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Le discours de Patrick Modiano à l'Académie Nobel

Patrick Modiano, qui a remporté le Prix Nobel de littérature en 2014 a prononcé son discours de réception le 7 décembre à Stockholm. Il est le quinzième écrivain français à recevoir cette récompense. Un honneur qu’il a accepté avec humilité. Son discours qui a duré une quarantaine de minutes a beaucoup évoqué le rôle de l’écrivain, son lien avec les lecteurs et la littérature, son travail entre la mémoire et l’oubli, sa fascination pour Paris. A Stockholm, le temps s’était arrêté et chacun écoutait avec gravité les paroles d’un enfant né en 1945 qui sait si bien exprimer les incertitudes d’un monde de plus en plus mouvant. Revenons sur quelques temps forts du discours

 1/L’émotion d’être choisi par les lecteurs

Avec émotion et sincérité, Patrick Modiano a d’abord parlé de ce prix qu’il n’attendait pas et du lien si fort qui unit l’écrivain et ses lecteurs : « L’annonce de ce prix m’a paru irréelle et j’avais hâte de savoir pourquoi vous m’aviez choisi. Ce jour-là, je crois n’avoir jamais ressenti de manière aussi forte combien un romancier est aveugle vis-à-vis de ses propres livres et combien les lecteurs en savent plus long que lui sur ce qu’il a écrit. Un romancier ne peut jamais être son lecteur, sauf pour  corriger dans son manuscrit des fautes de syntaxe, des répétitions ou supprimer un paragraphe de trop. Il n’a qu’une représentation confuse et partielle de ses livres, comme un peintre occupé à faire une fresque au plafond et qui, allongé sur un échafaudage, travaille dans les détails, de trop près, sans vision d’ensemble. »

2/De la difficulté d’être un écrivain 

Patrick Modiano a utilisé une métaphore pour illustrer l'acte d'écrire, c’est « être au volant d’une voiture la nuit en hiver et rouler sur le verglas sans aucune visibilité » Un peu plus tard il a confié : « Curieuse activité solitaire que celle d’écrire. Vous passez par des moments de découragement quand vous rédigez les premières pages d’un roman. Vous avez, chaque jour, l’impression de  faire fausse route. Et alors, la tentation est grande de revenir en arrière et de vous engager dans un autre chemin. Il ne faut pas succomber à cette tentation mais suivre la même route. C’est un peu comme d’être au volant d’une voiture, la nuit, en hiver et rouler sur le verglas, sans aucune visibilité. Vous n’avez pas le choix, vous ne pouvez pas faire marche arrière, vous devez continuer d’avancer en vous disant que la route finira bien par être plus stable et que le brouillard se dissipera. »

3/ Enfant de  la guerre 

A propos de l’Occupation : « Je suis comme toutes celles et ceux nés en 1945, un enfant de la guerre, et plus précisément, puisque je suis né à Paris, un enfant qui a dû sa naissance au Paris de l’Occupation. Les personnes qui ont vécu dans ce Paris-là ont voulu très vite l’oublier, ou bien ne se  souvenir de détails quotidiens, de ceux qui donnaient l’illusion qu’après tout la vie de chaque jour n’avait pas été si différente de celle qu’ils menaient en temps normal. Un mauvais rêve et aussi un vague remords d’avoir été en quelque sorte des survivants. Et lorsque leurs enfants les interrogeaient plus tard sur cette période et sur ce Paris-là, leurs réponses étaient évasives. Ou bien ils gardaient le silence comme s’ils voulaient rayer de leur mémoire ces années sombres et nous cacher quelque chose. Mais devant les silences de nos parents, nous avons tout deviné, comme si nous l’avions vécu. »

