«Où vivaient les gens heureux»

Joyce Maynard, 50 ans de la vie d'une femme

Joyce Maynard confirme son formidable talent de conteuse. Elle vient de recevoir le Grand prix de littérature américaine, ainsi que le prix Samantha pour Où vivaient les gens heureux (Philippe Rey). Un roman qui reconstruit en flash-back cinquante ans de la vie d'une femme dans l'Amérique du New Hampshire. Sacrifice et dévouement au service de la famille, aspirations, courage et désillusions jusqu'à la conquête de soi, font de cette héroïne l'emblème d'une époque. Quand les Desperate Housewives croisent les Mad Men...

Depuis Long week-endLes Filles de l’ouraganL’Homme de la montagne et Les Règles d’usage (tous chez Philippe Rey), on savait Joyce Maynard conteuse d'histoires. Avec Où vivaient les gens heureux, toujours chez Philippe Rey, on la découvre formidable portraitiste.

Cinquante ans de la vie d'une femme

Ce roman, probablement à ce jour son meilleur, suit l'histoire d'Eleanor pendant cinquante ans, des années 1970 à aujourd'hui. Nous découvrons chaque étape de son existence, nous suivons les traces qui lui été assignées, bonne élève dans son rôle de future épouse accomplissant le désir d'une société qui ne voyait pas de meilleur accomplissement qu'un mariage comme il faut. La belle carte postale subira les affres des désillusions, des aspirations vers plus de liberté, bref le récit de la difficile condition d'être femme et mère, dévouée, puis quittée, mais toujours dévouée malgré tout.

Un récit en flash back, qui se lit comme un film

Le récit commence le jour du mariage du fils aîné de l'héroïne. Cette photographie replonge Eleanor dans le passé, amène l'héroïne à voir défiler sous ses yeux le film de sa vie : son propre mariage, sa séparation, ses parents et ses enfants, les rêves des uns, les trahisons des autres... Eleanor était une jeune artiste à succès. C'est elle qui avait décidé d'acheter une maison dans la campagne du New Hampshire pour prendre le large et mettre de la distance avec ses parents. En épousant Cam, elle va tout quitter pour construire une famille. Ce qu'elle fait, puisque 3 enfants vont naître de cette union. Elle deviendra donc beaucoup mère et plus beaucoup artiste. Mais qu'à cela ne tienne, la réussite de son projet familial est censée la combler. Réparer peut-être aussi les souvenirs d'une enfance peu aimée. Et puis la vie va éroder cette belle expression du rêve américain. 

Une héroïne emblématique d'une époque

Eleanor n'est pas Emma Bovary. Mais comme elle, son histoire intime reflète celle d'une époque, d'une culture, celle où les femmes construisaient leur vie à grand renfort d'idéalisation, d'abnégation et d'acceptation. On ne voit pas les 560 pages passer, tant Joyce Maynard a le talent de donner vie à son personnage. Eleanor pourrait être notre mère ou notre grande sœur. Ou simplement notre amie. Nous comprenons la complexité de ses sentiments, la manière dont le flux de la vie l'entraîne parfois malgré elle, parfois avec elle. Car Joyce Maynard ne peint pas le portrait d'une victime. Elle cherche à dresser les marques d'un destin en en montrant les ombres et les lumières.  Entre soumission au système et émancipation des femmes, Eleanor traverse les grandes questions de l'époque : divorce, libération sexuelle, avortement, et même apparition du mouvement #Metoo… Son goût pour le bonheur lui permet de dépasser les difficultés de la vie, comme l'annonce le titre du livre. 

Un livre sur le couple et la famille

Le jury du Grand prix de littérature américaine composé de Philippe Chevilley (Les Échos), Nicolas Carreau (Europe 1), Oriane Jeancourt-Galignani (Transfuge) , Alice Déon (La Table ronde), Caroline Ast (Belfond), Francis Geffard (Albin Michel) , Sylvie Loricquer (L’Attrape-Cœurs, Paris), Géraldine Mausservey (Librairie de Paris), Pascal Thuot (Millepages, Vincennes) et Jean-Christophe Millois (INFL) a présenté le choix de leur lauréate par ce communiqué : « Où vivaient les gens heureux est un livre d’une grande subtilité où Joyce Maynard explore magistralement la gamme des sentiments, à travers le portrait d’une femme, des années 1970 à aujourd’hui. À la fois réflexion sur le couple et sur la famille, ce roman restitue avec finesse tout ce dont sont faites nos vies, face à un monde et une société en perpétuel mouvement. »

Quand le récit de ce qui façonne une vie questionne le destin d'une femme. De toutes les femmes.

>Joyce Maynard, Où vivaient les gens heureux, Philippe Rey, traduction Florence Lévy-Paoloni, 546 pages 24,00 €

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