Hier et maintenant

«Le Dit du Vivant» : l'éternelle odyssée de Denis Drummond

Avec Le Dit du Vivant (Cherche Midi), Denis Drummond nous entraîne dans une quête. Il part aux sources de l'humanité et cherche à percer les secrets d'une étrange sépulture découverte après un séisme au Japon en 2051. Porté par un souffle grandiose et poétique, ce texte se lit comme une odyssée sur le sens de la vie. Magnifique.

Denis Drummond aime interroger et contempler la beauté du monde, malgré ses tragédies. Dans son précédent livre, La Vie silencieuse de la guerre (Cherche Midi), qui a reçu le prix Révélation de la SGDL en 2019, il partait sur les traces d'un photographe dont le testament en images révélait sa tentative de saisir la part fugitive de la vie. Dans Le Dit du Vivant, Denis Drummond élargit son champ d'exploration.

Un voyage dans le temps et dans l'espace

Nous partons avec lui loin dans l'espace, au Japon, là où une vaste sépulture a vu le jour après un séisme, mais aussi dans le temps, puisque cette trace du passé révèle une civilisation inconnue. 
Nous sommes en 2051, nous nous trouvons non loin de Fukushima à Atsuma, un tremblement de terre a eu lieu. Le glissement de terrain qui a englouti le village fait ressortir une nécropole inconnue, dont nul n'est en mesure de qualifier l'origine. Le personnage-clé du livre est Sandra Blake, une paléoanthropologue australienne, qui se joint à l’équipe de chercheurs japonais pour participer aux fouilles, accompagnée de son fils autiste, Tom. «L'archéologie a le pouvoir d'exhumer ce qui a été enfoui par le temps. Elle procède par renaissance d'époques qui ne sollicitent pas de famille d'accueil». Cette mémoire archéologique bien vivante devient objet d'étude, tout comme projection fantasmatique, politique... La résolution de «L’énigme d’Atsuma», comme finit par la nommer la presse, qui accorde un vibrant écho à ce morceau de civilisation inconnue, aidera-t-elle à comprendre notre humanité ?

Ouvrir la boîte de Pandore du passé

Quand on se penche sur le temps, il n'est pas rare d'ouvrir une boîte de Pandore. Chacun y va de son interprétation. Et de son écriture. Chroniques, articles, journaux intimes, lettres, Dits... Denis Drummond jongle avec les documents qui constituent les fragments d'une sépulture du réel, superposant leur temporalité, leur langage et leur rythme. Ces mots en bribes sont autant de lambeaux provoqués par le séisme de la découverte archéologique. Chacun des protagonistes est appelé à réagir en fonction de son vécu. Tom qui entre en résonance avec le «mystère» écrit : «J'aimerais raconter cette histoire, déposer ce récit sur la poitrine de ma mère, là où ses mains ont été jointes, raconter ce temps de grandes découvertes, la mise à sac de la science et la guérison de l'innocence.» Comment comprendre le message ? Et si marcher sur les pas de la mémoire permettait de convoquer ceux de la vie éternelle ?

Lorsque le mystère de l'interpréation renvoie au flou de l'existence

Se confronter au mystère des vestiges est aussi se placer face à son existence. La science éclaire un peu, si peu. Au coeur de la dépouille mortuaire se pose la question de son identité et derrière sa mort, celle de sa vie. Denis Drummond décrit le ballet de ceux qui regardent ce squelette qui les regarde. «Tant de choses se sont passées durant ces deux jours. Elle sont toutes de l'ordre de la rencontre : la mienne avec le squelette, Tom avec son père, et, immanquablement notre science avec ce vide sidéral où elle n'a plus aucune prise.»

Les six parties du livre correspondent aux six fragments de l'ADN

Le livre est construit en six parties, en référence aux six éléments de l'ADN. Car l'ADN apparaît comme la clé d'une signature et après ? Si cet ADN se révèle inconnu dans les bases de données de l'Humanité, qu'adviendra-t-il ? Pendant ce temps, tout autour, à Atsuma, il y a le ciel, le paysage, les forêts, la mer. «A l'époque, après que nous avions allumé des incendies pour défricher et nourrir les sols, la forêt s'était mise à bruler de ses propres feux. Rien ne parvenait à les éteindre, pas même la longue pluie, celle qui tombait régulièrement toutes les nacrées de six doigts mais n'oubliait jamais de s'arrêter.»

Le silence des immensités

La langue de Denis Drummond porte le récit, comme sur des flots, avec une houle tantôt douce, tantôt puissante. Parfois, un léger vertige nous prend. Telle la vague d'Hokusai qui orne la couverture du livre, le lecteur se sent possédé par les flux et reflux de cette contemplation. «Les bruits du monde ont changé depuis. C'est à présent dans le silence que les images engendrent leurs propres mouvements.»

Et si, l'éternité ?

Cette traversée est une longue interrogation. Denis Drummond, en grand amoureux de la mer qui a élu partiellement domicile en Grèce, le sait bien. La mer Homérienne est un appel du large qui emporte vers des rivages inconnus. Les flots japonais ne sont pas moins mystérieux. Toute immensité devient miroir des hommes et peut-être même de leur âme. Comme l'écrivait Marguerite Yourcenar : «Quoi ? L'éternité ?»

>Denis Drummond, Le Dit du vivant, Cherche Midi, 288 pages, 19 euros

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