogawa © Ulf Andersen - Actes Sud Portrait de Yoko Ogawa © Ulf Andersen - Actes Sud

C’est un roman mélancolique que livre Yoko Ogawa avec son vingt-cinquième titre traduit en français. Petites boîtes exalte les âmes d’enfants disparus dans une peinture du quotidien, que sublime une esthétique très japonaise. Un monde tout en gris et en monotonie. Quand la fadeur exhale le mystère, l’alchimie littéraire est toujours réussie.

Un monde tout en gris et en monotonie

Pourquoi une femme choisit-elle de se retirer dans une école maternelle désaffectée ? Dans un monde trop étroit pour elle, où tous les aménagements sont à la taille des enfants. Pour enterrer le regret de ne pas avoir eu d’enfant ? Pour s’ensevelir toute vie dans un puits de solitude ? La romancière japonaise, Yoko Ogawa, qui livre ici son vingt-cinquième roman ne répond pas à l’interrogation. Elle laisse planer le sens de cette métaphore mélancolique.

Yoko Ogawa cultive le mystère. L’onirisme sombre est l’une de ses marques de fabrique. Le goût de l’étrange est aussi un trait marquant de la civilisation japonaise. Il dérive de la manie de voir la trace des dieux partout.

Une écriture au bord du silence

La littérature japonaise est affaire de mystère. Le règne du bizarre. D’autant plus un lecteur européen. Dans l’une de ces novellas, fragments de vie tissés de rêves brisés et de souvenirs impossibles, qui forment une seule et même histoire, un veuf parle en chantant. Son épouse malade lui écrit des lettres en caractères indéchiffrables. « De prime abord je n’y ai vu que d’étranges arabesques tirant sur le noir. Je me suis demandé s’il s’agissait de formules magiques d’une civilisation ancienne ». Des concertistes déambulent sur une colline, leurs instruments miniatures accrochés à leurs lobes. La brise est le véritable interprète de cette musique du silence dont les concertistes sont les seuls à saisir les nuances. Car il s’agit d’un « concert de soi à soi ».

« Les coquillages apportaient le bruit de vagues lointaines, les grelots des hochets tintinnabulaient gaiement, les hélices des avions brassaient agréablement l’air. Les cordons ombilicaux desséchés faisaient entendre une chanson qui ressemblait à un murmure rocailleux, roulant sans cesse au fond des petits flacons en raison de leur forme irrégulière qui les empêchait de se poser. Leur jolie voix cristalline, qui détonait avec le rouge presque noir du sang de l’accouchement, transformait la chanson la plus banale en un message unique. Un message que ne pouvaient recevoir que l’instrument du lobe de l’oreille et le vent d’ouest ».

L’écriture de Yoko Ogawa frôle le silence, elle fait résonner l’immobilité d’un monde évanescent, tout en subtilité. À la lisière du vide, qui est aussi le stade ultime de manifestation du divin. C’est à écouter la mélodie d’une vie impossible que nous convie la romancière japonaise. Ou son roman est-il un rêve triste et doux, un rêve trop vrai à force de refléter les profondeurs de l’âme et de l’inconscient ? Un rêve macabre que l’auteur se raconte de « soi à soi » ?

Les bizarreries qui nourrissent son imaginaire onirique ténébreux, sinon sulfureux, trouvent certainement leur source dans la vision du monde propre à la tradition mythologico-religieuse japonaise. Amaterasu, déesse-mère solaire de la religion shintoïste, se reflète en effet dans l’ensemble de la création. D’où le culte voué au moindre objet du quotidien. En particulier ceux que l’héroïne couve dans ses petites boîtes.

Le rêve ne se conjugue pas au passé

Gardienne de la mémoire des enfants perdus, elle permet ainsi à leurs parents d’exorciser leur douleur. Des petites vies en modèle réduit, cloîtrées dans des vitrines, qui se poursuivent sous la lumière artificielle. Elles matérialisent le rêve fou de leur parent de voir grandir les petits défunts sous leurs yeux. Malgré tout.

Le culte du passé, d’anniversaires manqués en rites de passage fantasmés, semble confiner à la folie. Il y a pourtant une vérité intime profonde à vouloir ainsi lutter contre l’impossible. La perte d’un avenir. Car le rêve ne se conjugue pas au passé. Et très difficilement au présent. C’est ce que montre l’étrangeté de ce musée du futur perdu.

Une magie douce d’inspiration shintoïste

Accorder une extrême attention aux choses leur confère un pouvoir quasi magique. L’impression d’une renaissance impossible qui s’offre à travers ces lignes crépusculaires. Celles de Yoko Ogawa exhalent une magie douce pétrie de croyances shintoïstes.

>Petites boîtes, de Yoko Ogawa, traduit du japonais par Sophie Refle. Actes Sud, 202 pages, 21 euros.>> Acheter le livre en cliquant sur ce lien

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