4/De l’intime littéraire à l’ultra-connexion exhibitionniste

Patrick Modiano a cité le poème de Yeats: Les cygnes sauvages à Coole et a insisté sur la filiation qu’un écrivain pouvait développer non seulement avec ses lecteurs mais aussi avec les écrivains qui l’ont inspiré comme, en l’occurrence le concernant  comme Baudelaire, Mallarmé. Racine, Balzac, Flaubert, Dickens, Tolstoï, Dostoïevski, Shakespeare …Ce sanctuaire intime du lien avec autrui et de l’inspiration sera-t-il remis en cause par Internet ? Celui-ci pose la question :« Dans cette perspective, j’appartiens à une génération intermédiaire et je serais curieux de savoir comment les générations suivantes qui sont nées avec l’internet, le portable, les mails et les tweets exprimeront par la littérature ce monde auquel chacun est « connecté » en permanence et où les « réseaux sociaux » entament la part d’intimité et de secret qui était encore notre bien jusqu’à une époque récente – le secret qui donnait de la profondeur aux personnes et pouvait être un grand thème romanesque. Mais je veux rester optimiste concernant l’avenir de la littérature et je suis persuadé que les écrivains du futur assureront la relève comme l’a fait chaque génération depuis Homère… »

5/ Paris et ses mystères

Patrick Modiano ne pouvait pas ne pas évoquer Paris, "sa ville" : « Et puisqu’il est question de « mystères », je pense, par une association d'idées, au titre d’un roman français du XIXe siècle : Les mystères de Paris. La grande ville, en l’occurrence Paris, ma ville natale, est liée à mes premières impressions d’enfance et ces impressions étaient si fortes que, depuis, je n’ai jamais cessé d’explorer les « mystères de Paris ». Il m’arrivait, vers neuf ou dix ans, de me  promener seul, et malgré la crainte de me perdre,, d’aller de plus en plus loin, dans des quartiers que je ne connaissais pas, sur la rive droite de la Seine. C’était en plein jour et cela me rassurait. Au début de l’adolescence, je m’efforçais de vaincre ma peur et de m’aventurer la nuit, vers des quartiers encore plus lointains, par le métro. C’est ainsi que l’on fait l’apprentissage de la ville et, en cela, j’ai suivi l’exemple de la plupart des romanciers que j’admirais et pour lesquels, depuis le XIXe siècle, la grande ville – qu’elle se nomme Paris, Londres, Saint-Pétersbourg, Stockholm – a été le décor et l’un des thèmes principaux de leurs livres. »

6/La quête de l’identité

 « On peut se perdre ou disparaître dans une grande ville. On peut même  changer d’identité et vivre une nouvelle vie. On peut se  livrer à une très longue  enquête pour retrouver les traces de quelqu’un, en n’ayant au départ qu’une ou deux adresses dans un quartier perdu. La brève indication qui figure quelquefois sur les fiches de recherche a toujours trouvé un écho chez moi : Dernier domicile connu. Les thèmes de la disparition, de l’identité, du temps qui passe sont étroitement liés à la topographie des grandes villes. »

7/La mémoire et l’oubli

« Vous avez eu l’indulgence de faire allusion concernant mes livres à « l’art de la mémoire avec lequel sont évoquées les destinées humaines les plus insaisissables ». Mais ce compliment dépasse ma personne. Cette mémoire particulière qui tente de recueillir quelques bribes du passé et le peu de traces qu’ont laissé sur terre des anonymes et des inconnus est elle aussi liée à ma date de naissance : 1945. D’être né en 1945, après que des villes furent détruites et que des populations entières eurent disparu, m’a sans doute, comme ceux de mon âge, rendu plus sensible aux thèmes de la mémoire et de l’oubli. » Une mémoire de plus en plus floue qui laisse le romancier dans une incertitude, une quête des traces. Après avoir évoqué le passé de Proust, Patrick Modiano a conclu sur la page blanche de l'oubli : « C’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan. »

 >>revivez l'intégralité du discours de Patrick Modiano en visionnant ci-dessous  la vidéo partagée par l'Académie Nobel

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