Rentrée littéraire 2022

«Moi qui ai souri le premier» de Daniel Arsand: de #metoo à #himtoo

Après Je suis en vie et tu ne m’entends pas, qui mettait en scène le destin terrible (et largement ignoré) des étoiles roses dans les camps de concentration nazis, Daniel Arsand libère la parole sur ses propres blessures dans Moi qui ai souri le premier (Actes Sud) . Le viol et le passage à tabac qu’il a subis au lycée sont restés gravés dans sa mémoire. Mais la vie et l’ouverture aux autres sont toujours les plus forts. Cette force vitale est le sceau de son écriture, magnétique, efficace, délicieusement désuète. Pas de doute, Daniel est le témoin d’une génération. 

Portrait de Daniel Arsand Festival Etonnants Voyageurs Portrait de Daniel Arsand Festival Etonnants Voyageurs

« Un enfant, anxieux de se trouver dans l’obscurité, s’adresse à sa tante qui se trouve dans une pièce voisine.
- Tante, parle-moi ; j’ai peur.
- À quoi cela te servirait-il, puisque tu ne me vois pas ?
À quoi l’enfant répond :
Il fait plus clair lorsque quelqu’un parle”. »
Sigmund Freud

Avec ce témoignage plus personnel que l’indispensable roman, Je suis en vie et tu ne m’entends pas  (prix du Roman Gay 2016), Daniel Arsand renoue avec l’autobiographie. Il s’était déjà plié à l’exercice de la confession avec Ivresses du fils. De quelles souffrances l’addiction aux grands (et moins grands) crus, notamment bourguignons, était-elle alors le nom ? Dans ce premier fragment autobiographique Daniel laissait entrevoir ses failles.

De manière plus légère, Que Tal, était consacré à une relation profonde, magnétique, avec le chat éponyme. Voici résumé une œuvre forte et prolifique, entre témoignage, confession et romans historiques sensuels et violents, où Daniel Arsand bâtit des mondes envoûtants, qui dénoncent et qui disent les beautés de l’existence et du rapport aux autres.

Une progression à mots-couverts vers l’ultime confession

Il aura fallu l’épreuve du dévoilement des crimes nazis à l’encontre de la communauté homosexuelle, dans le bouleversant Je suis en vie et tu ne m’entends pas , pour que l’auteur de La province des ténèbres (Prix Femina 1998), d’En Silence et Des chevaux noirs brise la digue d’une mémoire plus personnelle. Chacun de ses textes progresse à mots-couverts vers l’ultime confession. « Un jour, enfin, j’ai ressorti d’un certain tiroir un certain texte que je me mis à retravailler dans ma bienfaitrice solitude, essayant de l’intensifier, et je regardai en face ce qui avait été. Et je dis ce que j’avais à dire ».

Avec le récit autobiographique Moi qui ai souri le premier, Daniel Arsand livre sa vérité, qui est d’abord une ode à la vie, qui toujours reprend le dessus. Car les prédateurs – dont voici le portrait-robot : « (…) tout pour anéantir et conquérir. » - ne gagnent qu’un temps. Et ce serait leur faire trop d’honneur que de porter éternellement le joug de l’humiliation, de la douleur sourde, de la peur. De garder la plaie ouverte. Pour écrire, il faut laisser le temps passer sur les blessures. Les mots, alors, cautérisent. L’écriture cicatrise.

« Ma mémoire m’a offert le don des larmes. J’ai pleuré mes absents, j’ai pleuré les jours les plus noirs de mon adolescence, j’ai pleuré mes joies. Tout maintenant serait racontable. Et qu’importe pour cela que j’emprunte les chemins détournés de la fiction. »

Une littérature de combat

La littérature telle que la vit Daniel Arsand, libraire, éditeur, juré du prix du meilleur livre étranger, fan et grand connaisseur de George Sand 1 - et de ses trésors méconnus, et pourtant d’une criante actualité - est en effet une littérature de combat. Charnelle. Indispensable. Dans ce livre-choc émouvant et nécessaire,  Moi qui ai souri le premier , mon très cher ami Daniel tisse autour du traumatisme passé une forme de revanche dans l’art de poursuivre sa vie.

Il y a la littérature, bien sûr. Il y a les engagements qui en sont indissociables. Avec la publication de l'auteure Turque d’origine kurde d’Oya Baydar. Et celle de Klaus Mann, artisan de la dénazification et fils de Thomas. Et il y a les amis. Nombreux et nombreuses. Ils sont, là encore, indissociables des deux premiers.

« Et ne grossissons pas un fait qui n’a pas à l’être, qui eut son importance mais qui ne résume pas toute une vie ».

« Écrire m’enseigne encore à ne pas me limiter à mes obsessions. La déraison n’est qu’un tremplin à l’envol. Et ne grossissons pas un fait qui n’a pas à l’être, qui eut son importance mais qui ne résume pas toute une vie. Mon passé n’est pas mon seul champ d’investigation. Je lui refuse un pouvoir qui serait inconsidéré. (…) Entendre et convenir que s’égarer sur un chemin, c’est chercher la ligne droite qui n’existe que pour se métamorphoser en étoile, en feuillage, en sentiers. Écrire assombrit, puis régénère ce qui semblait acquis. (…) Les fils d’Ariane sont multiples et le Minotaure, quoi qu’il en a été relaté, ne nous dévore pas toujours ».

Raconter son histoire, c’est ainsi la remettre en perspective. Remettre leurs choses à leur place. Leur donner leur juste place. Sans en faire trop parce que la caisse de résonance des Médias Sociaux joue à plein. Les cerner en trouvant la formule. Les mots, seul antidote efficace contre les bêtes noires. Quelle est cette ombre qui plane sur sa vie ? Que l’on ne peut garder indéfiniment enfermée dans un tiroir.

« C’était l’ultime époque où quelques individus attribuaient encore une âme à leur prochain ».

« J’étais condamné. J’étais malade de soumission obligée, malade d’impuissance déclarée. Je ne possédais, je n’exprimais que des tronçons de révolte, qu’une débâcle sans retour. Je n’aurais plus jamais rien à offrir aux autres, Marc me prenait tout, me privait de tout, n’en restituerait pas une parcelle, pas une miette, il me pillait, il me saccageait. J’avais la certitude qu’avant moi il avait eu d’autres proies. De ses charmes, de son autorité, il connaissait toutes les ressources, l’influence et la rouerie, toute la puissance. Il se connaissait assez bien lui-même, supposai-je. Il n’a pas d’âme, me dirais-je un jour proche. C’était l’ultime époque où quelques individus attribuaient encore une âme à leur prochain ».

L’ancienne douleur, grenade dégoupillée dans les profondeurs

Dans ce nouvel opus, l’écriture, efficace, ciselée, maîtrise les émotions toujours prêtes à éclater, à exploser. Grenade dégoupillée qui menace dans les profondeurs. Il s’agit de révéler, certes, mais surtout d’évoquer un dépassement. Mais il y aussi cette interrogation si discrète qu’elle passerait presque inaperçue. Pourquoi n’avoir jamais eu envie de nouer une relation plus longue avec aucun de ses amants ? Manque de confiance ? En qui ?

La littérature pose des questions. Pas forcément pour y répondre. Elle montre mais ne démontre pas.

> Moi qui ai souri le premier, de Daniel Arsand. Actes Sud, 108 pages, 15 euros.

1 Impressions et souvenirs, Éditions des Femmes.

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