Critique libre

Tierno Monénembo et l'histoire du "terroriste noir"

Tierno Monénembo s'intéresse dans "Le terroriste noir" (Seuil), un roman flamboyant consacré à l'histoire d'Addi Bâ, tirailleur sénégalais en France en 1940 qui a aussi été l'un des instigateurs de la résistance vosgienne. Ce récit flamboyant qui a reçu le prix Palatine lève le voile sur un pan de l'Histoire méconnu.

"Ce n'étaient pas des héros, Monsieur, c'étaient juste des désespérés!", telle est la vision des Résistants de Germaine Tergoresse, 17 ans pendant l'Occupation et narratrice du récit. Contextualiser, expliquer, relativiser les motivations mais non les risques de ces figures de la Résistance, c'est ce qu'elle tente de transmettre à l'interlocuteur presque muet de son récit, le neveu d'un certain Addi Bâ. Venu en France pour l'occasion, celui-ci assiste à la commémoration qui rend hommage à son oncle plus de cinquante ans après sa mort pour avoir été l'un des chefs de file du premier maquis des Vosges.

Un personnage secret dont l'aura s'impose à tout un village

Surnommé "le terroriste noir" par les Allemands, ce guinéen peul a désormais trois rues à son nom dans une commune Vosgienne. Le talent de Tierno Monénembo, lui aussi Guinéen, transforme cette histoire vraie et méconnue en une fiction originale, lauréate du prix Ahmadou-Kourouma en 2013.

La parole est dévolue à l'une des habitantes de Romainville, le village où celui qui a d'abord été un tirailleur "sénégalais" ("de Guinée, du Congo ou du Tchad, pour nous, tous les tirailleurs étaient sénégalais. Tous les Noirs de la planète aussi", fait dire avec humour l'auteur à sa narratrice) en cavale a été recueilli.

Un récit haletant

En y voyant tantôt un amant, tantôt un père, elle retrace sa vie, mystérieuse aux yeux d'une jeune fille innocente dans les années 1940, puis éclaircie par les enquêtes postérieures. L'homme est retrouvé dans la forêt tel un animal blessé, puis caché par l'institutrice, jusqu'à être celui dont on écoute les conseils dans tout le village. Les pérégrinations d'Addi Bâ à bicyclette s'expliquent peu à peu par son intense activité clandestine résistante - et amoureuse - mais sont entravées avant la Libération. Mais en narratrice trop peu avertie sur les motivations à libérer la France d'un homme qui se confie peu, Germaine laisse ainsi la place à la liberté du lecteur quant à la psychologie du personnage. 

Ragots de village et Histoire tragique

S'interrogeant sur le discours fleuri et imagé d'un bestiaire exotique de son interlocuteur ("Vous parlez tous comme ça en Afrique?"), la narratrice conte pourtant comme un griot africain. Dans un récit entrecoupé de digressions sur le présent d'une vieille femme ou "des histoires de Blancs", "folklore de paysans vosgiens" comme elle les désigne elle-même, Germaine Tergoresse brosse le portrait d'un homme devenu très vite "l'enfant du pays". Les ragots d'un village cohabitent avec l'Histoire grave et tragique, comme cohabitent le passé et le présent dans la bouche de la vieille femme.

Destin et Histoire

Plus que la dénonciation d'un racisme omniprésent pendant la guerre et de l'abandon des tirailleurs sénégalais, c'est une histoire singulière, un destin, avec son lot de superstitions peules, qui se dessine ici. Si l'on en croit la narratrice, Addi Bâ a été "quelqu'un qui, à un moment où sa race passait pour la plus vile de l'humanité, a réussi à s'imposer sur tout un canton de France."

Par la subjectivité de Germaine Tergoresse et la composition de son récit, attachante car parfois maladroite, le lecteur pénètre les subtilités d'une autre France de l'Occupation.

>>Tierno Monénembo, Le terroriste noir, Seuil et Points pour l'édition poche.
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